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Intervention de François Bordry

Réunion du 12 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

François Bordry, président de l'Agence française de lutte contre le dopage :

Je vais essayer de répondre à toutes les questions qui ont été posées mais, si j'en oublie, sachez que l'Agence est à la disposition des parlementaires. Tous nos dossiers sont ouverts au rapporteur du budget. Il le sait bien, puisqu'il est déjà venu au siège de l'Agence. Je précise également que nous nous sommes rendus devant la commission d'évaluation des politiques publiques pour exposer le fonctionnement de l'Agence et son organisation budgétaire.

M. David Douillet était membre du CPLD et a donc été associé aux actions de prévention organisées par le Conseil. Celles-ci étaient peu de chose, à la fois par manque de moyens et par manque de connaissance sur le sujet. Il faut bien connaître les protocoles de dopage et le dopage lui-même pour pouvoir expliquer aux jeunes ce qu'il faut éviter de faire.

L'AFLD n'a plus, comme M. Douillet l'a noté, le mot « prévention » dans son titre mais elle reste associée aux opérations de prévention, comme à celles menées du temps du CPLD dans la grande étape du Tour de France ou lors du Marathon de Paris. Mais l'Agence rencontre des difficultés financières, difficultés qui ont encore été aggravées cette année du fait d'un manque de visibilité sur son budget.

Je reconnais que nos actions de prévention sont pauvres et que cet état de fait est malheureux.

Si le Gouvernement tient sa promesse, notre budget pour 2010 s'établira à 8,751 millions d'euros, avec une subvention de l'État de 7,8 millions. Nous sommes très attachés à la subvention publique car elle garantit notre indépendance. La partie privée de nos ressources provient des contrôles, prélèvements et analyses que nous réalisons pour d'autres agences nationales antidopage, à leur demande. Nombre d'agences nationales nous font confiance et nous demandent de réaliser des analyses à leur place, soit sur des prélèvements effectués sur des sportifs restés sur leur territoire, soit sur des sportifs de leur nationalité s'entraînant en France. Je viens de recevoir une lettre du président de l'Agence du Luxembourg qui se félicite des travaux du laboratoire de Châtenay-Malabry et des relations avec notre agence alors que, dans le même temps, il vient de recevoir une injonction du président de l'UCI, Patrick McQuaid, de ne plus travailler avec nous.

Notre fonds de roulement se monte à environ 3,9 millions d'euros.

L'Agence emploie, sur son budget propre, 61 agents : 42 au département des analyses – dont 37 scientifiques travaillant au laboratoire –, 7 au département des contrôles et 12 à l'administration générale de l'Agence, auxquels s'ajoutent, grâce à l'Assemblée nationale, 2 autres collaborateurs.

Je ne peux pas encore chiffrer nos besoins pour l'année prochaine car nous n'avons pas fait d'étude sur le sujet. Cependant la localisation des sportifs étant une procédure très lourde, nous devrions sans doute être augmentés en personnels pour tenir notre rang dans cette opération très importante.

Par ailleurs, nous assistons à une judiciarisation de l'intervention disciplinaire : les sportifs positifs viennent maintenant devant le collège de l'Agence accompagnés d'une batterie d'avocats et sont prêts à poursuivre les recours jusqu'au bout. Sachant qu'ils ne peuvent pas se défendre sur le fond, ils attaquent la procédure, d'où l'importance d'avoir des médecins préleveurs bien formés à la fois sur le plan technique et sur le plan juridique.

Ces derniers sont des gens remarquables et dévoués à la cause antidopage, mais ils n'ont pas une formation de juriste. Il est arrivé qu'ils oublient de cocher des cases de procès-verbaux de prélèvement, ce dont les avocats des sportifs savent tirer profit.

Nous faisons de gros efforts de formation. Nous songeons à spécialiser les médecins préleveurs selon les compétitions ou selon leur localisation, et même à créer un corps de médecins préleveurs travaillant principalement pour l'Agence.

Nous travaillons beaucoup avec les représentants du ministère des sports dans les départements. Nous sommes d'ailleurs liés à celui-ci par des conventions. Mais les regroupements qui se dessinent me semblent créer un petit fossé entre les directions régionales des sports d'autrefois et le monde sportif, ce qui nous complique parfois la tâche pour désigner des médecins en accord avec les correspondants départementaux ou régionaux.

Nous n'avons pas de raison, madame Buffet, de penser que le CNOSF soit moins engagé qu'avant. Nous avons participé avec lui et différents représentants du monde associatif à un colloque sur la lutte antidopage, auquel était également présent Interpol.

