Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le hasard a voulu que deux débats se soient télescopés ces dernières semaines : celui sur les inégalités de revenus suite à la publication d'une étude de l'INSEE et celui sur l'impôt, en particulier par rapport à la question du bouclier fiscal. Ces deux débats sont en fait intimement liés, puisque c'est à travers la fiscalité que s'opèrent la redistribution et la correction des inégalités.
De ce point de vue, force est de constater que la majorité a, depuis 2002, sciemment organisé la régression – une régression devenue considérable depuis le vote de la loi TEPA en juillet 2007. Nous n'avions cessé de dénoncer cet emblème de l'injustice fiscale : en effet, le plafonnement à 50 % des impôts directs, déjà inadmissible en période de croissance dans la mesure où il ne bénéficie de fait qu'aux détenteurs de gros patrimoines, s'avère encore plus indigne en période de crise, alors que des efforts et des sacrifices vont être demandés à tous les Français.
Les arguments contre le bouclier fiscal sont innombrables. En premier lieu, il ne profite qu'aux contribuables les plus nantis. De plus, le fait de poser une règle absolue de limitation des prélèvements obligatoires à 50 % des revenus signifie que chaque nouvel effort demandé aux Français – qu'il s'agisse de fiscalité locale ou de prélèvements sociaux – reposera sur les classes moyennes, exonérant de fait la minorité que constituent les contribuables bénéficiaires du bouclier. C'est le principe de progressivité de l'impôt, socle de notre pacte social, que la majorité foule aux pieds en s'accrochant coûte que coûte à ce symbole de la fiscalité à deux vitesses.
Le bouclier était censé empêcher l'exil fiscal, et même faire revenir en France certains de nos compatriotes, qui avaient courageusement décidé d'aller déclarer leurs revenus sous des cieux plus cléments. Las, en 2008, première année de son application, 821 contribuables sont partis, contre 719 en 2007, à croire les chiffres de Bercy ! Autant dire que le bouclier fiscal n'a exercé qu'une incitation modeste à rester en France.
Enfin, l'idée selon laquelle un contribuable ne doit pas travailler plus d'un jour sur deux pour l'État, en apparence séduisante et légitime, relève également de la manipulation – Jean-Marc Ayrault l'a montré –, puisqu'il est quasiment impossible de bénéficier du bouclier fiscal grâce aux seuls revenus du travail. Il est intellectuellement malhonnête d'utiliser la défense des travailleurs pour justifier la protection des rentiers. Ayez au moins le courage – vous n'en manquez pas dans certaines occasions, madame la ministre – d'expliquer aux Français que les 500 millions d'euros économisés chaque année en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur deux, vous les rendez sous forme de dépense fiscale aux 16 350 contribuables les plus aisés… Vous avez parfaitement le droit de conduire une politique pour les riches. Et nous, nous avons celui d'en proposer une autre pour la majorité de nos compatriotes.