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Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 19 mai 2010 à 12h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Permettez-moi tout d'abord de revenir sur le contexte ayant conduit à la réunion exceptionnelle, le 7 mai, des chefs d'État et de gouvernement des pays de la zone euro.

Un mécanisme spécifique de soutien à la Grèce avait déjà été mis en place sous la forme de prêts bilatéraux, à hauteur de 80 milliards d'euros pour les pays de l'Eurogroupe et de 30 milliards pour le Fonds monétaire international. Lorsque, le 23 avril, la Grèce a demandé l'activation de ce mécanisme et la mise en oeuvre des prêts bilatéraux, on a commencé à observer sur les marchés boursiers – en particulier sur le marché de refinancement des dettes souveraines et sur le marché interbancaire – une volatilité et une fébrilité, caractéristiques qu'en d'autres temps, M. Greenspan aurait probablement qualifiées « d'exubérance irrationnelle ». Ces mouvements ont culminé entre le 3 et le 7 mai, semaine pendant laquelle la bourse a perdu 11 %, tandis que des tensions – qui toutefois n'avaient pas l'ampleur et la brutalité de celles observées immédiatement avant et après la faillite de Lehman Brothers – se manifestaient sur le marché interbancaire. Par ailleurs, les spreads des taux d'intérêts mesurant le rendement des emprunts sollicités par les États de la zone euro ont augmenté de façon considérable, notamment s'agissant des États du Sud de la zone : Grèce, Portugal, Espagne. Ainsi, en Grèce, le spread des taux des emprunts à dix ans par rapport à celui des emprunts de l'Allemagne a dépassé les 1 200 points de base, ce qui est considérable.

Une telle situation justifiait que soient réunis les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro, une initiative inhabituelle – une telle réunion n'avait eu lieu qu'au moment de la crise financière – et non prévue par les traités. Cette réunion s'est tenue le 7 mai et a donné lieu à un accord politique en faveur de la stabilité et de l'unicité de la zone. La demande a été faite à la Commission et aux vingt-sept ministres de l'économie de l'Union européenne de mettre en place les mécanismes appropriés pour répondre à l'évolution des marchés.

Notons que cette évolution ne se résume pas à des mouvements de spéculation. Il est facile de s'en prendre aux spéculateurs, et on a raison de le faire – la France est d'ailleurs loin d'être la moins active en matière de régulation financière –, mais, si on analyse de façon objective les mouvements effectués entre le 3 et le 7 mai, ceux-ci n'avaient rien de spéculatif. Il s'agissait en fait de mouvements de retrait, effectués par des gérants de fonds très importants – banques, compagnies d'assurance – au vu de la situation des pays européens, notamment des plus fragiles d'entre eux.

En se fondant sur l'article 122-2 du traité instituant la Communauté européenne, la Commission a proposé, dans la nuit du 9 mai, de mettre en place, sur le modèle du fonds d'aide à la balance des paiements dont avait bénéficié la Hongrie, un mécanisme communautaire de soutien. Toutefois, celui-ci, avec une capacité de 60 milliards d'euros, ne constituait pas une réponse suffisamment forte aux inquiétudes des marchés. Une structure intergouvernementale, le Fonds européen de stabilité financière, le FESF, a donc été créée en dehors des institutions communautaires. Limité aux seize États membres de l'Union européenne ayant adopté l'euro, il est doté d'une capacité d'emprunt de 440 milliards, ce qui représente donc un total de 500 milliards avec les 60 milliards de l'instrument communautaire. Par ailleurs, le Fonds monétaire international s'est engagé à apporter en complément 50 % de toute somme qui serait engagée.

Le FESF fonctionne un peu comme la SFEF, la Société de financement de l'économie française, que nous avons créée ensemble et qui a permis aux banques de se refinancer aux pires moments de la crise financière. Dans la mesure où le gestionnaire choisi est la Banque européenne d'investissements, basée à Luxembourg, le FESF est une institution de droit luxembourgeois, et non britannique comme l'était la structure intergouvernementale concernant les prêts grecs. Un représentant de chacun des 16 États membres de la zone euro siégera à son conseil d'administration. Bien que d'autres pays comme la Suède et la Pologne aient manifesté leur volonté de participer à des opérations spécifiques, il nous a paru plus simple de limiter son périmètre aux pays de la zone euro.