Je laisse le soin au professeur Rieu de répondre aux questions portant sur le laboratoire, les AUT et la santé des sportifs.

Mme Fourneyron ayant fait allusion à la déclaration de M. McQuaid à Montréal, je m'attarderai quelques instants sur les difficultés que nous connaissons avec cette fédération internationale.

Lors du Tour de France 2009, nous avons tenté d'établir une convention avec l'UCI pour l'organisation des contrôles à la fois pendant la période d'entraînement, qui a lieu en mai et juin, et pendant la compétition elle-même. L'UCI devait nous donner la localisation des cyclistes étrangers sur le territoire national quand ils venaient s'entraîner chez nous. Ces informations ne nous ont pas été fournies ou, quand elles l'étaient, elles nous étaient données la veille pour le lendemain, alors qu'elles sont connues des différentes fédérations internationales. Nos protestations, réitérées quotidiennement, n'ont servi à rien.

En accord avec l'AMA, j'ai demandé, dans un courrier récent, à M. McQuaid de nous donner la localisation des sportifs étrangers venus s'entraîner sur notre sol par le réseau ADAMS. M. McQuaid nous refuse l'accès à ce réseau. J'ai saisi l'AMA. M. McQuaid propose de faire comme l'année dernière, ce que nous ne voulons pas puisque cela n'a pas été efficace.

Au cours de sa réunion qui s'est tenue le week-end dernier, l'AMA a réaffirmé l'intérêt de la localisation des sportifs par le biais du logiciel et la nécessité pour les fédérations internationales et les autorités nationales d'échanger à ce sujet. Si nous ne parvenons pas à obtenir ces informations des fédérations internationales, nous les demanderons aux autorités nationales. Mais le procédé est quand même un peu curieux.

Nous comptons demander à l'UCI de pouvoir procéder à des contrôles additionnels lors du prochain Tour de France. Nous ne souhaitons pas multiplier les contrôles, mais nous voulons qu'ils soient efficaces, c'est-à-dire véritablement inopinés, effectués sur des sites appropriés et destinés à rechercher des molécules que le laboratoire connaît et est capable d'analyser.

Pendant la compétition de l'année dernière, nous avons accepté de travailler avec l'UCI, mais les médecins préleveurs ont rencontré tellement de difficultés dans leur travail, dans l'indifférence totale de l'UCI, que nous avons failli arrêter de procéder aux prélèvements pendant le Tour de France.

Je vous donne un exemple dont ont été témoins de nombreuses personnes, notamment une journaliste. Un médecin préleveur a dû attendre plus d'une heure avant de pouvoir effectuer son prélèvement, ce qui a laissé au sportif tout le temps de procéder à des modifications de paramètres sanguins, voire urinaires. J'ai demandé, le jour même, au secrétaire général de l'Agence qui suivait la course, de clarifier cette affaire en s'entretenant avec le médecin préleveur et les délégués UCI. J'ai moi-même téléphoné à M. McQuaid. Mais nos efforts n'ont servi à rien.

Certains médecins s'aperçoivent parfois, au moment où ils effectuent leur prélèvement, que le cycliste saigne d'un bras, ce qui laisse penser qu'il vient de se faire une perfusion. Mais, quand ils transmettent l'information à l'UCI, cela ne sert à rien. Nous avons jugé utile de rendre publiques ces informations parce que nous nous sommes aperçus que nous n'étions pas la seule agence à connaître des problèmes avec cette fédération internationale.

Nous contrôlons, selon la méthode UCI, peut-être 60 des 150 – environ – compétitions françaises cyclistes dites internationales. Après que ces contrôles, qui étaient gratuits sous la loi Buffet, sont devenus payants pour le niveau international, j'ai dénoncé au mois de septembre la convention que nous avions à l'époque passée avec la Fédération française de cyclisme (FFC), considérant, d'une part, que les prix que nous pratiquions étaient trop coûteux pour nous et, d'autre part, qu'une clarification avec la Fédération internationale était nécessaire afin de ne pas mettre les médecins préleveurs en difficulté. À ce jour, aucune contre-proposition ne nous a été faite, et les contrôles sont effectués, ou non, par cette même Fédération. En effet, alors que la Fédération française a une mission de service public, les compétitions – comme celle de Cholet-Pays de Loire dont on a beaucoup parlé – comptant pour la Coupe de France, mais sous règlement UCI, nous échappent : si le ministère donne bien délégation à la Fédération française pour organiser des compétitions nationales, celle-ci subdélègue en quelque sorte cette organisation à la Fédération internationale, et la course dépend alors de cette dernière en matière de lutte antidopage.

