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Intervention de Jacques de Maïo

Réunion du 19 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Jacques de Maïo, chef des opérations du Comité international de la Croix-Rouge, CICR en Afghanistan et au Pakistan :

Madame la présidente, c'est avec un plaisir tout particulier que je viens régulièrement à Paris pour évoquer avec les autorités françaises un certain nombre de dossiers humanitaires, notamment ceux que vous venez de présenter avec beaucoup d'acuité et de précision.

Je commencerai par présenter la position du CICR sur un certain nombre de points qui ne font pas toujours l'unanimité au sein de la communauté internationale, et qui ne sont pas forcément politiquement corrects, notamment en ce qui concerne l'application du droit international public, plus particulièrement du droit international humanitaire.

Vous avez rappelé à juste titre qu'il existe un contexte géopolitique englobant l'Afghanistan et le Pakistan. Malgré les synergies évidentes entre ces deux pays au plan sécuritaire, au plan politique et au plan humanitaire, le CICR estime qu'il s'agit de deux contextes tout à fait distincts et séparés, obéissant à des dynamiques qui se recoupent certes, mais qui demeurent locales et nationales. Il serait dangereux de les englober dans le concept d'AFPAK, très en vogue outre-Atlantique. Je traiterai donc successivement de l'Afghanistan, puis du Pakistan, avant d'en venir aux synergies et aux dynamiques communes à ces deux pays – elles s'étendent d'ailleurs bien au-delà, puisqu'on pourrait aussi évoquer la situation en Inde, au Bangladesh, en Asie centrale et en Iran.

Nous avons affaire, en Afghanistan, à un conflit armé non international avec une dimension internationalisée. Si j'insiste sur ce point, c'est qu'il ne s'agit pas d'une évidence pour tous. C'est une réalité qui n'est pas reconnue par certains politiques et militaires, y compris au sein de l'Union européenne, bien qu'elle soit indiscutable au plan diplomatique et au plan légal. Il s'agit d'une guerre, qui doit être régie par les règles du droit international humanitaire.

Depuis la fin de l'année 2001, un effort militaire et politique considérable a été réalisé en Afghanistan par la communauté internationale. Cet effort repose sur les troupes déployées par l'OTAN sous mandat onusien en vue de stabiliser la situation et de favoriser l'émergence d'un gouvernement représentatif et efficace, disposant d'une Constitution compatible avec les standards internationaux, et sur l'opération Enduring Freedom, menée par les États-Unis avec le soutien d'autres pays qui ne font pas nécessairement partie de l'OTAN. On compte aujourd'hui 150 000 militaires étrangers en Afghanistan, qui interviennent en renfort des troupes régulières afghanes, et réciproquement.

La révision stratégique lancée par la nouvelle administration américaine a consisté à améliorer la stratégie préexistante. Elle consiste, tout d'abord, à « nettoyer » l'Afghanistan de la présence d'islamistes radicaux, les talibans « classiques » qui ont constitué l'Émirat islamique d'Afghanistan n'étant qu'un élément parmi d'autres au sein d'une nébuleuse transfrontalière complexe, laquelle repose sur différents réseaux locaux et parfois internationaux ; elle consiste ensuite à « tenir » les régions préalablement nettoyées pour les maintenir à l'écart de l'influence du mouvement taliban, voire de son administration, et enfin à les « développer » pour favoriser une transition permettant le retrait des troupes étrangères et l'avènement d'un gouvernement afghan autonome, souverain et indépendant. La révision stratégique a insisté sur les aspects liés au développement, avec un renforcement des aspects militaires, en vue d'établir des conditions favorables à une transition aux alentours de 2011 ou 2012.

Le conflit connaît une sérieuse intensification, en particulier depuis 2008. Vous avez ainsi mentionné l'opération Mushtarak (« ensemble »), qui est menée dans le Helmand et plus généralement dans le Sud du pays, théâtre des conflits le plus aigus. Cette intensification est aussi bien qualitative – c'est là qu'on trouve la plus grande surface de contact militaire, avec le plus de victimes civiles – que quantitative – on constate une extension de cette surface de contact dans des régions jusque là préservées, au Nord et au Nord-Est. Le conflit touche maintenant une grande majorité des 34 provinces afghanes, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années.

