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Intervention de Huguette Bello

Réunion du 25 mai 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, sauf à faire preuve de mauvaise foi, personne ne conteste les changements, nombreux et positifs, que la décentralisation, en trente ans et deux actes, a apportés à la France. Tournant le dos à une tradition centralisatrice à bout de souffle, elle a permis de retrouver la diversité des territoires, de renforcer la vie démocratique, de dynamiser les initiatives locales. Cette démarche est largement approuvée et la région est désormais bien ancrée dans le paysage institutionnel. Pour ses contempteurs d'hier comme pour ceux qui l'ont toujours soutenu, le fait régional est une réalité incontournable.

Il faut d'emblée faire remarquer que, dans les régions d'outre-mer et particulièrement à la Réunion, la décentralisation a, de plus, contribué à apaiser le débat récurrent sur le statut de l'île. Jusque-là, toutes les réformes et l'ensemble des enjeux électoraux se ramenaient à des oppositions entre départementalistes et autonomistes, voire indépendantistes. À partir de 1982, les termes du débat changent pour laisser la place à la problématique du développement. En un sens, on pourrait dire que la réforme de 1982 et l'épisode de l'assemblée unique ont provoqué les derniers affrontements sur le statut.

Après la loi fondatrice de 1982, après la réforme constitutionnelle de 2003 qui instaure une organisation décentralisée de la République, après les multiples lois de transferts de compétences, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape dans le processus de décentralisation. Au-delà des objectifs annoncés de simplification institutionnelle, de clarification des compétences et d'efficacité budgétaire, il s'agit de définir non seulement la place des collectivités territoriales par rapport à l'État mais aussi leur rôle dans un contexte mouvant de globalisation et de compétition. Quelle architecture institutionnelle promouvoir pour répondre à la fois aux exigences d'une démocratie de proximité et aux impératifs de la mondialisation ? Articuler le local et le global, voilà sans doute un des fils rouges pour dessiner la nouvelle architecture institutionnelle.

Pourtant, alors que nul ne conteste la nécessité d'approfondir le processus de décentralisation, la réforme proposée donne lieu à des confrontations qui vont crescendo. Sans doute parce que la réforme, telle qu'elle est présentée, comporte trop de non-dits. Sans doute aussi parce que les différents éléments en sont examinés selon une logique qui s'oppose à une bonne compréhension. Pourquoi la clarification des compétences est-elle ainsi reléguée en fin de parcours alors qu'on aurait dû commencer par elle ?

Que dire du gel des dotations de l'État aux collectivités locales ? Puisqu'il veut faire participer toutes et tous à la réduction des déficits publics, le Président de la République doit supprimer le dispositif d'exonérations fiscales qui, en trois ans, a déjà privé le budget de l'État de plus de 22 milliards d'euros au bénéfice des entreprises du CAC 40, et, pour rendre cette suppression efficace, il doit convaincre ses partenaires européens d'en faire autant chez eux.

Dans ce contexte, la vision claire et le climat apaisé font défaut. Et toutes les interprétations deviennent possibles, y compris celle des visées électoralistes. Du coup, des aspects primordiaux de la réforme qui doivent faire l'objet de projets de loi spécifiques se trouvent abordés par le biais d'amendements déposés en catimini. Ainsi le mode de scrutin et la révision générale des compétences se retrouvent-ils abordés de façon bien périphérique.

Parmi les silences de ce texte, je voudrais insister sur ceux qui entourent les régions d'outre-mer, et singulièrement la Réunion. Bien sûr, l'argument selon lequel le principe d'identité législative doit, en l'espèce, s'appliquer pourra être – et sera – avancé. Et cela est tout à fait recevable d'un point de vue strictement juridique. Oui, en vertu de l'article 73 de la Constitution, l'article 1er relatif à la création des conseillers territoriaux est appelé à s'appliquer de plein droit à la Réunion et à la Guadeloupe.

Mais, outre les difficultés attachées au caractère hybride du conseiller territorial, l'application de cette mesure dans des régions mono-départementales débouchera sur une situation pour le moins déroutante. Ce sont strictement les mêmes élus qui siégeront tantôt au conseil régional, tantôt au conseil général. On parlera, bien sûr, du précédent du Conseil de Paris. Mais, sans en évoquer les raisons historiques, est-ce vraiment un gage d'efficacité que de se référer à la puissance d'une « ville-monde » pour établir les institutions des régions les plus pauvres d'Europe ?

En fait, il apparaît de plus en plus que la signification et l'impact de l'application de cet article dans nos régions n'ont pas réellement été évalués. Avec deux assemblées de composition strictement identique et exerçant leurs mandats sur le même territoire, c'est l'institution d'une assemblée unique qui est en marche.

Telle est d'ailleurs, pour toutes les régions d'outre-mer, la solution uniforme que préconisent notamment le comité Balladur et le rapport d'étape du Sénat. C'est aussi le scénario le plus vraisemblable puisque le destin promis au département, c'est de « s'évaporer ». Imagine-t-on le spectacle d'élus se transportant d'un hémicycle à l'autre et jonglant avec les thématiques et les priorités selon le lieu où ils se réunissent ? Vous l'avez reconnu, monsieur le rapporteur – et c'est sans doute aussi l'ancien ministre de l'outre-mer qui a parlé –, cette situation sera vite intenable.

Mais ces régions ne relèvent pas de l'article 72 de la Constitution lorsqu'il permet au législateur de créer une nouvelle collectivité en lieu et place de collectivités déjà existantes. Au contraire, le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution prévoit explicitement que « la création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli (...) le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ». Comme en Martinique et en Guyane en janvier dernier, le projet d'instituer une assemblée délibérante unique à la Réunion et en Guadeloupe doit être nécessairement précédé d'un référendum.

On voit alors à quel point la création des conseillers territoriaux ouvre, même si c'est de façon indirecte, un dossier très sensible outre-mer : celui des institutions, qui se ramène toujours, qu'on le veuille ou non, à celui du statut.

À la Réunion, l'assemblée unique n'est à l'ordre du jour d'aucune formation politique. Elle ne fait pas non plus partie des priorités de la population. Le Congrès créé en 2000 par la loi d'orientation pour l'outre-mer, et qui réunit les deux assemblées délibérantes, n'existe pas à la Réunion. C'est donc le Gouvernement qui, de manière sans doute involontaire, est en train de réactualiser cette question.

Le droit et la sagesse imposent de procéder autrement. Au lieu de vouloir créer d'ores et déjà les conseillers territoriaux, mieux vaut prendre le temps de réfléchir, cas par cas, à la solution la mieux adaptée à chaque région d'outre-mer.

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