La Fédération nationale doit être attentive à ce que les compétitions qui comptent pour la Coupe de France, voire pour une coupe régionale, ne soient pas nécessairement sous le contrôle de l'Union cycliste internationale. Pour reprendre l'exemple de la course de Cholet où nous avons contrôlé positif un cycliste qui a ensuite fait l'objet de poursuites judiciaires – alors que tout le monde pensait qu'il n'y aurait pas de contrôle –, j'ai fait l'objet de nombreuses pressions pour que les analyses ne soient pas effectuées et je suis très inquiet de telles dérives.

Nos relations ne sont pas aussi tendues avec les autres fédérations internationales. Vous avez ainsi pu lire dans L'Équipe que le président de la Fédération internationale de tennis se félicitait de la bonne entente qui régnait entre nous. Pour ce qui est du football, si des tensions ont pu exister avec des présidents de club, nous nous en sommes expliqués avec ces derniers dans le cadre de la Ligue de football professionnel (LFP) et, depuis, tout se passe bien. Il en va de même avec la Fédération française de Rugby (FFR) et avec de nombreuses autres fédérations.

Les infractions n'existent pas que dans le cyclisme : si nous en avons relevé 24 dans cette discipline au cours de l'année 2009, leur nombre a atteint 18 pour le hockey sur glace, 17 pour le football – le plus souvent du fait du cannabis – et pour le basket-ball, 10 pour l'athlétisme, 9 pour le volley-ball, 8 pour le hockey sur gazon et pour la boxe, 7 pour le hand-ball, 8 pour le rugby, 6 pour le sport automobile et pour la natation, 5 pour le tir à l'arc et pour le triathlon et 4 pour le tennis, pour l'équitation, pour le motocyclisme et pour le ball-trap.

Le bilan du système ADAMS est positif puisque les sportifs participent aujourd'hui à cette banque de données. La difficulté provient du fait que si le code mondial antidopage prévoit des contrôles en et hors compétition, le code du sport français ne les prévoit qu'en compétition et à l'entraînement – sauf heureusement pour le groupe cible de 500 personnes, grâce à l'ordonnance.

Si cette dernière, qui a été préparée dans de bonnes conditions entre les services de l'Agence et le ministère des sports, a été la bienvenue, son résultat final ne nous satisfait pas pleinement. Il en va de même d'ailleurs pour l'Agence mondiale antidopage à laquelle le projet d'ordonnance a été soumis : croyant qu'on lui demandait son opinion, elle a en effet émis un avis assez substantiel dont elle n'a retrouvé que peu d'éléments dans l'ordonnance, et nous risquons d'en trouver les échos dans ses publications où elle mentionne les pays qui se conforment à ses recommandations et les autres. J'aurais préféré, pour ma part, un débat parlementaire, ce qui aurait permis à la fois d'avoir plus d'impact auprès de l'opinion internationale et d'être plus proche de la réalité du terrain. Dans l'ensemble cependant, l'ordonnance va dans la bonne direction.

L'indépendance de l'AFLD a été consacrée par les tribunaux : j'ai été poursuivi pour avoir fait état de pressions que j'avais subies. Le tribunal de grande instance de Paris a ainsi estimé que le président d'une autorité publique indépendante qui subit des pressions a le devoir de les rendre publiques afin que cela ne se reproduise pas, jugement que la Cour d'appel a confirmé en ajoutant qu'un tel président devait même, quand il l'estimait utile, organiser des débats publics, ce que je n'hésite pas à faire pour pouvoir continuer à parler le plus librement possible. L'une des difficultés des autorités indépendantes est en effet qu'en cas de situation conflictuelle elles ne peuvent le plus souvent s'exprimer que par l'intermédiaire du Parlement et, surtout, des médias.

Enfin, certaines règles du code mondial antidopage seront difficiles à transposer en droit français, ce qui ne pourra que renforcer les préventions de l'AMA quant à l'incertitude des positions de notre pays. Pour autant, la relation entre l'AFLD et l'Agence mondiale antidopage est très bonne. Au cours de la réunion de son comité exécutif et de son conseil de fondation le week-end dernier à Montréal, cette dernière a ainsi accepté notre demande tendant à la fois à la modification de l'article 15.1.1 de son code afin de mieux préciser la nature des contrôles additionnels, et au renforcement de ses liens avec Interpol grâce notamment à l'appui du Gouvernement français. L'AMA est à l'écoute concernant nos souhaits en matière de localisation.

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