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Intervention de Dominique Souchet

Réunion du 26 mai 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Souchet :

Ce projet de loi est l'aboutissement d'un cheminement qui semble tout à fait paradoxal.

Il partait de l'idée que notre organisation territoriale est trop complexe : il y ajoute des échelons supplémentaires. Il voulait donner à notre organisation plus d'efficacité : il passe sous silence les principaux facteurs qui l'entravent. Il ne propose de remédier ni aux dérives coûteuses de l'intercommunalité, pourtant mises en évidence par la Cour des comptes, ni aux dérives fiscales des régions, qui jouent désormais à contre-emploi de ce que doit être une collectivité territoriale en s'érigeant en contre-gouvernement. Il ne s'inquiète pas réellement de la question pourtant cruciale de la taille critique que nos régions devraient avoir pour assumer avec pertinence les missions structurantes de long terme qui sont les leurs.

En revanche, le projet de loi affaiblit gravement un couple qui a parfaitement fonctionné depuis des décennies, le couple formé par les départements et les communes. Il est curieux qu'une réforme s'attaque à ce qui marche et laisse de côté ce qui marche moins bien. Il est dangereux d'affaiblir les départements et les communes, car ce sont les échelons de la proximité et de la réactivité immédiate.

Or c'est bien ce que fait ce texte, en prévoyant une double amputation des capacités d'action des deux échelons de proximité.

La suppression de la clause de compétence générale des départements et les obstacles mis au cofinancement des projets communaux vont rendre irréalisables nombre d'actions d'intérêt général indispensables à un développement harmonieux de notre territoire, notamment dans le milieu rural, le grand oublié de la réforme.

Pourtant, les exemples abondent qui démontrent que la commune et le département, par-delà le fait qu'ils sont les berceaux géographiques des identités familiales et personnelles des Français, les lieux de leurs attachements vitaux, jouent un rôle irremplaçable dans la vie de nos concitoyens.

Le tragique épisode de la tempête Xynthia constitue un de ces exemples les plus récents et les plus significatifs : les routes ne seraient pas encore réparées, les brèches des digues ne seraient toujours pas colmatées si les communes, épaulées par les départements, n'avaient pas eu les moyens d'agir en extrême urgence, avec réactivité et pertinence. Et ce qui est vrai dans les cas exceptionnels l'est a fortiori dans la vie quotidienne.

Or nous devons bien constater que, malgré les amendements adoptés en commission, l'article 35 du projet de loi tel qu'il nous est soumis aujourd'hui supprime bel et bien la compétence générale des départements.

En ajoutant au premier alinéa de l'article L 3 211-1 du code général des collectivités locales, qui se lit ainsi : « le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département », une phrase qui en restreint strictement le champ d'application : « dans les domaines de compétence que la loi lui attribue », cet article 35 impose aux départements une compétence d'attribution ou, en d'autres termes, leur applique le principe de spécialité.

Ce faisant, il fait sortir le département de la catégorie des collectivités locales, caractérisées par le principe de libre administration, pour le faire entrer dans la catégorie des établissements publics, caractérisés par le fait qu'ils ne disposent que de compétences attribuées. Ces dispositions, si elles étaient votées, supprimeraient les départements tels qu'ils existent depuis 1871, pour créer une catégorie que l'on aurait pu croire d'un autre temps : l'établissement public départemental.

C'est un recul des libertés locales et l'effacement de près de cent quarante ans d'histoire de notre droit et de nos institutions. Pourquoi ? Parce que la clause de compétence générale est le fondement juridique de toute liberté locale et, sous un angle pratique, le garant de l'efficacité de l'administration locale.

Rappelons-nous dans quelles circonstances est intervenue la reconnaissance de la clause de compétence générale au bénéfice du département, clause étendue ensuite à la commune en 1884, et à la région en 1985 : elle coïncide avec l'avènement de la démocratie moderne et de la notion de liberté locale, devenue depuis constitutionnelle.

Les presque trente années de décentralisation qui sont derrière nous, avec ses approfondissements successifs jusqu'à ceux opérés par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, ont montré comme le veut l'adage bien connu de notre droit public que l'on n'administre bien que de près. Nul ne peut nier que les services publics locaux se sont améliorés, que les collèges d'aujourd'hui n'ont absolument rien à voir avec ceux d'il y a trente ans, que les collectivités, en apportant des moyens très importants, ont assuré le développement du réseau TGV, des autoroutes, des universités.

Si je peux me référer à mon propre département, c'est grâce à la clause de compétence générale que la Vendée peut avoir aujourd'hui les Vendéopôles, le Vendée Globe, les instituts décentralisés de formation supérieure mis en place avec les filières économiques, autant d'initiatives porteuses d'une forte croissance.

La clause de compétence générale, c'est la liberté, l'innovation, la capacité d'adaptation.

Il est encore temps de prendre conscience des risques que ferait courir sa suppression du patrimoine juridique départemental. Le premier risque est double : c'est celui d'une dévitalisation des zones rurales, des zones insulaires, des zones fragiles, et celui d'une désarticulation entre les territoires dont le département garantit aujourd'hui la cohésion. Il ne faut pas avoir d'yeux que pour les métropoles. La ruralité est aujourd'hui bien vivante et créatrice. L'attachement aux racines est fort : n'oublions pas que la population des communes de moins de 2000 habitants a crû trois fois plus vite que celle des grandes villes entre les deux derniers recensements généraux de 1999 et 2006.

Le second risque est celui de créer une nouvelle catégorie d'élus : les élus irresponsables. Ce risque est directement engendré par une disposition qui vise sans doute à calmer la colère de ceux qui sont attachés à la clause de compétence générale. Elle prévoit, au quatrième alinéa de l'article 35, que le département peut, « par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d'intérêt départemental pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique ».

Cette disposition aboutit en fait à transformer les élus en simples administrateurs.

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