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Intervention de Christian Charpy

Réunion du 18 mai 2010 à 17h00
Commission des affaires sociales

Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi :

Je voudrais d'abord faire une remarque d'ordre général. Monsieur Muzeau, je suis en total désaccord avec vous : la création de Pôle emploi n'est pas un échec patent. Cela ne vous étonnera pas que le directeur général de Pôle emploi fasse cette réponse. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Durant la dernière grande crise, en 1993-1994, les ASSEDIC, qui étaient en première ligne, ont eu les plus grandes difficultés à traiter les dossiers des demandeurs d'emploi qui venaient s'inscrire : les files d'attente s'étendaient parfois jusque dans la rue. En 2009 et en 2010, que je sache, alors que l'intensité de la crise était trois fois plus forte, nous n'avons jamais connu de telles difficultés. Je ne regrette donc pas la création de Pôle emploi, même au plus fort de la crise.

Ayant dirigé pendant trois ans l'ANPE, je me souviens aussi des critiques dont elle était l'objet ; cela me conduit à relativiser celles qui visent Pôle emploi aujourd'hui. Notre difficulté majeure, c'est que les gens qui viennent nous voir attendent d'être reçus par des personnes aimables et compétentes, de recevoir une indemnisation, mais surtout d'obtenir un emploi. Or, Pôle emploi ne recrute pas, sa fonction consiste à apporter de la transparence. Avec quelque 3 millions d'offres d'emploi en 2009, nous n'étions pas en mesure de proposer un emploi à chacun et encore moins deux, comme le prévoit l'offre raisonnable d'emploi. Nous sommes d'abord là pour aider les usagers à être autonomes, à obtenir les qualifications nécessaires et à apprendre à se « vendre » à un recruteur pour trouver un emploi.

Monsieur Juanico, j'ai évidemment été tenté de mettre la fusion entre parenthèses, mais je ne l'ai pas fait. Quand on est au milieu du gué, il est aussi difficile de rebrousser chemin que d'atteindre l'autre rive. J'ai donc préféré avancer, d'autant que j'étais convaincu que cela pouvait fonctionner. Mais, nous avons établi des priorités et nous nous en sommes sortis grâce au plan de rentrée. Je craignais que nous ne puissions passer la rentrée 2009, période durant laquelle nous savions que nous enregistrerions 30, 40, voire 50 % d'inscriptions supplémentaires, comme chaque année à la même époque. Le dispositif adopté, avec trois priorités – inscrire, indemniser et commencer l'accompagnement – a permis de passer ce cap difficile. Cependant, nous avons réduit nos ambitions sur d'autres points, notamment sur le suivi mensuel personnalisé, car, avec 725 000 demandeurs d'emplois supplémentaires, nous ne pouvions pas y pourvoir : le nombre d'inscrits en catégorie 1 est, je le rappelle, passé de 1,9 million en août 2008 à 2,6 millions aujourd'hui.

Je suis conscient que les personnels de Pôle emploi effectuent un travail particulièrement difficile. Matin, midi et soir, ils sont confrontés aux difficultés, à la misère et à l'angoisse des demandeurs d'emploi, mais aussi à l'évolution de leurs métiers. J'ai effectivement envoyé un questionnaire, en novembre, avant que France Télécom ne fasse de même et que cela ne devienne un sujet de polémique dans la presse ; nous y travaillions depuis fin août, avec les représentants du personnel. Les réponses font effectivement apparaître des difficultés relatives à notre organisation et à l'évolution des métiers.

Nous en avons déduit qu'il fallait éviter de mettre nos conseillers en difficulté, c'est-à-dire dans des situations où ils ne savent pas répondre aux questions posées par les demandeurs d'emploi. C'est pourquoi, en attendant que le socle commun de compétences soit dispensé à chacun, nous avons placé deux personnes à l'accueil, l'une plutôt compétente en matière d'indemnisation, l'autre en matière de placement.

Ce questionnaire a montré que l'inquiétude sur l'évolution des métiers était une inquiétude majeure. Certains craignaient de ne pouvoir acquérir la compétence de l'autre métier, d'autres ne souhaitaient pas acquérir cette compétence nouvelle, craignant que cela constitue un désaveu de leur expérience professionnelle.

