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Intervention de François Bordry

Réunion du 12 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

François Bordry, président de l'Agence française de lutte contre le dopage :

Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir invités pour parler d'une question particulièrement importante sur laquelle le Parlement se doit d'être pleinement informé. Nous sommes très attachés à la transparence et fournirons toutes les réponses que nous pourrons à vos questions.

L'Agence française de lutte contre le dopage a succédé, en 2006, au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) créé par la loi de 1999 de Mme Buffet, qui a fait beaucoup progresser la lutte antidopage. Le CPLD était une autorité indépendante chargée de la discipline, de la prévention et de la recherche en matière de lutte antidopage. Les contrôles étaient organisés par la direction des sports au ministère des sports et réalisés par le célèbre laboratoire de Châtenay-Malabry, qui était un établissement public administratif dépendant du ministère des sports. La compétence du Conseil s'exerçait sur tout le territoire national, que la compétition soit nationale ou internationale, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

L'AFLD a été créée par la loi d'avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, l'Agence a le même statut que l'Autorité des marchés financiers. Mais elle a gardé la même structure et la même composition de son collège que le CPLD. Président de ce dernier, je suis devenu celui de l'Agence.

Indépendant de l'Agence et de son président, le directeur des contrôles conduit son action en fonction du plan général établi chaque année par le collège de l'Agence. Le directeur des analyses est le directeur du laboratoire de Châtenay-Malabry. Jusqu'à récemment, ce poste était tenu par M. de Ceaurriz, une personnalité exceptionnelle, compétente, courageuse, et qui a beaucoup payé de sa personne. Son décès en début d'année nous a conduits à lancer un appel à candidatures au niveau national et international pour assurer son remplacement. En attendant, c'est son adjointe, Mme Lane, qui a fait faire de grandes avancées au laboratoire, notamment en matière d'EPO, qui assure l'intérim.

Le collège de l'Agence est compétent pour la discipline. Il contribue à parrainer la recherche médicale et la recherche scientifique en matière de dopage et fait également de la prévention. Mais il n'a plus la compétence des contrôles lors des compétitions internationales, ce qui est source parfois de difficultés.

Le budget de l'AFLD est principalement alimenté par une subvention de l'État, à laquelle je suis personnellement très attaché car elle garantit l'indépendance à la fois du laboratoire et des contrôles. Mon souhait serait cependant que l'Agence dispose de ressources pérennes, car nous avons toujours eu des difficultés concernant notre budget.

La première difficulté provenait du décret présidant à la mise en place de l'Agence. Le Conseil d'État s'est en effet opposé à ce que ce soit le ministre des sports qui fixe le budget de l'Agence, suggérant que celle-ci adopte elle-même son budget puis qu'elle le transmette au ministère des sports et au ministère du budget, lesquels disposent aujourd'hui d'un délai de quinze jours pour demander une seconde délibération à l'Agence. Comme cette dernière n'est pas obligée de suivre la demande faite par les ministères, elle est libre d'adopter son budget comme elle l'entend.

Néanmoins, nous devons, chaque année, mener des discussions complexes pour obtenir une subvention suffisante. Ces discussions ont été encore plus difficiles cette année.

Le Gouvernement a cherché, au début de l'année, à instituer une taxe sur les licences sportives pour abonder une partie des recettes de l'Agence. Mais le projet s'est révélé très difficile à réaliser. Le montant de la taxe n'était pas suffisant par rapport au coût qu'aurait représenté pour l'Agence le recouvrement de cette taxe. Par ailleurs, cela aurait créé des contentieux avec certaines fédérations dont nous n'aurions jamais su le nombre exact de licenciés.

Le Gouvernement a ensuite proposé, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, une augmentation de 0,5 % de la taxe dite Buffet, ce qui aurait rapporté environ 4 millions d'euros, soit à peu près la moitié de la subvention de l'État à l'Agence.

Le Gouvernement ayant retiré cette proposition, la secrétaire d'État chargée des sports, Mme Rama Yade, s'est engagée devant le Sénat à attribuer les 4 millions sur le budget du ministère des sports. Le Journal officiel des débats au Sénat en fait foi. Or, à notre grande surprise, il n'était plus question, au mois de janvier, que de 2 millions d'euros. Nous devions trouver le reste comme nous le pouvions, par exemple en puisant sur notre fonds de roulement.

J'ai réagi par médias interposés en indiquant que j'attendais du Gouvernement qu'il tienne la promesse qu'il avait faite devant le Parlement. Après des discussions complexes, j'ai reçu, il y a quelques jours, une lettre du directeur de cabinet de la ministre m'assurant que les 4 millions d'euros nous seraient versés au mois de juin. Je n'ai aucune raison de douter de cet engagement. Mais vous comprendrez qu'il soit difficile de faire fonctionner une agence avec des incertitudes budgétaires de cette nature.

Comme le changement d'attitude du Gouvernement vis-à-vis de notre subvention était intervenu dans un contexte où le Tour de France 2009, dont le départ était proche, faisait l'objet d'investigations de notre part, cela a pu laisser penser que certains cherchaient à fragiliser le fonctionnement de l'Agence. Mais il n'en a rien été. Cette dernière a pu continuer à fonctionner dans des conditions normales.

