Permettez-moi de revenir sur cette maxime floue et grandiloquente par laquelle vous définissiez le Grand Paris : il s'agirait en effet d' « imaginer la région capitale de demain ».
Tel que vous l'avez décrit, et au fur et à mesure des interventions des parlementaires, je me demande si nous sommes, en particulier vous, monsieur le secrétaire d'État, dans la même réalité.
Avez-vous pris en compte tous les éléments depuis septembre 2008 ? Le Premier Ministre lui-même, en 2008, n'a-t-il pas construit son budget pour 2009 sur l'hypothèse d'un taux de croissance de 1 % qui n'a pas du tout été atteint ? Vous me direz que 2010 montre des signes de reprise. Je vois au contraire les signes d'une nouvelle récession. Les cours de la bourse, que l'on suit tous les jours, ne nous invitent guère à l'optimisme. Les ministres des finances, pas plus que les chefs d'État ou de gouvernement, ne savent à quel saint se vouer pour imaginer des plans de rigueur. Je vois mal, dans ces conditions, comment l'investissement considérable que vous projetez – 21, 23, ou 25 milliards, voire davantage car tous les projets d'infrastructure connaissent des dérives – pourrait se réaliser.
C'est pourquoi je ne crois pas que le Grand Huit de Christian Blanc, comme le Grand Paris que vous nous proposez, verra le jour – et pas plus qu'un autre d'ailleurs – : la réalité impliquerait la réalisation d'un projet tout différent.
Vous évoquiez la croissance – axiome indiscuté –, encore faudrait-il qu'elle soit au rendez-vous ! Or la présence de l'actuelle majorité au pouvoir depuis huit ans ne l'a pas permis, et cela pour des raisons structurelles et non à cause d'une éventuelle mauvaise politique économique imputable à M. Sarkozy, M. Fillon ou Mme Lagarde. Les chiffres de l'INSEE publiés la semaine dernière par Le Monde montrent que, depuis 1960, le taux de croissance du PIB n'a cessé de diminuer en France, dans les pays qui font aujourd'hui partie de la zone euro et même aux États-Unis. Je n'ai pas le loisir d'en expliquer la raison profonde mais ces données vont à l'encontre du type de projet que vous défendez.
L'excellent Jean Nouvel, dans une tribune parue dans Le Monde du 20 octobre 2009, écrivait, à propos du texte, bien qu'il ait été, depuis, amélioré sur certains points : « C'est un projet de loi conflictuel qui ne donne aucune garantie d'utilité publique s'il n'est pas relié à une stratégie urbaine précisée et située. » Voilà ce qu'on peut globalement lui reprocher : il fait quelque peu fi du contexte. Vous donnez l'impression de croire que le Grand Paris – qui s'étendrait même jusqu'au Havre, si l'on suivait l'idée du Président de la République –, naîtrait de la réalisation du grand métro – un investissement considérable –, qui devrait entraîner tout le reste. Ce ne sera pas le cas.
Font défaut au projet certains choix urbanistiques, des enjeux environnementaux ainsi que des conditions sociales qui vous importent peu, semble-t-il. Vous faites montre d'une sorte d'ambition démiurgique pour bâtir une mégalopolis digne d'un mauvais roman de science fiction.
Ce projet me paraît donc déraisonnable, antiécologique et antisocial : déraisonnable parce que ne relier que des pôles d'activité ne constitue pas l'urgence en Île-de-France alors qu'il conviendrait de favoriser la mobilité entre le domicile et le lieu de travail ; antiécologique si l'on considère que ce texte n'est pas du tout « Grenello-compatible » – et Dieu sait si j'ai une admiration modérée pour le Grenelle de l'environnement ; antisocial enfin puisque, une fois de plus, on renforce la centralisation du pays au moment où il faudrait faire l'inverse pour assurer sa résilience à la crise qui vient et va se développer.
C'est pourquoi, malgré vos mouvements d'épaules…