Nous avons donc travaillé sur un dispositif comprenant un socle commun de compétences et deux expertises complémentaires – intermédiation et gestion des droits à indemnisation –, avec la possibilité ouverte à 15, 20 ou 25 % des agents d'acquérir la double compétence. Je crois que ce dispositif a rassuré. Hormis celle d'octobre dernier, qui a été fortement suivie, nous n'avons pas vécu de grève importante et le dernier mouvement notable, à Pôle emploi, a mobilisé 6,91 % du personnel seulement. Des conflits sont certes intervenus dans certaines agences, en Corse, en Basse-Normandie ou en Île-de-France. Le climat, reste tendu, mais nous ne sommes pas au bord de l'explosion sociale.

La convention collective a été signée par cinq organisations syndicales sur sept – CGT-FO, la CFDT, la CFE-CGC, l'UNSA et la CFTC –, qui totalisent près de 60 % des voix aux élections professionnelles. Seules la CGT et la FSU ont refusé de signer : je le constate et je le regrette.

Le directeur général adjoint chargé des ressources humaines était aujourd'hui même en négociation au sujet des risques psychosociaux. Les discussions ont commencé au début de cette année et j'espère que nous aboutirons cet été.

Madame Dumont, un agent de Pôle emploi s'est effectivement donné la mort dans son agence. Comme toutes les grandes entreprises, nous avons aussi connu des tentatives de suicide et des appels au secours, que nous avons traités en assurant une prise en charge psychologique et en ouvrant une ligne d'écoute vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne prétends pas que le problème soit résolu, mais nous avons réagi, je le crois, le plus efficacement possible.

Sur la précarité de l'emploi, nous avions fait passer en contrat à durée indéterminée, au sein de l'ANPE puis de Pôle emploi, tous les agents de droit public comptabilisant plus d'un an d'ancienneté. Avec la crise, nous avons recouru à des renforts temporaires : 3 500 personnes pour les contrats de transition professionnelle, plus d'autres recrutements pour la convention de reclassement personnalisé et les plateformes téléphoniques. Nous n'entendons pas conserver éternellement 50 000 collaborateurs, car nous pensons que la crise aura une fin. Toutefois, considérant que la situation perdure, nous serons amenés à faire passer en CDI une partie des personnels affectés à ces dispositifs. Nous sommes en cours de négociation sur ce point.

À l'issue des élections professionnelles, cinq syndicats sont reconnus représentatifs. Les instances du personnel fonctionnent. Quant au comité national d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il existait à l'ANPE, mais pas à l'UNEDIC. Dans la mesure où nous sommes passés sous le régime du code du travail, le comité central d'entreprise comportera une commission hygiène et sécurité, dotée de compétences comparables à celles du comité national. Il appartient au comité central d'entreprise d'établir son règlement intérieur et de l'installer. J'ajoute que cette question importante de l'hygiène et de la sécurité est aussi gérée au niveau régional.

Monsieur Gille, vous avez raison, notre organisation est trop centralisée. En période de fusion, nous devions montrer le cap ; il convient peu à peu de desserrer l'étau, afin que les responsables des directions régionales et des agences puissent s'engager dans des partenariats. Mais certaines missions, comme la mise en place de l'entretien unique d'inscription ou l'application de la convention d'assurance chômage, sont intangibles.

S'agissant des relations avec les conseils généraux, je reste sur ce que j'ai dit au groupe socialiste quand il m'a auditionné il y a quelques semaines : l'orientation vers l'emploi des bénéficiaires du RSA reste de la compétence exclusive des conseils généraux. Ensuite, si ceux-ci optent en sa faveur plutôt que pour une orientation sociale, nous pouvons prendre le demandeur d'emploi en charge, soit dans le cadre de notre offre classique, soit dans le cadre d'une offre renforcée, si les conseils généraux le souhaitent. Mais, il est vrai que le nombre de personnes dans ce cas et restant inscrites à Pôle emploi reste assez faible, proche de celui qui était constaté du temps du RMI. La conjoncture n'a pas aidé à cette orientation vers l'emploi des bénéficiaires du RSA ; Pôle emploi et les conseils généraux doivent mener un travail en commun sur ce sujet.

