Vous pouvez imaginer combien le sujet étudié ce matin m'interpelle en ma qualité de médecin fédéral de la Fédération française de cyclisme.
Je suis médecin du sport depuis 1976 et du sport de très haut niveau depuis 1978. Après avoir été médecin d'équipes professionnelles jusqu'en 1994 – fonction que j'ai quittée car le dopage ne me permettait plus de pratiquer la médecine comme je l'entendais –, j'ai intégré l'équipe de France avant d'être nommé médecin fédéral national en 1997. Dès 1998, nous avons, avec les services de Mme Buffet, notamment Alain Garnier, chef de la mission Médecine du sport et lutte antidopage au ministère, pris des dispositions d'ordre sanitaire, conscients des dérives qui existaient. Mais ce que nous imaginions de faire à l'époque a été bouleversé par le cataclysme qu'a été le Tour de France de cette année-là. Nous nous sommes alors centrés sur le suivi biologique qui n'était jusque-là qu'un élément de la protection sanitaire.
Jusqu'en 1998, en effet, la médecine du sport, que je pratiquais par passion pour le sport en parallèle à la médecine hospitalière, était une médecine hors-la-loi, car elle n'existait pas en tant que telle. C'est finalement à la suite de cet événement de juillet 1998 qu'elle a pu enfin se structurer, grâce à la loi de Mme Buffet et au CPLD, et je dois rendre ici hommage à Michel Boyon qui a créé avec Michel Rieu, en association avec l'Ordre national des médecins, la Commission médicale. Celle-ci, qui a réuni toutes les parties prenantes – aussi bien des universitaires que des médecins de terrain ou de fédération –, nous a permis de disposer d'un endroit où exposer nos difficultés à exercer la médecine du sport auprès des sportifs et de pouvoir réfléchir à mieux organiser celle-ci.
Il faut bien comprendre que le rôle d'un médecin de fédération est sanitaire : les présidents de fédération, qui ont une délégation de service public portant notamment sur la santé de leurs licenciés, lui confie à ce titre la surveillance médicale. Je parle de surveillance car il s'agissait avant la loi de 2006 d'un suivi médical longitudinal, système mis en place en 1998 et conforté par la loi de Mme Buffet de mars 1999 et qui permettait de détecter des modifications de certains paramètres et d'en déduire qu'il y avait manipulation sous-jacente, mais pas d'en tirer les conséquences – j'y reviendrai.
Si la surveillance biologique a également permis de mettre en évidence des modifications qui pouvaient être liées à des manipulations de produits interdits, elle a surtout révélé l'existence d'autres problèmes tels que l'ostéoporose chez la femme de vingt ans, les troubles du comportement alimentaire – 10 à 15 % du peloton cycliste professionnel français est anorexique, ce qui peut expliquer la prise de certains produits coupe-faim –, ainsi que l'hyperréactivité bronchique – 40 % du même peloton a fait un asthme d'effort prouvé en laboratoire – liée à une hyperventilation en milieu extérieur avec des agressions dues à un air pollué, tantôt froid tantôt chaud. Des anomalies pouvaient donc être liées à des manipulations, mais aussi à des infections.
Ces anomalies, qui faisaient peser une forte suspicion de manipulation sous-jacente, je n'ai jamais pu m'en servir publiquement à l'époque du suivi médical longitudinal, car l'étanchéité était totale, même si la FFC obligeait les sportifs à passer par un réseau fermé de plateaux techniques de médecine du sport où tous les résultats étaient concentrés et où des experts pouvaient nous conseiller sur la conduite à tenir. Si des anomalies étaient trouvées, je ne pouvais en effet en informer que le médecin du sportif, si encore j'en avais l'autorisation : comme tout patient, le sportif avait la propriété de ces informations. Michel Rieu l'a bien dit : il y a vraiment une dissociation à faire entre l'application de sanctions dans le cadre disciplinaire de la lutte contre le dopage, et la prise de décisions médicales dans le cadre sanitaire de la surveillance médicale.
De la loi de Mme Buffet et du suivi médical longitudinal, nous sommes donc passés en 2006 à la loi de Jean-François Lamour : là où l'on ne pouvait qu'informer le sportif, l'on pouvait maintenant prévenir le président de la fédération qu'une anomalie pouvait être une contre-indication médicale, le sportif ayant alors l'obligation de rendre sa licence. Pour ce qui est de la Fédération française de cyclisme, une telle possibilité existait même depuis 2002. J'ai ainsi adressé aux coureurs plusieurs centaines de lettres recommandées avec accusé de réception pour leur demander de procéder à des examens complémentaires à la suite d'une anomalie découverte dans le cadre du suivi.
