Le second, c'est la suspicion dont sont victimes les citoyens nés en France de parents nés à l'étranger. Certains ont renvoyé leur carte d'électeur en expliquant que, d'après l'administration, ils n'étaient plus dignes d'être Français. Une telle suspicion, on le voit, altère très profondément la confiance que leurs parents ou grands-parents avaient témoignée à notre pays.
Un grand nombre de ces enfants nés de parents devenus Français par naturalisation – le droit des étrangers était déjà compliqué, vous n'avez fait que le complexifier ! – étaient très fiers de savoir que leurs parents avaient rejoint la France parce que c'était une terre d'égalité, de liberté, un refuge que beaucoup avaient défendu d'ailleurs en s'engageant volontairement dans l'armée française pendant la Seconde Guerre mondiale ou en rejoignant les rangs de la Résistance.
Les chars de la colonne Leclerc qui libérèrent Paris en août 1944 s'appelaient Teruel ou Aragon car leurs canonniers étaient des républicains espagnols qui voulaient s'associer à la victoire de la France Libre en dépit de l'accueil très médiocre, pour ne pas dire plus, qu'ils avaient reçu en 1939 lors de la victoire du franquisme.
Outre ces étrangers devenus français non par le sang reçu mais par le sang versé, combien, plus modestement, sont devenus français par respect et amour de notre pays, qui leur avait donné la liberté, un toit, une éducation et un avenir ?
Je pense à ces milliers d'ouvriers de l'industrie, aux mineurs de Lorraine, du Pas-de-Calais, du Nord, qui ont laissé leur santé, parfois leur vie, pour rebâtir notre pays après chacune des deux guerres mondiales.
Je pense à ces travailleurs venus d'Espagne, du Portugal, du Maghreb, qui ont reconstruit la France après la guerre, qui en on fait un pays moderne en bâtissant nos écoles, nos hôpitaux, nos aéroports, nos routes.
Aujourd'hui, notre administration exige de leurs enfants des preuves de leur nationalité française, des papiers, toujours des papiers, souvent même des papiers introuvables.
Je pense à cette dame, née dans la Somme de parents ouvriers agricoles polonais venus en 1926. Elle a soixante-dix-neuf ans, et le minuscule village où ses parents sont nés, situé sur le territoire allemand avant 1918, a changé de nom en devenant polonais. Notre présumée fraudeuse ou terroriste de soixante-dix-neuf ans m'explique en pleurant qu'elle n'a plus personne à qui demander où était ce village !
Pensez aux enfants et adolescents rescapés des camps nazis, comme les 426 enfants que le général de Gaulle a fait venir de Buchenwald en France en 1945. L'administration leur demande aujourd'hui des preuves de leur nationalité française. Ils doivent fournir des papiers d'état civil de leurs parents ou de leurs grands parents. Quelle aberration honteuse ! Parmi ces enfants à qui la France a donné une éducation, un métier et un avenir, il y avait Élie Wiesel, Samuel Pisar, et bien d'autres qui ont contribué au rayonnement de notre pays. C'est non seulement ubuesque mais, il faut bien le reconnaître, indigne.
Les refusés du renouvellement sont ceux-là, des personnes âgées, parfois d'anciens combattants, décorés pour des services civils ou militaires. Ils témoignent des cicatrices de l'histoire européenne. Ils témoignent aussi d'un temps où la France étendait sa protection aux minorités du Levant, de l'Orient, de l'Afrique, et accordait la nationalité française à ceux qui, par leur travail, leur amour de la langue française, par leur engagement patriotique, nous avaient choisis.
Au moment même où vous avez développé ce mauvais débat sur l'identité nationale, vous avez fait mine d'oublier qu'à une certaine époque, c'étaient ces étrangers qui choisissaient la France. Ne leur donnez pas l'impression que leurs parents ont fait une erreur en choisissant notre pays.