Je me félicite du partenariat conclu avec le Conseil national des missions locales. Nous avons accru le nombre de personnes prises en charge et les moyens financiers, grâce à un pilotage national, régional et local mieux partagé et plus cohérent. Nous avons également signé des accords de partenariat avec Alliance villes emploi pour les maisons de l'emploi.

Je veux bien endosser des responsabilités mais pas toutes : j'ai certes été consulté à propos du décret relatif au rôle des maisons de l'emploi, mais il a été élaboré sous l'autorité du ministre. Une cohérence doit être trouvée entre Pôle emploi et les maisons de l'emploi, qui ont respectivement vocation à s'occuper de l'accompagnement et du diagnostic territorial. Quoi qu'il en soit, j'interviens sur ce sujet en tant qu'expert ou participant, certainement pas en tant que décideur.

Monsieur Vercamer, vous avez eu la gentillesse de participer à la commission de territorialisation. Des décisions seront prises en vue de développer les délégations et d'axer les collaborations sur des actions utiles à la fois pour Pôle emploi et pour ses partenaires. En effet, compte tenu de sa taille – il emploie 50 000 personnes et pèse 5 milliards d'euros de budget, indemnisation du chômage exclue –, Pôle emploi est exposé à des tentations hégémoniques. Nous devons avoir la modestie de distinguer les sujets sur lesquels nous sommes pivots et ceux sur lesquels nous ne sommes que contributeurs, dans des proportions plus ou moins significatives.

Monsieur Dord, je suis très prudent à l'égard des prévisions de taux de chômage. À l'occasion de la précédente réforme des retraites, le COR avait évoqué un taux de 5 ou 6 %. Avec un taux de chômage ramené à 7,5 %, nous nous dirigions dans la bonne direction et, sans cette crise, nous serions probablement descendus encore plus bas. Mais, la France est encore très mauvaise en ce qui concerne les jeunes et les seniors. L'action menée en faveur de l'alternance va dans le bon sens. Objectivement, malgré les accords qui leur sont destinés, ce sont les seniors qui souffrent le plus aujourd'hui. J'aurais du mal à confirmer le taux de 4,5 % ; pour l'atteindre, il nous faudrait rester « bons » sur la population de vingt-cinq à quarante-neuf ans et progresser nettement en ce qui concerne les jeunes et les seniors.

Nous avons remis sur pied des comités de chômeurs à l'échelon territorial. Ils doivent se réunir chaque trimestre et je les rencontre deux fois par an. Nous avons conclu un partenariat structurant avec le Mouvement national des chômeurs et des précaires. Le dialogue est un peu plus compliqué avec Agir ensemble contre le chômage (AC !).

Les 919 agents de l'AFPA sont arrivés au Pôle emploi le 1er avril. L'insertion s'est bien passée jusqu'ici, dans un climat social relativement apaisé. Quelques difficultés touchant à l'informatique ou aux locaux demeurent cependant. Les psychologues du travail peuvent jouer un rôle important pour sécuriser les parcours professionnels, pour conforter les projets de formation ou de transition professionnelle, mais ils ne doivent pas constituer un point de passage obligatoire pour l'entrée en formation. Nous vérifierons dans les prochains mois la qualité de leur insertion, car nos deux cultures diffèrent.

Comme chaque année, nous avons mené une enquête sur les besoins en main-d'oeuvre, mais nous avons élargi le spectre des entreprises interrogées et cherché à mieux connaître l'évolution des métiers à l'horizon de trois ou quatre ans. Certains bassins recrutent davantage et d'autres redémarrent doucement, notamment dans le Sud ou en Lorraine, ce qui traduit un début de reprise économique. Nous constatons aussi, depuis six ou sept mois, une progression du nombre d'intérimaires : il est remonté à environ 550 000, alors qu'il avait chuté jusqu'à 340 000. Mais, ce mouvement reste très incertain. Les entreprises éprouvent beaucoup de difficulté à imaginer l'évolution à moyen terme des métiers de leur secteur ; nous devons travailler, avec les organismes professionnels et les structures d'expertises, comme le Centre d'analyse stratégique, sur les métiers de demain et les formations correspondantes.

