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Intervention de Fernand Verger

Réunion du 19 mai 2010 à 16h00
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête xynthia

Fernand Verger, géographe, professeur à l'école normale supérieure, membre du Conseil national du littoral :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais avant tout dire une chose : la tempête Xynthia était certes exceptionnelle pour notre époque, mais ce phénomène s'est produit assez souvent au cours de l'histoire.

Je poursuivrai en rappelant les oeuvres de Louis Chevalier, qui fut professeur au Collège de France et auteur de Classes laborieuses, classes dangereuses, ouvrage souvent réédité et qui fonde la géographie et la sociologie urbaines. Louis Chevalier, né en 1911 et mort en 1981, était natif de L'Aiguillon-sur-Mer. Il a publié avant de mourir un ouvrage de souvenirs intitulé Les Relais de la mer, dans lequel il rappelle que les populations oublient, que les souvenirs « s'enfouissent dans la vase » et qu'en 1738, une terrible tempête avait emporté le berger de la ferme de Ribaudon, entre L'Aiguillon-sur-Mer et Saint-Michel-en-L'Herm, qui mourut noyé avec plus de 300 moutons. En relisant ces pages, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la ferme de la Prée Mizottière, où le fermier, installé sur un terrain de la réserve de la baie de l'Aiguillon, a perdu avec Xynthia 600 brebis. Louis Chevalier rappelle en outre, dans Les relais de la mer, que deux ans après cette tempête de 1738, une autre avait conduit les eaux presque jusqu'au port de Luçon. Les phénomènes se répètent.

Voici comment le même auteur parle du pays de son enfance : « Il y a des vases que la haute mer recouvre encore, celles que les grandes marées seules atteignent, celles qui déjà se dessèchent et sont en passe de devenir, à l'abri de plusieurs épaisseurs de tamarins, terres de pâturage et bientôt de culture, à moins que la mer, dans un accès de colère, ne s'empare à nouveau de ce qui s'est édifié à son insu ou de ce qu'elle a laissé faire, mais qui reste son bien ». Ce texte montre à quel point Louis Chevalier était préoccupé par le fait que la mer reprenne son dû. C'est une inquiétude permanente pour les historiens et les géographes.

Plus près de nous, il y eut d'autres inondations : celle du 16 novembre 1940, avec un coefficient de 88, et celle de décembre 1999, avec un coefficient de 77 seulement. Cela m'a amené à écrire, en 2008, dans un fascicule du Conservatoire du Littoral : « On imagine mal ce que donnerait la conjonction d'une tempête exceptionnelle et d'un coefficient élevé ». Je ne pensais pas alors que cela se produirait si peu de temps après.

De tels événements sont prévisibles ; nous devons donc nous y attendre et nous en préoccuper. Dans les années 1970, j'ai écrit dans la notice accompagnant la carte géologique au 50 000edont je suis l'auteur : « La défense contre la mer est préoccupante, surtout dans la région de L'Aiguillon ». En 2008, Stéphane Raison a lui aussi évoqué les digues de bordure du Lay.

C'est avec une certaine satisfaction que je constate le développement de ce que l'on appelle aujourd'hui la géohistoire. Je rencontre sur toutes les côtes des personnes qui se préoccupent de conserver la mémoire des cataclysmes. Leurs études sont un enseignement fort utile pour ceux qui sont amenés à prendre des décisions.

J'ai cherché à savoir, me déplaçant autour de l'anse de l'Aiguillon, à quel niveau était arrivée la mer. Beaucoup de bateaux se sont retrouvés sur les digues parce qu'ils ont été portés par un niveau d'eau supérieur à ces dernières. Leur étrave a frotté sur le sommet des digues et ils s'y sont immobilisés. Cet exemple montre combien il est important de déterminer la cote de la montée des eaux lors du passage de Xynthia.

