Les autorisations pour usage thérapeutique partaient d'un bon sentiment : pourquoi un diabétique, par exemple, serait-il interdit de sport ? Malheureusement, cette intention de faire en sorte que tout malade chronique ou aigu ayant besoin de médicament puisse obtenir une autorisation de participer à une compétition après que son dossier médical a été accepté par un groupe d'experts, a connu certaines dérives. L'AMA, influencée sans doute par des lobbies exerçant leur activité par l'intermédiaire de fédérations internationales, a ainsi accepté que les corticoïdes, dont on vient de souligner la dangerosité et qui constituent toujours le « fond de sauce » du dopage, ne fassent plus l'objet que d'une déclaration d'usage, sauf lorsqu'ils sont administrés par voie générale, ce qui ne veut rien dire car l'on sait très bien qu'une infiltration dans une articulation ou que l'utilisation d'une pommade transcutanée remplace largement une administration par voie générale. C'est ce qui explique que nous ne trouvions quasiment plus de contrôlés positifs aux corticoïdes lorsque nous effectuons des prélèvements sanguins ou urinaires.
Il en est de même des antiasthmatiques comme le Salbutamol. Si l'asthme d'effort est très répandu dans le sport de haut niveau, les doses de Salbutamol – ou de Ventoline – utilisées dépassent parfois l'entendement. Or, ces produits qui sont aussi des anabolisants et pas uniquement des bronchodilatateurs, non seulement ne font plus l'objet d'une autorisation pour usage thérapeutique, mais ne peuvent plus faire l'objet de déclaration de prélèvement anormal qu'au-delà d'un seuil qui a été fixé à un niveau très élevé. C'est là aussi la raison pour laquelle on ne trouve pratiquement plus de contrôlés positifs aux antiasthmatiques ; il n'y aurait donc plus d'asthmatiques dans le peloton...
Pour ce qui est de l'interaction avec l'industrie pharmaceutique, la mission interministérielle découlant de la loi Buffet et le groupe de réflexion créé alors au sein du CNRS ayant suggéré de marquer les molécules, ils ont reçu de la part de cette industrie une véritable fin de non-recevoir. Nous essayons aujourd'hui, en relation avec le ministère, de relancer la réflexion en la matière avec un groupe de travail créé au sein de l'Agence. Pour autant, si l'industrie pharmaceutique reste extraordinairement méfiante car elle ne peut se permettre de prendre le risque de mettre à mal un brevet alors que la mise sur le marché d'une nouvelle molécule demande dix ans de recherche et coûte des centaines de millions voire des milliards d'euros, elle est aussi consciente que rien ne serait pire pour elle que cette même molécule, utilisée pour le dopage avant même sa mise sur le marché, produise un accident, réduisant à néant son investissement.
Ce sont surtout, à mon avis, des liens personnels tissés avec des chercheurs confirmés de l'industrie pharmaceutique qui permettront, d'une part, de savoir qu'une molécule à l'étude pourrait être utilisée en matière de dopage, d'autre part, de travailler sur cette molécule fournie à titre confidentiel – le rôle de l'administration étant alors d'apporter sa garantie par la mise en oeuvre de contrats de confidentialité.
S'agissant de la liste des interdictions, nous marchons main dans la main avec le ministère de la jeunesse et des sports afin de parvenir à constituer un groupe de pression à l'échelon européen, et peut-être au-delà, entre les différentes agences. Je pense au groupe de suivi institué à la suite de la convention européenne de Strasbourg contre le dopage, qui avait tout de même réuni une quarantaine de pays en 1989 et qui avait précédé la convention internationale contre le dopage dans le sport adoptée par l'UNESCO en 2005. Ce n'est selon moi que de cette façon que l'on pourra établir un rapport de forces avec le comité exécutif de l'AMA et son groupe d'experts « Liste », afin que nos contre-propositions soient prises en compte.
Aujourd'hui, la liste sépare les produits qui sont interdits tout le temps et ceux qui ne le sont qu'en compétition. Or, que retrouve-t-on parmi les produits interdits seulement en compétition ? Les stimulants – les amphétamines, par exemple –, les narcotiques et les corticoïdes. Autrement dit, c'est pendant l'entraînement que l'on utilise maintenant les moyens de dopage : les amphétamines pour augmenter les charges de travail ; certains narcotiques pour réduire la douleur, et les corticoïdes, toujours « en fond de sauce ». Tout cela est absurde. Or, un groupe de pression anglo-saxon intervenant auprès de l'AMA souhaiterait même éliminer totalement les corticoïdes de la liste, bien que tout médecin débutant, anglo-saxon ou non, en connaisse parfaitement la dangerosité.
J'ai donc l'espoir que dans les années qui viennent ce rapport de forces que j'appelle de mes voeux permettra d'influencer les positions de l'AMA, sachant cependant que si les fédérations internationales, qui exercent une très forte pression, ont adopté une attitude homogène, la position des États est, au contraire, très diverse.