Je souhaite aussi dire mon interrogation quant à l'alinéa 14 de cet article 35 qui précise que « les compétences en matière de patrimoine, de création artistique et de sport sont partagées entre les communes, les départements et les régions. »
Nous l'avons tous dit : si nous sommes soulagés que les collectivités puissent continuer d'intervenir dans ces domaines, nous avons quelques sujets d'interrogation.
D'abord, je pense qu'il aurait été préférable de parler de culture plutôt que de création artistique, mais un amendement de mon collègue Philippe Duron nous donnera la possibilité de corriger cette erreur.
Ensuite, je ne comprends pas que l'État n'apparaisse pas dans la liste des acteurs publics concernés par l'exercice des ces compétences : le texte fixe aujourd'hui cette compétence comme partagée entre les communes, les départements et les régions.
Enfin, cet alinéa nous amène à considérer la culture, le sport et le patrimoine comme de nouvelles compétences transférées aux collectivités que je viens de citer, alors même qu'aucun dispositif de compensation n'est prévu et qu'aucune loi de dévolution n'a jamais été évoquée en la matière.
Je suis donc partagé : si cet alinéa 14 provoque un certain soulagement du monde associatif, sportif ou culturel, nous sommes quelque peu inquiets de la portée qu'il peut avoir en termes de compensations financières ou de transferts de compétences.
Les articles 35 et 35 bis sont suivis d'articles additionnels adoptés par la commission des lois qui encadrent les conditions de financement de ces compétences nouvellement partagées.
L'honnêteté intellectuelle oblige à souligner qu'il y a là une double cohérence. La première est que dès lors que l'article 35 a été doté d'un caractère normatif, il est logique d'organiser les conditions de financement des compétences ainsi partagées. La deuxième est que, tout à votre obsession de limiter les moyens dont disposent les collectivités pour exercer leurs compétences, vous avez su être plus clairs sur la question du financement que sur celle du partage effectif et lisible des compétences exercées par les collectivités.
Les articles 35 ter et 35 quater fixent les règles encadrant les montages financiers mis en place par les collectivités maîtres d'ouvrage. C'est avec ces deux articles qu'apparaît en réalité un nouveau garrot pour les collectivités territoriales, un nouveau frein mis à leur action.
En effet, le texte adopté par la commission prévoit que les collectivités maîtres d'ouvrage apportent un financement significatif au projet ; pour la première fois, cette part significative est fixée par la loi suivant des règles démographiques : 20 % pour les communes de moins de 2 000 habitants et les groupements de communes de moins de 20 000 habitants, 30 % pour les communes de plus de 2 000 habitants et les groupements de communes de plus de 20 000 habitants, 50 % pour les communes et les groupements de communes de plus de 50 000 habitants, ainsi que pour les départements et les régions.
Enfin, le texte prévoit une dérogation avec un niveau de financement de 20 % par la collectivité maître d'ouvrage pour les opérations de rénovation urbaine ou encore la rénovation de monuments classés. Sur ce dernier point, je dois aussi vous dire notre surprise : il s'agit là d'une compétence d'État – à moins que l'alinéa 14 de l'article 35 déjà évoqué ne trouve ici tout son sens.
Cet amendement, qui encadre les financements et qui fixe le montant minimal de contribution de chacune des collectivités, est surprenant à plusieurs titres.
D'abord, il n'est pas conforme aux déclarations du ministre de l'aménagement du territoire en commission des lois : il avait déclaré, le 12 mai dernier, vouloir s'en tenir au décret du 16 décembre 1999, modifié en mai 2005, qui plafonne le niveau cumulé des interventions à 80 % d'un projet sans fixer de seuils démographiques pour les 20 % restants.
Cette question des seuils démographiques est d'autant plus importante que ce critère ne tient pas compte des caractéristiques des collectivités : nombre de communes de plus de 2 000 habitants ont des fonctions de centres de bassin de vie, et à ce titre des besoins d'équipements plus importants, nécessitant un niveau d'intervention plus élevé.