Selon les prévisions du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) installé à Brest, cette cote aurait été, en tenant compte de l'élévation constatée par les marégraphes, de trois mètres à La Rochelle, avec une surcote de quarante centimètres, liée à la dépression atmosphérique, et une décote de quatre mètres. Il s'agit de cotes IGN 69, établies en fonction du nivellement général de la France (NGF) de l'Institut géographique national (IGN) de 1969. La cote NGF a été corrigée en 1969 pour la France métropolitaine et en 1972 pour la Corse, mais je préfère utiliser les cotes IGN 69 car les archives posent parfois des problèmes d'interprétation, d'autant que je préconise le recours aux archives anciennes.

Concernant les polders, il est important de les drainer, car une inondation d'eau salée est d'autant plus grave qu'elle dure longtemps. Il faut éviter que l'eau de mer stagne.

L'un de mes livres montre un schéma qui a fait dire à quelques méchantes âmes que j'étais prémonitoire en coloriant en bleu clair les polders – que l'on appelle en Vendée des prises – et en vert le marais, qui est plus ancien. Il se trouve en effet que ce schéma correspond pratiquement à celui de l'inondation provoquée par Xynthia.

Un profil que j'ai réalisé il y a plusieurs années décrit le niveau des prises successives édifiées au fil du temps : si le niveau des plus anciennes est plus bas, c'est parce qu'elles ont été conquises trop rapidement – lorsque les terres n'étaient pas « mûres », comme on disait autrefois. Pressés de conquérir du terrain, les gens édifiaient des polders trop bas, avec pour conséquence une déshydratation et un tassement de ceux-ci.

La submersion de la digue route qui conduit à la ferme de la Prée Mizottière a eu pour effet une érosion est très importante. Les eaux, par un effet de surverse, attaquent le revers de la digue et répandent les sédiments dans les polders intérieurs. C'est un phénomène dont il faut tenir compte.

À ce titre, la digue d'en Bas présente un grand intérêt. Il n'y a pas eu de brèche, mais la mer est passée au-dessus de la digue de mer, provoquant une forte érosion et envoyant les matériaux dans le polder de la digue d'en Bas, dans la commune de Sainte-Radégonde-des-Noyers.

Souvent, après l'érosion du revers d'une digue, la mer crée une brèche. Nous avons tendance à croire qu'il faut lutter en dressant une muraille du côté de la mer, qui est l'ennemie. Mais c'est son débordement ainsi que l'érosion qui s'ensuit de la partie interne de la digue, souvent mal protégée et trop raide, qui créent pratiquement toutes les brèches. C'est ce qui s'est produit pour la digue du Maroc.

Je voudrais à présent vous faire part du fruit de mes réflexions sur la « zone noire », que l'on appelle désormais « zone de solidarité nationale ». Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la façon dont elle a été délimitée, car elle ne tient pas assez compte de la géomorphologie. Ainsi, une maison située rue du Banc des Marsouins à La Faute-sur-Mer a été située en zone noire bien que construite sur un crochet dunaire d'une dénivellation de 1,50 m à 1,80 m. Les délimitations ont, selon moi, été établies dans une certaine précipitation. Elles auraient dû davantage tenir compte de la géomorphologie.

Tous ces exemples illustrent le caractère dramatique de ce qui s'est produit, mais n'oublions pas que le niveau de la mer a augmenté de vingt centimètres depuis 150 ans.

Il est clair que nous assistons à une accélération de la montée du niveau de la mer, ce que confirment les données altimétriques du satellite Topex-Poséidon et de ses successeurs, Jason-1 et Jason-2. Je rappelle qu'à l'ère quaternaire, après la dernière glaciation, la mer a augmenté d'une centaine de mètres, pour aboutir au niveau actuel. Dans une perspective géologique, on ne s'interdit pas d'imaginer que nous pourrions assister à des mouvements relatifs de la terre et de la mer. Les études prospectives à court et moyen terme en tiendront compte et je suis persuadé que nous serons amenés, au cours du XXIe siècle, à réfléchir à la montée du niveau de la mer.