Monsieur Rolland, la signature de conventions avec les conseils généraux permet à ceux-ci d'accéder aux dossiers uniques. Toutefois, le décret relatif à la transmission des données personnelles des bénéficiaires du RSA exclut les adresses ; nous avons demandé une rectification et un projet de nouveau décret est en préparation.

Le plan « Rebond pour l'emploi » est compliqué, car les demandeurs d'emploi potentiellement en fin de droits sont nombreux : un million, contre 850 000 en 2008. Ce plan s'adresse aux personnes qui ne sont éligibles ni à l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ni au RSA, dans la mesure où leur conjoint travaille et gagne un peu d'argent. On leur propose soit un emploi aidé, soit une formation rémunérée, soit encore, à défaut, à partir du 1er juin prochain, une allocation de rebond vers l'emploi. Cela constitue une charge d'indemnisation et d'accompagnement non négligeable pour Pôle emploi, mais c'est le moins que nous puissions faire en faveur de concitoyens vivant des situations extrêmement difficiles. Mais, il faut éviter le paradoxe qui nous amènerait à en faire plus pour ceux qui sont un peu trop riches pour avoir le RSA et moins pour ceux qui bénéficient de celui-ci.

Madame Iborra, la loi nous a confié des missions extrêmement étendues et nous avons procédé par étapes. Le travail en direction des actifs occupés fait certes partie de ces missions, mais j'ai considéré que ce n'était pas la première des priorités ; nous nous sommes intéressés avant tout aux chômeurs. D'autre part, des entreprises sollicitent notre aide en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, pour les recrutements externes comme pour la mobilité interne. Je mets un peu le frein car, si nous disposons aujourd'hui d'un socle solide, nous n'arriverons pas à tout faire tout de suite.

J'avoue avoir été extrêmement surpris par la démission du médiateur. Son rapport n'a fait l'objet d'aucune demande de modification de la part du président du conseil d'administration ou du directeur général, car ce rapport était parfait et me convenait parfaitement. Il y formulait des propositions intéressantes et mettait l'accent sur des vérités : nos courriers sont trop administratifs et trop brutaux, les conditions dans lesquelles nous suspendons les allocations en cas de suspicion de fraude ne sont pas forcément très raisonnables. En outre, il tordait le cou à la polémique relative aux radiations, en soulignant que ces dernières ne motivaient pas la majorité des requêtes reçues par son service. J'ai simplement émis des réserves sur des formulations laissant entendre que nos agents manquaient de bon sens et d'humanité. Ce rapport a été présenté au conseil d'administration, puis à la presse. Sur les six propositions formulées, quatre relèvent de la compétence des partenaires sociaux dans le cadre de la convention d'assurance chômage et deux de la nôtre : l'une relative aux courriers, l'autre aux suspensions en cas de suspicion de fraude. Des groupes de travail ont été mis sur pied pour y répondre et j'espère que nous pourrons aboutir dans les prochaines semaines sur le second sujet. Le problème des courriers est beaucoup plus compliqué, car il en existe 350 et ils résultent de fusions entre des fichiers informatiques et des fichiers papier. Si l'on oublie de cocher la case « motif de radiation », celui-ci reste en blanc dans la lettre adressée au demandeur radié.

Quant aux moyens alloués au médiateur, le service de la médiation dispose de trente-cinq à quarante collaborateurs, dix au niveau national plus un – parfois deux ou trois – dans chaque région, ce qui n'est pas ridicule au regard de ce qui se pratique ailleurs dans des organismes de taille comparable. J'avais du reste prévu de créer deux postes supplémentaires au budget 2010. J'ai découvert la lettre de démission du médiateur sur ma messagerie, un soir, alors qu'il ne m'en avait jamais parlé. Je regrette qu'il ait communiqué avec excès, car il met en cause la maison dans laquelle il a travaillé durant un an. Bref, il cherche à poursuivre une carrière médiatique plutôt qu'une carrière de médiateur. Mon seul souci est de trouver quelqu'un pour le remplacer ; nous sommes en train de recruter quelqu'un, plusieurs profils sont disponibles et j'espère pouvoir proposer un nom lors de la réunion du conseil d'administration du 15 juin.

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