Beaucoup pensent que votre objectif inavoué est la disparition des départements. Jacques Attali n'a-t-il pas indiqué, dans son rapport sur la libération de la croissance, qu'il était urgent d'en finir avec « ces institutions sédimentées et fossilisées » qui paralysent le pays ? Quant à Édouard Balladur, n'a-t-il pas précisé que « le rapprochement des deux collectivités territoriales à travers un élu commun » amorcerait « l'évaporation du département » ?
Le projet du Grand Paris, marque, lui aussi, le retour des Jacobins. Dangereusement déconnecté des réalités que vivent les Franciliens, il est illustre la volonté du Gouvernement de liquider les acquis de la décentralisation et d'assurer la mainmise d'un État impécunieux sur l'aménagement de l'Île-de-France. Le Grand Paris se réduit en fait à la création d'un métro automatique de grande capacité, une rocade en double boucle de cent trente kilomètres avec une quarantaine de gares. Ce projet, porté par l'État et à la définition duquel les collectivités territoriales n'ont pas été associées, sera mis en oeuvre par l'État à travers un établissement public, la Société du Grand Paris, qui s'appropriera une bonne partie des compétences en matière de transports des collectivités locales, aujourd'hui exercées au sein du Syndicat des transports d'Île-de-France.
L'État récupérera également les compétences de ces collectivités en matière d'urbanisme, notamment le droit de préemption prioritaire, afin de déployer les infrastructures et d'assurer les opérations d'aménagement, en particulier autour des gares, dont les plus-values doivent participer au financement du projet : 35 000 hectares répartis sur plusieurs centaines de collectivités doivent être ainsi recentralisés.
Ce projet constitue une attaque frontale de la décentralisation et l'aboutissement d'une volonté de reprise en main de l'État de l'espace francilien, ce qu'ont déjà traduit le refus du Gouvernement d'approuver le schéma de développement de la région Île-de-France et le veto présidentiel à la reconnaissance de Paris-métropole.
Le Grand Paris n'est pas un acte isolé, c'est un acte politique fort. Avec la réforme de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, cette majorité vient de procéder à une recentralisation des finances des collectivités territoriales, dont elles ne manqueront pas, dès 2011, de mesurer tous les effets. À ce sujet, c'est tout d'abord Jean-Pierre Raffarin qui, dans une tribune datée du 1er novembre 2009, indiquait qu'il ne pouvait accepter un recul de la décentralisation, semblant par là même découvrir la volonté centralisatrice de Nicolas Sarkozy, dont l'objectif est de mettre fin à l'autonomie fiscale des collectivités et de les rendre dépendantes de la manne de l'État. Ce sont une évolution et une vision en contradiction d'une part avec la Constitution, qui grave dans le marbre « l'autonomie financière et la maîtrise par les collectivités locales d'une partie déterminante de leurs ressources », d'autre part avec les déclarations d'un membre éminent de votre majorité, l'actuel ministre de la défense, qui précisait en 2003 : « l'autonomie financière et fiscale, c'est le principe fondamental, auquel nous sommes le plus attentifs. L'exercice des responsabilités locales dans de bonnes conditions suppose, de la part des collectivités, une autonomie de décision financière. Or, leur dépendance à l'égard des dotations de l'État ne cesse de croître, réduisant de plus en plus cette marge. L'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales est donc indispensable à l'accomplissement des libertés locales ».
Remplacer un impôt local, la taxe professionnelle, dont les collectivités arrêtaient les taux, par une contribution dont le taux sera fixé par l'État, c'est, comme l'a très bien dit Alain Juppé, « se foutre du monde » et, comme l'a très justement rappelé Jean-Pierre Raffarin, « mettre la collectivité sous tutelle » et faire reculer la décentralisation.
Comme nous le constatons aujourd'hui avec un certain désabusement, nous sommes bien loin du statut constitutionnel que Jean-Pierre Raffarin a eu le courage de donner à la décentralisation, bien loin aussi des déclarations du Président de la République qui ne manqua jamais, par le passé, de dénoncer « la vision centralisatrice et jacobine de notre société », inadaptée, selon lui, aux contraintes du monde moderne et appartenant à un passé révolu.
Demain, c'est à marche forcée que nous nous dirigerons vers une organisation de nouveau centralisée de la République, ce que les élus locaux, dans leur grande majorité, réprouvent, et dont les Français mesureront bientôt les conséquences, lorsqu'ils seront confrontés à la réduction, voire à la suppression des services publics et à l'augmentation de la fiscalité sur les ménages.
Comme pour le Grand Paris et la réforme de la taxe professionnelle, le groupe socialiste s'opposera de toutes ses forces à ce texte qui bafoue les dispositions constitutionnelles et traduit, de part de votre majorité, un véritable renoncement aux valeurs de proximité et des libertés locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)