Je voudrais maintenant aborder quelques questions que nous devons nous poser.

Faut-il conserver les digues de mer ? Pas toutes. Les exemples de dépoldérisation sont nombreux : on en compte une cinquantaine en Europe occidentale et un certain nombre aux États-Unis. Aux Pays-Bas, on a détruit le polder Hedwige, situé sur la rive gauche de l'Escaut occidental. En Grande-Bretagne, on a utilisé des bulldozers pour ouvrir des brèches dans un polder situé au bord du Wash. En France, le polder de Mortagne-sur-Gironde, qui servait autrefois uniquement à la céréaliculture, a été acheté par le Conservatoire du Littoral après la tempête de 1999, alors qu'il était envahi par la mer. Le Conservatoire a décidé de ne pas obstruer les brèches et de laisser faire les marées. Cette expérience a intéressé le Cemagref, et nous nous sommes aperçus que la dépoldérisation était bénéfique sur le plan écologique. Le polder a permis l'installation d'une nourricerie d'alevins de soles et de gobies, et de nombreux poissons s'y développent. Ainsi envahi par la mer, le polder est producteur de matières organiques et, étant soumis à la marée, il exporte cette matière.

Faut-il restaurer les digues ? La question se pose pour celle de la Bosse, qui est située entre la digue d'en Bas et la Prée Mizottière. Tout dépend en fait des enjeux que représentent les terrains protégés par la digue. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas systématiquement restaurer une digue. Il convient simplement de procéder à une étude économique, les coûts étant différents selon que l'exploitant agricole, par exemple, réside ou non sur le terrain en question.

Si l'on décide de conserver une digue, il faut surtout en préserver les revers. Souvent, les profils des digues sont trop raides et ne demandent qu'à s'effondrer par pans car leur matériau a été prélevé sur les prés salés – les schorres – qui sont composés d'argiles à structure prismatique, ce qui entraîne, du fait de l'évaporation de l'eau, l'apparition de fentes de dessiccation. J'ai pu en constater un trop grand nombre dans les digues que j'ai étudiées. De plus, si les digues étaient autrefois pâturées par des moutons qui, en piétinant, bouchaient les fentes et entretenaient le terrain, tel n'est plus le cas aujourd'hui : je n'ai pas vu le moindre mouton sur les digues de Vendée. Or, il faut craindre les brèches plus que la submersion. Si une digue résiste à la submersion, l'inondation n'est pas catastrophique, car on peut toujours évacuer l'eau salée vers les polders, ce qui n'est pas dommageable, je le répète, si l'inondation est courte. On peut toujours faire venir de l'eau douce et, si besoin est, du gypse, qui reste un traitement intéressant pour les digues en terre de prés salés, en dépit de ses effets déstabilisants sur celles-ci car il est très soluble dans l'eau à la température ambiante.

Du fait de l'élévation du niveau de la mer, faut-il empêcher toute submersion ? Peut-être pas, mais il faut éviter que la submersion entraîne la formation d'une brèche.

Dans les régions urbaines, industrielles et portuaires, il convient naturellement de protéger les digues. À cet égard, les autorités proposent de supprimer les habitations dans les zones inondables. C'est certainement une opération pédagogique à valeur d'exemple, mais si la tempête est passée en 1999 sur la Charente-Maritime et en 2010 sur la Vendée, principalement, et sur la Charente-Maritime à nouveau, elle pourrait passer dans beaucoup d'endroits ailleurs.

Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à Météo France. Lorsque j'ai entendu l'alerte le samedi soir à Bordeaux, non seulement la Charente-Maritime et la Vendée méridionale étaient parfaitement ciblées, mais il suffisait de regarder le ciel pour comprendre, en voyant la pleine lune, annonciatrice d'une grande marée, que le cumul d'un gros coefficient de marée et d'un avis de tempête ne pouvait qu'avoir des conséquences catastrophiques.

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