L'article 3 du projet de loi de loi de finances rectificative prévoit donc l'octroi par la France de sa garantie au Fonds européen de stabilité financière. Sa quote-part correspond à la part qu'elle détient dans le capital de la BCE et s'élève donc à 20,37 % – elle était de 20,97 % lorsque la Grèce n'était pas incluse dans le mécanisme. Elle sera majorée de 20 % afin de prévoir l'hypothèse dans laquelle le fonds serait mobilisé en faveur d'un État membre défaillant, lequel, par définition, ne pourrait lui-même apporter sa garantie. Compte tenu de cet apport supplémentaire, cette quote-part sera donc de 111 milliards d'euros et non de 90 milliards.

La garantie, dans l'hypothèse où elle serait utilisée, serait bien évidemment rémunérée. La rémunération serait égale à la différence entre le coût du recours au marché rendu nécessaire par les besoins de financement de l'État en détresse et le taux d'intérêt consenti par le Fonds monétaire international. Par ailleurs, en contrepartie de son octroi, des conditionnalités – consolidation budgétaire, réformes structurelles – seraient demandées à l'État concerné.

Lors de la réunion du G20 à Londres, il avait été décidé d'augmenter de 500 milliards de dollars la capacité de financement du Fonds monétaire international. L'article 4 permet donc à la France de remplir ses obligations à l'égard de l'institution financière en apportant une contribution additionnelle à hauteur de 18,7 milliards de DTS, soit 21 milliards d'euros. Il nous a paru cohérent d'inclure cette disposition dans le projet de loi de finances rectificative dans la mesure où toute activation du Fonds européen impliquerait la participation du FMI, dont les capacités de financement dépendent des droits de tirage spéciaux des États. Bien entendu, nous espérons que son intervention ne sera jamais requise : tel est le sens des engagements pris par les pays de la zone euro, qu'il s'agisse de consolidation budgétaire, de réformes structurelles ou de mesures de soutien à une croissance intelligente.

Vous avez évoqué l'instabilité des marchés. La nuit dernière, la BaFin – équivalent allemand de l'Autorité des marchés financiers – a décidé d'interdire la vente à découvert de certaines actions financières, une mesure que la France applique sans discontinuité depuis le mois de septembre 2008. Mais – et cela me surprend – l'Allemagne a également décidé, sans prévenir les pays de la zone euro, d'interdire la vente à découvert sur les titres souverains de ces pays et sur les CDS des mêmes titres. Cela pose un vrai problème en termes de liquidité, car ils sont échangés en particulier sur le marché allemand. Une mesure aussi inhabituelle nous amène à nous interroger. J'ai donc suggéré à Jean-Pierre Jouyet d'inviter le CESR, le comité européen des régulateurs de marchés, à se réunir rapidement afin d'évaluer la pertinence de cette initiative, quitte à en demander la généralisation dans le cas où ces titres et leurs CDS se révéleraient gravement menacés.

J'en viens à l'information croisée au sujet des budgets nationaux. Hier, devant le conseil ECOFIN, j'ai rappelé à nouveau le caractère souverain et prioritaire du Parlement pour ce qui concerne l'examen et le vote du budget, dans sa partie « recettes » comme dans sa partie « dépenses ». Pour autant, ce principe intangible n'exclut pas que les pays avec lesquels nous partageons une même monnaie et la Commission puissent examiner l'ensemble des grandes lignes budgétaires, afin d'en vérifier la cohérence avec le pacte de stabilité et de croissance, mais aussi avec les autres budgets nationaux – car ce qui se décide dans un pays intéresse également les autres. Cette information croisée est nécessaire, et elle ne remet pas du tout en cause la souveraineté du Parlement. De même, je souhaite que les deux assemblées – ou tout au moins leurs commissions des finances – s'approprient le pacte de stabilité et de croissance. Si nous voulons assurer une meilleure convergence sur le plan économique et sur le plan budgétaire, ce pacte doit faire partie des documents de référence.

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