L'intensification de l'effort militaire au cours des derniers mois a porté de sérieux coups aux militants talibans, au moins sur le plan tactique. On a également constaté une implication croissante du Pakistan dans la problématique afghane, en particulier depuis le mois de novembre dernier. Elle s'est manifestée par des vagues d'arrestation de cadres intermédiaires et supérieurs chez les talibans basés au Pakistan.

Les conséquences directes du conflit sont quantifiables sur le plan humanitaire, mais les statistiques ne représentent que la pointe de l'iceberg. On a compté, en 2009, environ 3 000 victimes civiles directes, ayant souffert de bombardements, d'assassinats ou d'opérations militaires, mais ce chiffre n'est pas représentatif de l'ampleur du problème humanitaire. L'insécurité générale liée au conflit rend, par exemple, l'accès aux soins particulièrement difficile. À moins d'habiter dans une ville, une femme ayant un problème au cours de sa grossesse court des risques très élevés de perdre son enfant et de mourir elle-même. Des centaines de millions de dollars ont été investi dans le processus de reconstruction, mais il tarde à produire leurs effets. À cela s'ajoutent des déplacements de population massifs – environ 400 000 personnes en Afghanistan, selon les chiffres du gouvernement afghan. Mais les actions humanitaires concernent avant tout les populations « résidentes », qui sont exposées aux violences armées et à leurs effets que j'ai évoqués.

Il y a aujourd'hui un gouffre entre les capacités du gouvernement et des agences internationales et la gravité de la situation humanitaire. Selon le CICR, l'opérationnalité des organisations humanitaires est aujourd'hui très limitée, voire nulle, quelles que soient leur rhétorique et leur communication. Le CICR dispose, pour sa part, de 160 expatriés et de 1 600 employés de délégation qui sont déployés sur le terrain. C'est peu par rapport aux besoins d'une population comptant plus de 20 millions de personnes dans un pays en guerre, mais notre action est la seule opération humanitaire présentant une vraie surface d'intervention et menée dans une approche multidimensionnelle – elle englobe l'assistance aux populations et leur protection contre les effets des hostilités. Je veux remercier les autorités françaises pour leur soutien sur le plan tant matériel que diplomatique. Notre action est vitale pour des millions d'Afghans.

Une première difficulté résulte de la proximité entre les humanitaires – aussi bien les Nations unies que les ONG, à quelques exceptions près – et l'effort militaire et politique sur le terrain. Dans certains cas, il y a même une véritable « insertion » dans cet effort militaire et politique. Nous sommes la seule organisation acceptée dans des régions qui sont sous le contrôle des talibans ou qui subissent une très forte influence de leur part. C'est que nous sommes engagés dans un dialogue structuré avec les talibans et les insurgés en général, et que nous faisons preuve de neutralité et d'indépendance.

Certaines petites ONG parviennent à réaliser un travail remarquable sur le terrain, mais leur intervention est toutefois limitée à un domaine très précis, et leur périmètre opérationnel extrêmement restreint.

Une seconde difficulté est que les Nations unies sont en phase III.9 pour ce qui concerne la sécurité, ce qui signifie une présence limitée à des bunkers et dans des villes, sous la protection d'une des parties au conflit – soit le gouvernement afghan, soit les forces de l'OTAN. Leur action n'a donc pas de portée opérationnelle significative.

À cela s'ajoute une insécurité croissante, qui n'est pas directement liée au conflit en tant que tel, mais à la fragmentation de la société afghane et à l'augmentation de la criminalité de base, laquelle est alimentée par toutes sortes de phénomènes. En guerre depuis bientôt trente ans, l'Afghanistan dépend dans une large mesure de trafics de toutes natures, dont le narcotrafic, et le pays est en proie à des dynamiques très locales et très tribales. C'est donc un milieu dans lequel il est très hasardeux de se déployer, en particulier avec des expatriés, perçus comme des chrétiens, des occidentaux et des espions.

