Lorsqu'ils seront saisis d'un problème, les élus ne pourront que dire : « attendez, je vais voir si ce que vous me demandez est dans la liste limitative des compétences que l'on m'a octroyées ». Puis, si ce problème ne s'y trouve pas : « attendez, je vais voir s'il n'est pas dans celle des compétences de telle ou telle autre collectivité, pour savoir si j'ai le droit de vous répondre ».
On aura alors commis une triple faute : on aura éloigné les centres de décision du terrain, on aura paralysé la réactivité des collectivités territoriales face à l'urgence, qui ignore évidemment, quant à elle, le principe de spécialité. Et par-dessus tout, on aura créé des élus qui donneront l'image de l'impuissance publique : il n'y a rien de plus grave.
En supprimant la clause de compétence générale, on instille donc un poison mortel pour la démocratie locale : la dissociation entre le pouvoir et la responsabilité. Cette marge d'initiative prévue par le nouvel article 35 n'équivaut donc nullement à la simplicité et à la souplesse de la clause de compétence générale, et, de plus, elle ne résout rien. Au contraire, elle nous plonge dans l'insécurité juridique la plus totale et ouvre la voie à des risques de paralysie, de discussions sans fin et de contentieux.
D'autre part, cette disposition ne résout rien parce qu'elle ne permet pas à une collectivité de se substituer à une autre qui serait juridiquement compétente mais défaillante, pour de mauvaises raisons, et au détriment de nos concitoyens.
Je citerai encore l'exemple de la tempête Xynthia. Après la tempête, nombre de maîtres d'ouvrage de défense contre la mer n'avaient pas les moyens de faire les travaux d'urgence avant les prochaines grandes marées. L'État impécunieux n'a toujours pas payé, trois mois après, les entreprises réquisitionnées pour faire les travaux. Eh bien, le département a fait les avances, comme il a fait les avances aux agriculteurs dans le plus extrême dénuement, qui ont tout perdu, et qui attendent toujours, trois mois après, que les indemnités de catastrophe naturelle leur soient versées. Si ce que prévoit l'article 35 était aujourd'hui en vigueur, depuis trois mois, ils n'auraient rien, nous n'aurions rien pu faire, parce qu'un autre que nous, plus lointain, plus bureaucratique ou dont les regards sont tournés ailleurs, a la compétence juridique.
De tels risques devraient-ils néanmoins être pris, au motif que la clause de compétence générale serait, comme on l'a parfois prétendu, une source avérée de coûts et d'abus ?
En réalité, la clause de compétence générale a été très largement caricaturée. On l'a, à tort, décrite comme la source d'un enchevêtrement coûteux, comme la capacité laissée à des élus irresponsables de faire tout et n'importe quoi. C'est bien mal connaître la vie locale et le droit qui encadre les décisions des élus.
Chaque décision d'un élu est contrôlée de multiples manières : par les préfets, par les juridictions administratives et judiciaires, par les juridictions financières. Les préfets, par le biais du contrôle de légalité, ont toute latitude pour éviter les abus, et les tribunaux administratifs sanctionnent les décisions des élus qui ne correspondent pas à un intérêt local. Ce que dit le projet de loi est déjà une réalité juridique. La clause de compétence générale est bornée par l'intérêt local comme par le droit.
L'enchevêtrement, quant à lui, est une vue de l'esprit. La jurisprudence du Conseil d'État est claire. La compétence d'une collectivité s'arrête là où commence celle que la loi a clairement dévolue à une autre collectivité. Le département n'a pas le droit de construire des lycées, la région n'a pas le droit de construire des collèges, le département n'a pas le droit de médicaliser à ses frais des maisons de retraite, parce que selon la loi, c'est à l'assurance maladie de le faire. Tout cela, la jurisprudence l'a clairement établi.
Ce qu'il faudrait faire pour être efficace, c'est clarifier les domaines de compétence qui restent encore flous, c'est préciser le niveau d'intervention de chaque collectivité dans tous les secteurs où la compétence doit nécessairement demeurer partagée, dans une double logique de clarification et de subsidiarité, subsidiarité désormais inscrite, je le rappelle, comme un principe de répartition des compétences à l'article 72 de la Constitution.
Pourquoi cet exercice est-il reporté, alors qu'il devrait prendre place dans le cadre du présent projet de loi, dès lors que celui-ci ne traite plus seulement de la création du conseiller territorial, mais aborde la question de la répartition des compétences ? Pourquoi ne le traiter ici que partiellement ? Pourquoi attendre pour supprimer les doublons qui subsistent entre l'État et les collectivités ?