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Intervention de Jacques de Maïo

Réunion du 19 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Jacques de Maïo, chef des opérations du Comité international de la Croix-Rouge, CICR en Afghanistan et au Pakistan :

Tout le monde parle avec les talibans jusqu'aux envoyés de Paris Match. Mais il y a talibans et talibans, il y a l'administration talibane et ceux qui se prévalent d'être des représentants des talibans. Peu de gens ont, en réalité, des discussions substantielles avec les talibans. Nous avons facilité des contacts entre Talebans et ONU. On peut parler avec des talibans à Genève ou à Dubaï, par l'intermédiaire des Turcs et des Saoudiens, mais il y a beaucoup de désinformation.

Je n'ai jamais prétendu que le processus de réconciliation commencerait et se terminerait en 2011. Je me suis contenté de faire référence aux orientations fixées par l'administration Obama et les Etats coalisés, qui dessinent un horizon pour l'engagement de leurs forces.

Le Croissant-Rouge afghan est pour nous un partenaire organique, qui est à l'image des forces et des faiblesses de la société afghane. C'est un partenaire historique et fondamental, sans lequel nous ne pourrions pas réaliser une grande partie de notre action sur place, même s'il est dépendant de nous tant sur le plan financier et méthodologique que sur celui de son acceptabilité locale.

A nos yeux, l'enjeu fondamental, en Afghanistan, est de distinguer ce qui est strictement humanitaire et ce qui est politique. C'est la confusion entre ces deux aspects qui a conduit la plupart des acteurs humanitaires à leur impuissance actuelle sur la plus grande partie du territoire afghan : l'establishment politique et militaire ont fait de l'humanitaire un outil au service de la lutte contre l'insurrection et contre le terrorisme en menant des opérations présentant des effets humanitaires, mais de nature non humanitaire, car elles sont réalisées dans le but de s'ancrer dans une région, de collecter des renseignements et de gagner les coeurs et les esprits.

Certains projets humanitaires, qui sont parfois en complet décalage avec la réalité locale, ont été perçus comme des instruments de pénétration du terrain, et ils ont donc été considérés comme des cibles légitimes. Le Croissant-Rouge afghan s'est battu, de son côté, pour obtenir une acceptabilité qui lui permet aujourd'hui de gérer 36 structures médicales couvrant un bassin de population d'environ 15 millions de personnes, soit une part substantielle de la population afghane. Le Croissant-Rouge international est, en outre, très impliqué dans l'assistance aux personnes, notamment aux personnes déplacées et aux réfugiés.

Au sens légal du terme, un réfugié est une personne qui a quitté son domicile en traversant une frontière internationale. Il n'y a donc de réfugiés afghans qu'en Iran et au Pakistan. Près d'un million d'entre eux sont toujours dans ce dernier pays, depuis leur exode à l'époque de la lutte contre les communistes et les Soviétiques. Sur le fond, la problématique des réfugiés en Iran dépasse notre compétence : elle relève du HCR, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Il y aurait environ 300 000 personnes déplacées selon l'ONU et 440 000 selon le gouvernement afghan. La plupart de ces personnes se trouvent dans des zones urbaines ou accessibles au gouvernement. Leur situation est délicate, mais sous contrôle. Nous n'intervenons dans les camps permanents, pour notre part, que pour rétablir le lien familial. L'opération Mushtarak a provoqué de nombreux déplacements de population, mais les Pachtounes reviennent très vite chez eux et rechignent à être concentrés dans des camps, contrairement à ce que l'on observe dans d'autres pays. La situation est donc très fluide : on assiste à des déplacements ponctuels de petits groupes composés de 100 à 2 000 familles, soit 15 000 personnes au maximum, qui fuient l'insécurité des zones de combats. Nous intervenons donc sur un mode très réactif et pour répondre à des situations d'urgence.

Les camps de déplacés sont-ils des centres de recrutement pour les islamistes radicaux ? C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Il est, en revanche, évident que la problématique talibane et celle du djihad international ont été alimentées par le conflit soviétique et durant les années qui ont suivi : des millions de personnes ont trouvé refuge au Pakistan, où elles ont dû se tourner vers des madrasas financées par des fonds en provenance des salafistes, et enseignant aux jeunes une philosophie politique limitée à la charia et à une interprétation très restrictive du Coran et ont fourni, justement, les Talebans (étudiants coraniques).

En ce qui concerne le recrutement des talibans, c'est plus complexe qu'une armée avec une conscription; tout Pachtoune aura une allégeance naturelle et organique envers des frères musulmans et pachtounes qui appartiennent à la même tribu ou au même clan que lui, qui s'opposent à un envahisseur étranger et avec lesquels il partage des valeurs liées à la culture, à la religion et au mode de vie. Pour une partie non négligeable de la population pachtoune, en particulier dans les zones rurales et périphériques, les seuls qui fournissent une administration intègre de la justice sont les talibans, même s'il existe des réactions très variées : certains villageois sont farouchement hostiles aux talibans, tandis que d'autres sont bien obligés de choisir entre deux maux – je ne fais là que reprendre un discours fréquent sur le terrain : soit les talibans, qui veulent imposer un système dont ils ne veulent pas, soit des acteurs internationaux auxquels un réflexe nationaliste conduit à résister et dont l'action repose sur des notions étrangères aux Afghans.

Certains programmes humanitaires ont consisté à construire, en une nuit, des écoles mixtes dans des régions traditionnelles pachtounes. On s'est ensuite tourné vers nous pour relier ces écoles aux réseaux d'eau et d'électricité et pour faire en sorte que les filles fréquentent ces écoles. Or il n'existe pas de réseaux d'eau et d'électricité, et il n'est pas envisageable dans ces régions que les filles et les garçons fréquentent les mêmes écoles. À ce décalage avec la réalité dans de nombreux domaines – la question des femmes ou celle de la démocratie – s'ajoute, sur le plan politique, le fait que le gouvernement de Hamid Karzaï ne soit pas perçu comme légitime par une bonne partie de la population, en particulier dans les zones plus conflictuelles.

Nous travaillons avec la police, notamment en matière de formation, car elle a, elle aussi, des obligations et des règles à respecter dans les situations de conflit. En réponse à votre question, non, nous ne subissons pas d'intimidation de la part du ministère de l'intérieur. Nous travaillons aussi avec le NDS, l'agence de sécurité et renseignement afghane. La police a un vrai problème d'acceptabilité, de par sa corruption et inefficacité. Ceci dit, il faut beaucoup de courage pour être candidat à un poste dans la police en Afghanistan : on gagne peu, et on risque sa vie à tout instant.

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