Quelles sont aujourd'hui les perspectives ? Notre pronostic est que l'année 2010 devrait se caractériser par une augmentation de la surface de contact militaire, avec plus d'affrontements armés et plus de conséquences directes pour les populations. Nous nous y adaptons de façon dynamique dans la douzaine de structures que nous avons mises en place pour venir en aide aux populations résidantes et aux personnes déplacées et pour soutenir des infrastructures médicales, en particulier dans des régions qui ne sont couvertes par aucune autre organisation que la nôtre. C'est un travail humanitaire « classique », si je puis dire : il devrait y avoir, en 2010, plus de conflits, plus de victimes, plus de blessés, plus de prisonniers, plus de déplacés, plus de populations résidentes exposées aux combats et à l'insécurité.

L'année 2011 pourrait être celle de la réconciliation, ou du moins des tentatives en ce sens, conformément au tournant stratégique actuel. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir plus tard sur les modalités de cette évolution et sur ses perspectives de réussite, étant entendu que le CICR n'est pas un organisme de recherche ni une agence de renseignement.

On pourrait ensuite assister, en 2012, à un redéploiement de l'effort international qui dépendra de la capacité du gouvernement afghan à assumer ses responsabilités de gouvernement souverain.

Nos prévisions sont plutôt sombres : les efforts de réconciliation pourraient porter certains fruits, au moins en apparence, mais les dynamiques que nous constatons sur le terrain sont plutôt négatives, et laissent présager une poursuite de la fragmentation de la société afghane ainsi qu'une militarisation des milices au niveau local. On peut faire un parallèle entre la situation actuelle et celle de la fin des années 1980 : le retrait des forces soviétiques, qui soutenaient le gouvernement de l'époque, a été suivi par trois années de combats extrêmement durs et par l'apparition d'une multitude de milices, reposant sur des bases largement ethniques, en lutte pour le pouvoir et le contrôle des principaux axes économiques du pays.

Si l'Afghanistan est un pays important sur le plan géostratégique, le Pakistan l'est au moins tout autant. C'est en effet un immense pays qui compte 170 millions d'habitants et souffre d'un véritable problème d'identité nationale – il y a quatre grandes provinces et une forte diversité ethnique au Pakistan. Les problèmes sont latents au plan international, qui concernent aussi bien l'Afghanistan que l'Inde, avec la problématique du Cachemire. Le pays souffre également de graves tensions internes, qui se sont révélées au grand jour à partir de 2007. Il existe aujourd'hui une spirale consternante de violence : aux affrontements armés entre les forces gouvernementales et les milices talibanes se sont ajoutées des vagues de violence terroriste sans précédent, des tensions entre l'appareil politique et l'appareil militaire, ainsi que des tensions croissantes avec l'Inde.

Le nouveau pouvoir pakistanais, qui s'est installé après une longue période de régime militaire, avait suscité de grands espoirs, mais il n'a pas fait la preuve, pour le moment, qu'il était capable d'assurer une gouvernance respectant des standards acceptables pour les autorités provinciales – je reviendrai dans un instant sur les problèmes liés au droit international.

Le Pakistan subit des dynamiques de désintégration alimentées par toutes sortes d'acteurs locaux et internationaux. Les Pakistanais sont aujourd'hui victimes d'attaques terroristes fréquentes, en parallèle et en filigrane d'un affrontement très classique entre des forces gouvernementales et des forces islamistes qui ne se prévalent pas a priori du terrorisme comme d'un mode de fonctionnement et de combat. Le paysage est donc extrêmement complexe.

Le Pakistan subit non seulement de très fortes pressions externes, qui sont notamment liées à la question du Cachemire et au rôle joué par le Pakistan en Afghanistan, mais aussi des pressions internes très puissantes. Jusqu'en 2009, les talibans pakistanais ont réussi à étendre leur influence et même à administrer la vallée de Swat, hier connue pour ses qualités touristiques, et où s'était installé un début de califat qui prétendait s'étendre par la suite à l'ensemble de la région. Sur forte pression, notamment américaine, les forces gouvernementales se sont engagés dans une action militaire sans précédent qui a été tactiquement couronnée de succès : les autorités pakistanaises ont fait à Swat ce que les forces internationales et le gouvernement afghan n'ont pas réussi à faire en Afghanistan : « nettoyer », "tenir" et "reconstruiredévelopper" un territoire. Il reste que le conflit s'est déplacé dans d'autres régions, notamment au Sud de la North-West Frontier Province (NWFP), grande province pachtoune à la frontière de l'Afghanistan, et surtout dans les zones tribales, connues pour être sous-développées et pour offrir des sanctuaires aux talibans afghans et pakistanais.

