J'en veux pour preuve un dossier que j'ai bien connu lorsque j'étais chargé des transports à la communauté urbaine de Nantes : le projet de tram-train entre Nantes et Châteaubriant, au nord du département de la Loire-Atlantique, projet pour lequel l'absence d'un pilote clair et unique avait engendré de nombreux retards. Mes collègues lyonnais comprendront, je pense, ce dont je parle, puisqu'un projet de tram-train a aussi vu le jour dans l'agglomération de Lyon. S'agit-il, se demandait-on, d'un transport régional, dont relèvent en principe les trains ? D'un transport urbain, comme le sont les tramways, et relevant à ce titre des compétences de la communauté urbaine ?
S'agissant d'un mode de transport hybride, qui de surcroît franchit les frontières de nos collectivités, ces questions de compétences restaient posées. Chacun souhaitait apporter sa contribution, et trouvait de bonnes raisons pour le faire : la région, puisqu'elle a la compétence pour les trains express régionaux ; le département, puisque, en plus de détenir la compétence relative à l'aménagement du territoire – bien pratique lorsque l'on veut outrepasser ses compétences obligatoires –, il est chargé des cars départementaux, dont les services pouvaient être modifiés par le projet de tram-train ; l'agglomération nantaise, représentée par la communauté urbaine, au titre des transports urbains ; la ville de Nantes et toutes les autres communes traversées par la ligne, puisque celle-ci emportait des conséquences sur l'urbanisme de chacune d'entre elles ; l'État, enfin, indirectement par le biais de Réseau ferré de France et de la SNCF, mais aussi directement, en vertu de ses pouvoirs en matière d'autorisation et de sécurité.
On nous a même expliqué qu'il s'agissait d'une voie ferrée nationale, alors que celle-ci était fermée au trafic – non seulement local, mais aussi national – depuis plus de vingt ans. L'intervention de l'État nous a paru d'autant plus bizarre que les travaux devaient être entièrement financés, ou presque, par les collectivités locales, et que le projet concernait, je le répète, des trams-trains, c'est-à-dire un mode de transport de proximité. Mais c'est ainsi : la législation prévoit que de tels projets s'inscrivent dans le réseau ferré national.
Au total, si j'ai bien compté, nous en étions à sept acteurs au moins pour un seul et même projet. Cette expérience m'a d'ailleurs éclairé sur le rôle particulièrement néfaste, je ne crains pas de le dire, de l'État, lequel n'a jamais cessé de nous imposer des contrôles aussi tatillons que changeants, ce qui en accusait le caractère ubuesque. Si l'État n'apporte plus guère de financements, il a encore un pouvoir d'empêchement.
J'avais alors proposé la création d'un syndicat mixte, afin d'assurer un pilotage unique – car je crois à l'unité de commandement – et un financement clair – car je crois au principe : « qui commande paie ». Non, m'a-t-on répondu, cette solution serait trop compliquée car elle ajouterait un échelon supplémentaire, ce qui par ailleurs était vrai. Mais le résultat, ce sont des années de palabres pour définir le projet et l'équilibre financier. Il aura fallu plus de dix ans entre la décision de principe, c'est-à-dire l'accord des parties prenantes et les premières réunions de comité de pilotage – les fameux « copil » : les services, dans les collectivités, n'ont que ce mot à la bouche ! – et la réalisation concrète. Je note d'ailleurs que la réalisation s'est vraiment enclenchée le jour où le président de la région Pays de la Loire a tapé du poing sur la table et affirmé le pilotage du projet par sa collectivité.
Cet exemple est en fait à l'image de milliers d'autres projets, qui font la réalité quotidienne des élus locaux, donc des citoyens. Oui, la multiplication des strates entraîne l'allongement des délais de réalisation, donc, même si c'est à la marge, des coûts de coordination plus élevés.
Trop souvent, les affaires publiques ne sont pas gérées à la bonne échelle. Oui, nos concitoyens sont souvent perdus dans l'interpénétration des compétences des différents échelons territoriaux, confusion qui est une source de désintérêt, et finalement d'abstention lors des consultations électorales.
Reconnaissons, mes chers collègues, que le système incite à cette dispersion et à cette dilution des responsabilités. Combien de fois les élus locaux n'incitent-ils pas eux-mêmes certaines associations à frapper à la porte d'autres collectivités pour boucler le budget de tel ou tel projet ? Si une telle démarche peut donner l'illusion à ces associations – ou d'ailleurs aux collectivités elles-mêmes – qu'elles disposeront de plus de moyens, celles-ci connaissent aussi le coût du temps perdu dans cette véritable chasse aux subventions. Les collectivités n'ont pas plus de moyens pour autant, puisque la dispersion de leurs interventions coûte finalement aussi cher, quand elle ne sert pas de prétexte à certains élus pour se défausser de leur responsabilité sur d'autres collectivités – nous en avons tous, malheureusement, des exemples en tête.
Les trente dernières années ont été marquées par des réformes essentielles. Il faut d'ailleurs souligner, chers collègues de la majorité, qu'elles sont toutes issues de majorités de gauche. En France, c'est la gauche qui est porteuse de la tradition girondine et décentralisatrice de notre République, tandis que la droite – nous en avons encore malheureusement la preuve depuis trois ans – perpétue la tradition jacobine et centralisatrice, et même, aujourd'hui, « recentralisatrice ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)