L'article 35 ter est aussi en rupture avec l'esprit de l'article 72 de la Constitution qui mentionne la « libre administration des collectivités territoriales ». Le deuxième alinéa de cet article précise d'ailleurs que les collectivités font un libre usage de leurs ressources et cela doit, à mon sens, inclure la possibilité d'accorder librement des concours à d'autres collectivités.
Par ailleurs, une autre disposition est inquiétante pour les communes de petite taille : l'article 35 quater interdit à une commune de plus de 3 500 habitants de cumuler une subvention de la région et une subvention du département sur le même projet, sauf s'il s'agit de financer une action inscrite au contrat de projet État-région ou dont la maîtrise d'ouvrage relève de l'État. Il est assez savoureux de noter que si les communes se voient interdire de bénéficier du soutien cumulé de la région et du département, l'État inscrit dans le même temps dans la loi une pratique qui lui est habituelle, consistant à mettre à contribution ces deux collectivités pour ses propres projets.
L'article 35 quater est aussi particulièrement inquiétant car les travaux de l'Association des petites villes de France, qui regroupe plus de 1 000 communes comptant entre 3 500 et 20 000 habitants, montrent la disparité des besoins d'équipements et de services des collectivités de cette strate démographique. Une ville de 10 000 ou de 15 000 habitants n'a pas les mêmes besoins, pas les mêmes équipements sportifs et culturels selon qu'elle se situe en périphérie d'une agglomération ou qu'elle est la ville-centre d'une zone rurale. Cette interdiction de cumuler les aides du département et de la région est particulièrement inacceptable dans le second cas.
Ces deux articles 35 ter et 35 quater sont en réalité de véritables verrous mis à l'action des collectivités ; ce sont deux freins à la mise en place de plans de financement permettant la réalisation de projets nécessaires à l'ensemble d'un bassin de vie.
Il apparaît dès lors clairement que cet encadrement et cette limitation des possibilités de partenariats financiers des collectivités poursuivent deux objectifs politiques.
Le premier est d'ordre absolument idéologique. Notre collègue Jean-Pierre Balligand l'a dit : il s'agit, conformément au dogme libéral, de tout mettre en oeuvre pour réduire le périmètre de l'intervention publique et anémier les ressources des acteurs publics, afin d'amenuiser leurs actions. Tout se passe comme si le but était d'aller vers des politiques locales low cost, avec la volonté de faire toujours moins, de réduire encore et encore les possibilités d'agir et donc de réparer localement un certain nombre d'injustices.
Le deuxième objectif renvoie à une situation politique plus conjoncturelle : il semblerait que le Gouvernement et sa majorité aient en tête une sorte de revanche sur le choix des urnes. Comme en 2004, lorsque le rôle des régions dans le texte de décentralisation a été modifié et réduit après les élections régionales, la volonté est aujourd'hui d'entraver l'action des régions et des autres collectivités, coupables de ne pas avoir rallié le camp présidentiel.
Ces deux arguments sont généralement repoussés par le Gouvernement dans nos débats, mais ils trouvent tout leur sens lorsqu'on replace l'examen de notre texte dans son contexte.
Monsieur le secrétaire d'État, je disais tout à l'heure au sujet de l'article 35 que la simplification promise et la meilleure lisibilité du partage des compétences n'étaient pas au rendez-vous de la réforme. J'ai parlé de compromis que vous vous seriez imposé pour ne pas abandonner l'idée d'un partage des compétences et en même temps vous épargner un débat long et difficile. Je suis convaincu d'être dans le vrai, mais je suis, dans le même temps, convaincu que la vraie réforme voulue par le Gouvernement et sa majorité n'est pas dans cet article mais ailleurs.
Le semblant de reculade sur la clarification des compétences et la clause de compétence générale est en réalité un rideau de fumée pour moins parler de l'étranglement financier que connaissent les collectivités locales aujourd'hui et que le Président de la République a dit vouloir encore aggraver.