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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 13 janvier 2009 à 21h30
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Une hégémonie qui est le résultat non seulement du texte initial mais aussi des usages qui en ont été faits.

Une hégémonie qui fait que notre Président de la République est doté des pouvoirs dont dispose le Président des États-Unis auxquels il faut ajouter, pour faire bonne mesure, ceux du Premier ministre britannique.

Une hégémonie que vient souligner encore cette volonté, à travers ce texte, de considérer le Parlement comme une institution mineure.

Cinquante ans après, l'exécutif continue à dénier aux assemblées le droit d'être le centre de la vie politique. Il refuse en permanence de desserrer le double étau des contraintes juridiques et des limites politiques qui corsètent l'Assemblée nationale et le Sénat.

Les mécanismes dont nous parlons – propositions de résolution, temps « guillotine » – relevant du Parlement, décidons donc ensemble, chers collègues, des modalités de ce texte dans le cadre de notre règlement. En effet, le recours à la loi organique ne s'impose pas en ce concerne les propositions de résolution.

En quoi, chers collègues, les articles 3, 4 et 5 de ce projet de loi organique sont-ils utiles ? Le nouvel article 34-1 de la Constitution, qui énonce les cas d'irrecevabilité, se suffit à lui-même. Si on veut le compléter par une loi organique, c'est alors reconnaître qu'il en dit trop ou pas assez.

Trop, car l'article 34-1 ne dit pas « Le gouvernement déclare les propositions de résolution irrecevables ». Il dit « Sont irrecevables... les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité …». Autrement dit, si le Gouvernement a le droit d'opposer l'irrecevabilité, c'est au président de chaque assemblée qu'il revient de la déclarer.

Puis-je, à cet égard, rappeler le parallèle avec le précédent oublié du 19 septembre 1961 ? Depuis le 25 avril 1961, la France vivait sous le régime de l'article 16 appliqué à l'initiative du Général de Gaulle. Lassée par sa durée, l'opposition socialiste déposa une motion de censure le 12 septembre 1961. Saisi par Jacques Chaban-Delmas, alors président de l'Assemblée national, le Conseil constitutionnel se déclara incompétent pour juger de la recevabilité de cette démarche. C'est le président de l'Assemblée nationale qui prit donc la responsabilité de déclarer l'irrecevabilité de la motion de censure socialiste.

Eu égard au sujet – une motion de censure, acte important du droit parlementaire – comme au contexte – application de l'article 16 pendant la guerre d'Algérie –, la manifestation d'autorité du président de l'Assemblée nationale de l'époque, dans le respect de la Constitution, pourrait servir d'exemple et nous pourrions admettre que l'actuel président de l'Assemblée nationale pourrait agir de même s'agissant d'une proposition de résolution, dont je rappelle qu'elle ne remettra jamais en cause la responsabilité du Gouvernement.

Rappelons aussi que le Gouvernement n'a nul besoin d'intervenir lui-même pour que le monopole d'initiative dépensière que lui accorde l'article 40 soit protégé. Les instances parlementaires s'en acquittent fort bien toutes seules, démontrant ainsi leur capacité d'autodiscipline, sans qu'il soit besoin de désigner un surveillant général issu de l'exécutif.

Le texte en dit trop ou trop peu. En effet, la Constitution fait systématiquement et soigneusement la distinction entre les compétences du Gouvernement – articles 31, 38, 41, 44, alinéa 3 –, et celles qui appartiennent en propre au Premier ministre – articles 39, 45, alinéa 2, 49, alinéas 1 et 3. De ce fait, confier au Premier ministre, comme le propose l'article 3 du projet de loi organique, un pouvoir que la Constitution reconnaît au Gouvernement serait contraire à la Constitution !

En conséquence, si le projet de loi organique tient à ce que la décision soit gouvernementale, alors il lui faut prévoir qu'elle soit prise en conseil des ministres. Ce qui serait d'ailleurs parfaitement justifié pour ce qui concerne ce que vous appelez, monsieur le secrétaire d'État, un « nouveau pouvoir d'expression parlementaire ».

Puisqu'il faut un décret pris en conseil des ministres pour dissoudre une minuscule association illégale, il n'est pas malséant d'exiger une décision de la même instance pour interdire un débat au Parlement ! Le parallélisme des formes s'impose !

Le projet de loi organique comporte lacunes et maladresses, pour certaines, inconstitutionnelles. Quant au droit de résolution, il est parfaitement superfétatoire.

Superfétatoire, il l'est tout autant concernant votre idée du « temps global » selon les termes aseptisés que vous avez choisis. S'il n'y a pas lieu d'en discuter, c'est tout simplement parce qu'une telle organisation existait dans le règlement de l'Assemblée nationale jusqu'en 1969. À quoi bon répéter ce qui va de soi ?

Cette inscription est d'autant plus inutile que même si le projet de loi organique est voté, c'est au règlement de l'Assemblée nationale qu'il revient de créer ce dispositif. Nombre de constitutionnalistes ont été invoqués ce soir. Permettez-moi d'en citer un autre et non des moindres, pour tout dire la référence en matière de droit parlementaire, le professeur Pierre Avril.

Pierre Avril écrivait en 1967 : « Dans notre droit parlementaire, le règlement de l'Assemblée joue le rôle de décret d'application de la Constitution. » Il n'évoque aucune loi organique entre la Constitution et le règlement lorsqu'il s'agit d'appliquer la première.

Épargnons-nous donc cette loi organique, d'autant, vous l'avez rappelé, que le règlement est soumis à la décision du Conseil constitutionnel, qui en a été saisi soixante fois depuis 1958. Il s'agit là encore d'une innovation de la Ve République, que l'on doit à Michel Debré : l'article 61 de notre Constitution dispose que le règlement adopté par chacune de nos assemblées doit être soumis au Conseil constitutionnel.

Ainsi la Ve République devenait-elle le troisième régime subordonnant le fonctionnement des chambres à un autre pouvoir, après – pardonnez-moi – le Directoire, sous lequel la loi déterminait les conditions d'organisation du Corps législatif, puis le Second Empire, où l'empereur Napoléon III…

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