D'autres dynamiques déstabilisatrices ont pour origine le Baloutchistan, enjeu géostratégique essentiel pour le Pakistan, et le Penjab, immense province dont il est généralement peu question alors qu'elle compte 100 millions d'habitants et constitue tout à la fois le poumon, le coeur et la chair du pays au plan économique et politique. On y assiste à une forme de talibanisation, marquée par la prolifération d'écoles religieuses, les madrasas, qui forment des jeunes imprégnés d'une idéologie islamiste radicale.

La qualification de la situation du Pakistan est beaucoup plus sensible que celle de l'Afghanistan, où il est admis qu'il s'agit d'un conflit interne internationalisé. Le CICR considère que les règles du droit de la guerre doivent s'appliquer dans le cas du Pakistan, mais les autorités nient l'existence d'un conflit armé sur leur territoire et refusent même de reconnaître la validité des règles issues du droit international humanitaire dans le cadre du conflit avec les talibans pakistanais. La position du CICR est qu'il faut distinguer la qualification statutaire de la situation, question éminemment politique et diplomatique sur laquelle nous préférons nous abstenir de nous prononcer, et le respect de la disposition légale rattachée à la situation de conflit, que l'engagement des forces de sécurité doit respecter.

Quel que soit le terme retenu pour qualifier l'intervention du pouvoir pakistanais, qui utilise son aviation, son artillerie et son infanterie, un cadre légal doit s'appliquer. On se trouve aujourd'hui dans un conflit dépourvu de tout cadre juridique pertinent, ce qui pose un problème sur le plan humanitaire. Force est de constater que nous n'avons pas tout à fait la même grammaire que les autorités pakistanaises.

Nous constatons que le conflit se déplace de plus en plus du Nord vers le Sud. Les districts de Dir, de Buner et de Hangu sont en effet le théâtre de déplacements de population massifs et de vastes opérations militaires et de sécurité. On a compté ces derniers mois près de 3,5 millions de personnes déplacées, et l'on assiste à des vagues d'attentats terroristes indiscriminés, qu'il faut distinguer des affrontements militaires ciblés sur les forces en présence.

Contrairement à l'Afghanistan, le Pakistan n'a pas d'espace humanitaire indépendant. L'action des Nations unies s'inscrit dans le cadre de la réponse gouvernementale au problème sécuritaire et n'apporte pas de réponse indépendante et strictement humanitaire, laquelle consisterait à identifier les problèmes de façon apolitique et tenter d'y apporter remède de la même manière. Le CICR est la seule organisation capable de le faire aujourd'hui. Nous avons été les seuls à nous occuper de près de 1,5 million de personnes qui étaient délaissées par l'effort humanitaire du gouvernement ou des Nations Unies. Il s'agit souvent des villageois, femmes, hommes et enfants, issus de régions associées aux mouvements islamistes et terroristes.

Au Pakistan, l'espace humanitaire se limite, pour nous, à la possibilité d'apporter une assistance d'urgence, destinée en particulier aux personnes déplacées et, dans certains cas, aux populations résidentes, et d'intervenir au plan médical. Or, après des mois de préparation, nous avons dû renoncer à ouvrir un hôpital chirurgical à Quetta, dans la province du Baloutchistan, parce que les autorités pakistanaises ne nous ont finalement pas donné leur autorisation. Dans le cadre de la protection des populations contre les effets des hostilités et des violences armées, un accord avec les autorités pakistanaises devait nous permettre de visiter les prisonniers dans tous le pays, mais celles-ci ne nous ont pas permis d'aller au-delà d'une première série de visites. De plus, il n'y a pas, au Pakistan, d'équivalent du dialogue approfondi que nous avons engagé avec le gouvernement afghan, les forces de l'OTAN et les différentes forces engagées dans l'opération Enduring Freedom. Nous ne parvenons pas à discuter avec les autorités pakistanaises de la conduite des opérations militaires, c'est-à-dire du respect des obligations de l'État à l'égard des populations civiles et des non-combattants, alors qu'il y a des problèmes évidents dans ce sens.