Le fonds de roulement de l'AFLD a été constitué lorsque le laboratoire de l'Agence était un établissement public sous tutelle du ministère des sports. La plupart des laboratoires et des entreprises ont un fonds de roulement, mais nous ne faisons aucune « fixation » sur le nôtre. Si le ministère des finances nous en donne l'autorisation, nous sommes prêts à l'utiliser autrement si cela doit aider l'État dans le financement de notre Agence.

Le Tour de France 2008 a été très important pour elle car, du fait d'un conflit entre l'Union cycliste internationale (UCI) et le groupe Amaury, c'est nous qui avons effectué les contrôles antidopage, ce qui, d'une part, nous a conduits à travailler avec les agences nationales ou les autorités nationales existant dans les pays membres du Comité international olympique (CIO) et, d'autre part, nous a valu une reconnaissance internationale.

Nous avons travaillé avec les agences nationales de deux manières. Premièrement, les agences nous ont fourni des renseignements sur les coureurs. Deuxièmement, nous avons renvoyé les sportifs que nous avons détectés positifs devant les autorités nationales concernées. Par exemple, c'est l'autorité autrichienne qui a traité le cas de Bernhard Kohl dont les contrôles s'étaient révélés positifs à l'EPO Cera. À la suite de cela, le gouvernement autrichien a décidé de renforcer les moyens d'action de cette autorité qui, depuis, travaille dans de très bonnes conditions.

De même, c'est l'agence allemande qui, à notre demande, a transmis les documents de positivité à Stefan Schumacher et engagé une procédure contre lui. Celle-ci a été assez longue car M. Schumacher estimait que nous n'avions pas procédé au contrôle dans de bonnes conditions. Mais la sanction de deux ans que nous lui avons infligée a été confirmée par le Conseil d'État puis par le tribunal arbitral du sport.

L'efficacité des contrôles qui, depuis 2008, est reconnue au niveau international, repose à la fois sur le recueil de renseignements sur les sportifs et sur le ciblage effectué ensuite à partir de ces renseignements. En effet, nous ne jugeons pas utile de faire des prélèvements sur tous les sportifs. Comme nous pensons qu'il y a encore, fort heureusement, un nombre important de sportifs qui ne se dopent pas, nous essayons d'utiliser les renseignements pour frapper là où est le mal, sans soumettre tout le monde à des contrôles, ce qui répond également à un souci économique car les prélèvements coûtent cher. Le ciblage est maintenant recommandé par l'Agence mondiale antidopage (AMA).

Grâce à notre reconnaissance internationale, nous participons avec beaucoup d'efficacité et d'intérêt au développement des autorités nationales dans les différents pays du monde. Nous nous réunissons fréquemment, nous échangeons des informations et nous nous soutenons face aux situations complexes. L'AMA a d'ailleurs encore réfléchi, le week-end dernier, aux moyens de renforcer les autorités nationales pour faire face aux fédérations internationales et les empêcher d'être maîtresses du jeu. J'ai d'ailleurs noté avec stupeur que pratiquement toutes les agences nationales avaient des difficultés avec l'UCI.

Dans le cadre d'une loi promulguée en juillet 2008, Mme Bachelot a fait obligation aux personnels du ministère des sports et à ceux de l'AFLD de fournir les informations qu'ils peuvent avoir aux autorités judiciaires. Le travail avec les services de la gendarmerie, de la police judiciaire et des douanes est très utile, à la fois pour le ciblage des sportifs et pour la connaissance des nouvelles méthodes de dopage employées. Dans le Tour de l'Avenir du mois de septembre dernier, qui prépare des jeunes de vingt ans au Tour de France, les douanes ont arrêté un véhicule qui contenait non seulement des produits lourds de dopage, des matériels dopants, des méthodes et des procédés pour se doper, mais également des protocoles pour échapper aux contrôles ou pour ne pas être positif au moment du prélèvement. En Australie, où la lutte antidopage est assez importante, 60 % des produits dopants sont découverts par les douanes.

L'AFLD entretient de bons rapports avec l'Agence mondiale antidopage. Le président de l'AMA vient toujours nous voir quand il est de passage en France. Les initiatives que nous prendrons à l'égard du Tour de France 2010 seront définies en accord avec l'Agence mondiale.

Il est assez troublant de constater que c'est avec le cyclisme que nous avons le plus de difficultés. Il y a actuellement quatre affaires judiciaires lourdes en France concernant des équipes cyclistes, dans des courses internationales comme dans des compétitions nationales. On ne peut pas laisser le cyclisme s'enferrer dans une telle situation. Je précise que, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, ce n'est pas à cause de l'Agence qu'il y a des dopés, mais c'est grâce à la politique ciblée et efficace qu'elle mène qu'on en découvre. On préférerait ne pas en trouver, d'autant que, depuis la loi Avice de 1984, il est prévu que les fédérations sportives aient une délégation de service public. Les services de l'État devraient être plus attentifs en ce domaine quand la situation n'est pas complètement transparente. Il est arrivé dans le passé qu'une délégation de service public soit retirée à une fédération.

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