Il en est de même en Italie, où les régions sont également très puissantes, au point de songer au fédéralisme – ce que nous refusons absolument pour la France, qui doit, pour conserver sa force, rester évidemment très attentive à défendre l'unité et l'indivisibilité de la République. En Italie, il y a toujours, outre les régions, des communes et des départements, appelés « provinces » ; pas de millefeuille, donc, mais trois feuilles, comme en France. Tous les pays qui tentent d'entrer en démocratie commencent, on le voit dans ce qu'on appelait autrefois le tiers-monde, par la démocratie locale, des élections municipales et régionales. Or en France, vous nous proposez de faire l'inverse. Le choix de l'UMP est un choix de société. Il consiste à priver les collectivités de moyens fiscaux, puis à geler les financements, c'est-à-dire à diminuer les dotations d'État – ce qui vient d'être annoncé –, et enfin à réclamer de l'argent aux collectivités locales qui n'en ont pas pour des tâches que l'État devrait accomplir mais pour lesquelles il n'en a pas lui-même.
Tout en demandant cet argent aux régions, on crie au secours parce que les élus locaux gaspilleraient l'argent en soutenant les associations sportives et culturelles ou en équipant les territoires afin de permettre leur développement économique, soutenant par la même occasion l'activité des petites et moyennes entreprises et l'emploi.
En réduisant le nombre des fonctionnaires, la révision générale des politiques publiques a réduit l'État, tenté par la privatisation, et supprimé des services publics qui sont pourtant l'expression de l'idéal républicain d'égalité et de solidarité : éducation nationale, santé publique, police, justice, services postaux, transports publics.
Avec ce texte, le Gouvernement suit la même philosophie politique qu'avec la RGPP : les services publics étant trop chers, il faut réduire le nombre des fonctionnaires ; les élus locaux étant trop chers, il faut réduire leur nombre.
Si les élus coûtent trop cher et dépensent trop pour équiper le pays, il faut en supprimer la moitié. C'est ce que vous faites. Pourquoi pas davantage ? Pourquoi ne pas diviser leur nombre par trois ou quatre ? Pourquoi ne pas garder simplement les élus de quelques grandes métropoles et gérer le reste avec les préfets de région, qui remplaceraient – comme c'est déjà le cas dans bien des domaines – les présidents de région et de conseil général ?
On croyait que la décentralisation allait dans le sens de l'histoire. Le général de Gaulle et le président Mitterrand, pour une fois d'accord, partageaient cette idée : pour se faire, la France a eu besoin de centralisation pendant les siècles ; pour ne pas se défaire, elle a maintenant besoin de décentralisation.
Au XVIIe siècle, la France s'est rendue célèbre par sa civilisation des jardins. Elle a aussi le même culte de l'harmonie dans ce que l'on pourrait appeler l'aménagement du territoire à la française. La création du conseiller territorial fleure bon l'Ancien Régime. Paris et Versailles géraient les territoires de province et les colonies grâce aux gouverneurs, appelés préfets de région de nos jours.
Le conseiller territorial – c'est lui l'OVNI, monsieur le secrétaire d'État – sera comme la chauve-souris de La Fontaine : tantôt souris tantôt oiseau, tantôt conseiller régional tantôt conseiller général ; il ne sera finalement ni l'un ni l'autre.
Il viendra à la région, une fois de temps en temps, observer le marché aux subventions, puis repartira avec son cabas plus ou moins plein. Il aura été un peu ennuyé de quitter son canton pour une assemblée inconnue mais peuplée. En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, par exemple, il faudra un grand hémicycle à la chinoise pour accueillir 224 élus !
Alors que nous allons fêter l'union de Nice et de la France, je trouve la situation assez paradoxale : nous allons donner aux métropoles Nice-Côte-d'Azur – dont on voit bien les ambitions – et Marseille-Provence la possibilité de faire sécession. Ce serait le comble – je le dis avec beaucoup de tristesse – que deux régions se créent et que Nice entre en sécession et se sépare de la Provence, en cette année où nous fêtons son rattachement à la France. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
En tout cas, le Gouvernement a bien choisi son moment pour détruire l'édifice républicain de la démocratie de proximité. À l'époque où la mondialisation fait passer les souverainetés nationales sous la loi des grandes compagnies financières internationales, faisant ainsi mentir les proclamations de nos constitutions sur la souveraineté de la nation, les peuples souffrent non seulement des disciplines inhumaines que la crise financière leur impose – à eux et à leurs gouvernements – mais aussi d'un malaise dû à la déshumanisation de la société.
Votre Gouvernement devrait se rendre compte qu'on ne remplace pas sans dégât social et sans violence un être humain – par exemple un fonctionnaire ou un élu local de proximité – par une borne, un écran d'Internet ou un répondeur téléphonique.