C'est désormais chose faite, des élections auront lieu en 2014 pour élire les futurs conseillers territoriaux. La question qui se pose à nous aujourd'hui est d'envergure : des conseillers territoriaux pour quoi faire ?
Depuis 1982, la France s'est lancée dans une démarche de décentralisation, avec la ferme volonté de répondre au mieux, au plus près et avec succès, aux préoccupations des Français.
Or, le projet de réforme des collectivités territoriales est mal inspiré parce qu'il ne simplifiera ni ne clarifiera quoi que ce soit. Il pousse à la fusion-absorption de l'échelon de proximité par un autre échelon plus vaste en superficie ou plus important en nombre d'habitants. Mais pour économiser combien ? Et être plus efficace en quoi ?
La réforme est censée apporter lisibilité et simplification de l'organisation territoriale et des finances locales pour plus d'efficacité et d'économies par la limitation des financements croisés, la réduction du nombre d'élus et de collectivités.
En ce qui concerne la lisibilité et la simplification, il suffit de lire le projet de loi pour comprendre. Ce dernier est encombré de détails réglementaires, saucissonné en tranches sans liens entre les finances, les compétences et l'organisation. Il répond à des problématiques opposées. Il y a donc de quoi douter.
Vient ensuite l'efficacité. Les collectivités sous perfusion étatique seront-elles plus efficaces que des collectivités fiscalement autonomes et responsables devant leurs électeurs ? Les conseillers territoriaux géreront-ils mieux les départements que les conseillers généraux actuels ? Et à qui fera-t-on croire que renforcer le cumul des fonctions en fusionnant deux mandats est un gage de progrès et d'efficacité ?
Par ailleurs, prenons garde à trois idées reçues. Première idée reçue, il y aurait en France trop d'élus. À l'image des autres pays européens, comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Italie, la France possède trois niveaux de collectivités : les régions, les départements et les communes. Pouvons-nous décemment faire croire à nos concitoyens que c'est en divisant par deux le nombre de conseillers régionaux et généraux que nous pourrons résorber la dette de l'État ? La France est ainsi faite qu'il existe aujourd'hui trente-six mille communes. Il ne s'agit pas d'une faiblesse mais d'une richesse historique, géographique et culturelle sur laquelle il faut savoir s'appuyer.
Deuxième idée reçue, les financements croisés seraient compliqués et source de gaspillages. C'est une terrible erreur. D'abord parce que les élus locaux et les associations savent parfaitement comment cela fonctionne. Mais aussi parce que les financements croisés permettent au contraire de faire émerger des initiatives locales de qualité, qui répondent d'abord à des enjeux d'intérêt général et non à des enjeux soumis à des considérations politiques.
Troisième idée reçue, les collectivités territoriales coûteraient cher. Faut-il rappeler que depuis 1982, les collectivités territoriales ne prélèvent que 20 % des impôts de notre pays et réalisent 73 % des investissements publics ? Faut-il rappeler que leur dette, consacrée principalement à l'investissement, a même diminué depuis 1982 et se situe aujourd'hui aux alentours de 7 % du PIB ? Faut-il rappeler que, parallèlement, depuis 1982, la dette de l'État destinée non pas à l'investissement mais à son fonctionnement a triplé pour atteindre presque 50 % du PIB ? Le procès fait aux collectivités territoriales s'appuie sur une négation totale de la réalité. Ce ne sont pas elles qui coûtent cher aux contribuables, c'est le fonctionnement de l'État.
Mais ce qui est le plus grave dans ce projet de loi, c'est la suppression de la clause générale de compétence, qui a largement fait les preuves de son utilité.
La remise en cause de la clause générale de compétence, c'est la remise en cause des libertés locales. C'est l'étouffement des initiatives locales et du dynamisme des collectivités. Remettre en cause la clause générale de compétence signifie réduire les régions et les départements à de simples établissements publics, voire des services déconcentrés de l'État. La fin de la clause générale de compétence revient à transformer les conseils généraux en simple distributeurs d'aides sociales sans prise avec la réalité économique du département.
Cette réforme des collectivités territoriales, mes chers collègues, va coûter cher à la France. Plus cher qu'en l'état actuel des choses. Pourquoi ? Tout d'abord parce qu'elle va entraîner l'éloignement des centres de décision. Cet éloignement représente une régression démocratique. De plus, la répartition rigide des compétences aura pour conséquence de couper les ailes de nos départements et de favoriser à terme leur disparition. Cela va engendrer des manques de réactivité, des manques de souplesse et cela va surtout provoquer l'attente, l'inaction des pouvoirs publics et le mécontentement de la population. Enfin, ces conseillers territoriaux seront, de fait, coupés des maires des petites communes, eux-mêmes fondus dans des cantons trop grands.
Sans liberté d'action, sans innovation, sans capacité d'adaptation, sans rapidité d'intervention, les collectivités territoriales ne pourront répondre au mieux aux besoins de tous. La démarche de recentralisation proposée par ce projet de loi et son article 35 nous éloigne de tous les efforts consacrés jusqu'à maintenant pour dynamiser nos départements et en particulier les zones rurales.
La clause générale de compétence est la raison d'être de nos collectivités territoriales, c'est le poumon de nos départements. Sans elle, la fonction d'élu local, d'élu de proximité, n'aurait plus de sens.
Pour conclure, je rappellerai que l'identité française, c'est aussi une certaine façon d'habiter la France, territoire uni par sa diversité, avec ses petites communes et ses grandes villes. Notre organisation politique et administrative résulte de cette histoire. C'est notre devoir de ne pas l'oublier.