Aujourd'hui, je milite en faveur d'une véritable médecine d'aptitude auprès du sportif de haut niveau.
Cette médecine d'aptitude, c'est une médecine du travail – Valérie Fourneyron, avec qui j'ai travaillé voilà une dizaine d'années au sein d'un groupe de travail interministériel, ne me démentira pas – qui s'adresse aux sportifs de haut niveau et aux sportifs professionnels. À cet égard, nous ne faisons pas à la FFC de différence entre les deux : ils ont le même suivi biologique, psychologique ou nutritionnel imposé par la loi et la même obligation de passer par des plateaux techniques de médecine du sport pour des épreuves fonctionnelles. L'idée que je défends est de prendre en compte le fait que seul le médecin du travail a la possibilité de détecter une inaptitude à un poste de travail, dont il aura déterminé les risques, et d'en aviser l'employeur, à qui il revient alors de prendre une décision en fonction de cette inaptitude.
On me dira que je m'éloigne de notre débat. Non, car cette pathologie engendrée par le sport de haut niveau peut facilement déclencher des dérapages pour retrouver son état de santé ou pour l'améliorer. Je citerai à cet égard l'exemple de cette skieuse qui, lors des Jeux olympiques d'hiver à Vancouver, a chuté dès la première porte en étant victime d'une rupture de ligament croisé d'un genou déjà opéré – je connais des skieurs qui ont été opérés trois fois à un genou et deux fois à l'autre ! Est-il normal de laisser un sportif de très haut niveau poursuivre sa carrière alors que l'on sait très bien qu'à quarante ans il aura une gonarthrose bilatérale et une prothèse du genou ? N'est-ce pas notre devoir de dire qu'il y a dans ce cas inaptitude ? Une réflexion médicale sur l'aptitude à la pratique du sport de haut niveau doit être menée.
De la même façon que M. Bordry milite pour une agence indépendante en matière de dopage, je milite en faveur d'une autorité médicale indépendante interfédérale d'aptitude, ce qui permettrait, grâce à une mutualisation des moyens – le tout pour un coût moindre et pour un meilleur résultat qu'à l'heure actuelle – d'avoir une gestion administrative cohérente des sportifs de haut niveau et des professionnels et une logistique du suivi biologique également cohérente reposant sur des plateaux techniques de médecine du sport. Pour prendre l'exemple de certaines fédérations, on ne trouve en effet que ce que l'on recherche...
En tout cas, beaucoup a été fait à cet égard au niveau de la Fédération française de cyclisme, que je tiens à défendre fortement sur le plan médical, même si je ne suis pas d'accord avec certaines de ses prises de position. Nous travaillons ainsi avec un seul laboratoire – l'ancien laboratoire Marcel Mérieux devenu Biomnis –, ce qui nous permet de recueillir facilement toutes les données biologiques de nos sportifs. Ce sont ainsi plusieurs milliers de résultats qui nous servent à des études statistiques de haut niveau ou encore à l'analyse, avec l'AFLD, du métabolome. Nous avons ainsi abouti à une meilleure administration des sportifs de haut niveau et des professionnels ainsi qu'à une amélioration de la logistique. Surtout, nous avons pu disposer d'expertises médicales permettant d'adopter une attitude cohérente devant des anomalies et des pathologies rencontrées dans le sport de haut niveau. Pour reprendre l'exemple de ce skieur opéré cinq fois du genou, un règlement clair aurait évité qu'il ait encore droit à une licence.
Certains ici le savent, j'ai en 2007, dans une lettre ouverte, contesté fortement, non pas sur le fond mais sur la forme, l'opportunité et la pertinence du passeport biologique dont Michel Rieu a fait état, qui ne pouvait qu'aboutir à un nombre dérisoire de décisions d'ordre disciplinaire – 5 ou 6 en l'occurrence. Or, 700 coureurs de l'Union cycliste internationale sont soumis à ce passeport, pour un coût de 6 millions d'euros par an. Si M. Bordry disposait d'une telle somme, nul doute qu'il pourrait faire un travail encore plus efficace ! Si, comme l'a dit Michel Rieu, le concept est le même entre le passeport biologique et le profilage, l'efficacité de ce dernier serait beaucoup plus grande, pour un coût bien moindre.