Là ne s'arrêtent pas les soupçons d'inconstitutionnalité qui pèsent sur le dépôt de cet amendement. En effet, selon les dispositions de l'article 39, alinéa 3, de la Constitution, « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». En application de cette disposition, l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 a prévu que les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact, sauf ceux cités à l'article 11. Une circulaire datée du 15 avril 2009 et signée de l'actuel Premier ministre a insisté sur l'importance des études d'impact. Reconnaissez que la présentation au Parlement d'une nouvelle étude d'impact eût été utile et efficace, et vous eût surtout permis, accessoirement, de vous conformer à la nouvelle procédure que vous avez vous-mêmes créée en 2008…
Pire encore : non seulement vous avez fait voter un amendement en commission des lois fixant le nombre des conseillers territoriaux, mais vous avez aussi réalisé une répartition entre régions et départements sans en informer préalablement l'Assemblée. C'est un mépris sans précédent pour le Parlement.
L'ombre de l'inconstitutionnalité plane donc une nouvelle fois sur votre projet de loi, en raison des changements que vous avez récemment apportés.
Je souhaite revenir sur la création des conseillers territoriaux, l'objet même, la raison d'être, la disposition principale de votre projet de loi.
Ces nouveaux élus devront assumer une double mission. Ils devront partager leur temps entre leurs différentes fonctions. Ils devront défendre les dossiers de proximité ainsi que les problématiques de formation professionnelle ou de développement économique. Ils devront maintenir du lien social avec les citoyens mais également s'inscrire dans un cadre européen ambitieux. Ils devront travailler sur le versement des prestations sociales mais également sur les lignes à grande vitesse. Ce seront sans doute des « super-élus ». Mais ces « super-élus » seront néanmoins contraints d'organiser leurs activités dans une journée qui compte vingt-quatre heures ; ils devront donc se consacrer pleinement à cette activité d'élu. Ainsi voit-on se profiler le risque du professionnel de la politique, du suzerain local attaché à son mandat, de la femme ou de l'homme exclusivement politique.
Et même en y passant tout leur temps, ces élus auront du mal à remplir correctement leurs missions. Le conseiller territorial, à la fois conseiller départemental et conseiller régional, cumulera de facto, et parfois contre son gré, deux mandats. À l'heure où se multiplient les propositions sages et progressistes en faveur du non-cumul des mandats, à l'heure où les citoyens se désintéressent de la chose publique, à l'heure où le lien entre le peuple et le pouvoir politique doit impérativement être renoué, il n'est pas absolument certain que ce nouvel élu jouisse de la popularité, de la confiance, du respect et de la légitimité qui siéraient en ces circonstances.
Un conseiller territorial, dont l'indemnité sera supérieure à celle aujourd'hui touchée par les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, dont le suppléant sera lui aussi indemnisé, qui devra sillonner les routes de la région et du département pour mener à bien ses missions, et dont la création obligera les régions à agrandir leurs hémicycles pour permettre à l'assemblée territoriale de siéger – nous le voyons avec votre tableau distribué en commission des lois –,…