On assiste à une fragmentation et à une radicalisation des mouvements islamistes et, même s'il en est peu question dans la presse et dans les sphères diplomatiques, la situation continue de se dégrader au Baloutchistan. L'idée, désormais unanimement admise, que le Pakistan ait enfin rejoint le camp des pays engagés contre le terrorisme international empêche parfois d'être pleinement lucide sur la réalité locale, notamment au plan humanitaire.

Le rôle joué par le Pakistan en Afghanistan va croissant, comme en ont témoigné les arrestations de cadres talibans que j'évoquais tout à l'heure. Islamabad entend exercer son influence dans la région.

En Afghanistan, on constate empiriquement que l'effort militaire porte ses fruits sur le plan tactique : le mouvement taliban, au sens large du terme, a subi de nombreux coups et se trouve dans une position de recul. Il y a aujourd'hui une fragmentation des forces talibanes et un aplatissement de leur organigramme, ce qui rend plus complexes les négociations que nous devons mener pour faire accepter notre présence ou pour minimiser les dégâts humanitaires générés par les combats et l'insécurité. Nous avons, pour notre part, un dialogue très structuré avec la choura de Quetta et avec les différents acteurs locaux : les talibans ont mis en place une sorte de gouvernement de l'ombre sur l'ensemble du territoire afghan. Le CICR étant indépendant de tout organisme politique, y compris intergouvernemental, nous ne sommes pas tenus par les différentes interdictions de négocier avec tels ou tels acteurs qui ont été émises : nous sommes engagés dans un dialogue portant sur la conduite des hostilités et sur le comportement des acteurs face aux civils avec tous les acteurs pertinents.

Nous constatons que les cadres avec lesquels nous avions l'habitude de négocier sont progressivement remplacés par des hommes plus jeunes, qui sont plus radicaux et qui ne sont pas habitués à discuter avec nous. Leur logique est moins nationaliste et plus internationaliste.

Quelle pourrait être la capacité du gouvernement à devenir autonome ? Je ne peux vous donner que quelques indications.

Le CICR s'occupe aujourd'hui de plus de 100 000 amputés de guerre. Quand bien même n'y aurait-il plus de nouveaux patients dans nos centres orthopédiques, ce qui est irréaliste, nous avons quarante années de travail devant nous, car il n'existe aucune perspective concrète de remettre cette tâche à un quelconque ministère de la santé ou de la réhabilitation. Plus généralement, les Afghans eux-mêmes vous diront de manière quasi unanime que la perspective d'instaurer un gouvernement légitime et vraiment représentatif des populations locales d'ici deux à trois ans est très théorique.

On peut en effet s'interroger sur la capacité fonctionnelle et institutionnelle du gouvernement à assurer l'ordre et à faire régner la loi. Si l'armée afghane a atteint un niveau certain de compétence et de solidité institutionnelle, en particulier grâce aux efforts de la communauté internationale, ce n'est pas le cas de la police et de l'appareil judiciaire, perçus par une grande partie de la population afghane comme un mal pire encore que les talibans – je ne parle pas de la population vivant dans des régions relativement sécurisées et peu touchées par le conflit.

Dans le domaine économique, les centaines de millions de dollars qui ont été investis dans le pays ont essentiellement servi à une réhabilitation de l'infrastructure des villes, alors que l'histoire a montré, des Mongols aux soviétiques en passant par les Britanniques, que les guerres se jouent dans la périphérie de l'Afghanistan. Or rien n'y est fait.

Pour ce qui est de la lutte contre le narcotrafic, de grands efforts ont été réalisés, mais on a longtemps assisté à une instrumentalisation des forces internationales par les barons de la drogue, qui ont utilisé leur action pour lutter les uns contre les autres. On fait aujourd'hui preuve d'une plus grande lucidité, mais je n'en dirai pas plus.

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