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Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 12 juin 2008 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Lenoir :

Je pourrais répondre par une boutade à votre question liminaire en faisant valoir que la Mutualité française est un peu en dehors du circuit des ALD compte tenu des modes de prise en charge et d'accompagnement des patients, même si un peu plus de deux tiers des bénéficiaires des ALD sont adhérents à des mutuelles.

Le classement en ALD est d'abord un concept administratif qui déclenche une prise en charge à 100 %. Il est le révélateur de l'évolution du système de soins de santé que j'ai l'habitude d'appeler la « révolution épidémiologique », laquelle est liée à deux facteurs principaux : premièrement, la capacité croissante à soigner des maladies, y compris avant qu'elles n'apparaissent – ce qui revient à soigner des facteurs de risque – grâce aux progrès de la médecine, deuxièmement, le vieillissement de la population.

Le dispositif des ALD comprend la prise en charge non seulement d'épisodes de soins lourds et coûteux pour le patient mais surtout du phénomène plus général des maladies chroniques. Les épisodes de soins coûteux se déroulent selon un processus où on distingue un avant, un pendant et un après. Les deux ALD qui ont les incidences les plus importantes sont l'hypertension artérielle et le diabète.

Le régime des ALD – qui ne s'appelait alors pas ainsi – a été créé juste après l'ordonnance de 1945 sur la sécurité sociale, à une époque où les complémentaires santé ne couvraient qu'une partie de la population, afin d'éviter un reste à charge trop important pour le patient. Leur première fonction était de fixer un plafond mensuel aux dépenses restant à la charge de l'assuré social. On leur a plus récemment assigné un autre objectif, centré sur une trentaine de pathologies introduites par le plan dit Séguin, qui a conduit à se poser la question de la qualité de la prise en charge.

En matière de politique publique, il n'est jamais très bon qu'un seul instrument couvre deux objectifs. Par ailleurs, indépendamment des problèmes que le dispositif des ALD pose à l'assurance maladie obligatoire en ce qu'il est un moteur de la dépense et conduit à la concentrer de plus en plus sur les pathologies visées, il ne répond plus ni à l'un ni à l'autre des objectifs fixés.

La loi du 13 août 2004 avait prévu la mise en place de plus de 8 millions de protocoles individuels entre le patient, le médecin et le médecin-conseil, ce que j'ai toujours considéré comme une utopie technocratique et que j'ai même qualifié de « gosplan »… Un peu plus de 2 millions de protocoles ont à ce jour été signés, ce qui montre que le dispositif était irréalisable. Il n'a d'ailleurs pas permis d'améliorer la qualité de la prise en charge de ces affections. Et il faudra bien se poser la question de la prise en charge des maladies chroniques en général, ALD ou non.

Contrairement à ce que l'on en dit, le dispositif des ALD n'assure pas la prise en charge à 100 % des pathologies les plus lourdes. Depuis quelques années, le reste à charge des personnes en ALD est devenu supérieur au reste à charge moyen. Si une partie des dépenses ne relève pas de l'ALD proprement dite, d'autres, directement imputables à l'ALD, ne sont pas couvertes à 100 % : forfait journalier, franchises, dépassements d'honoraires.

La réflexion conduite par la Mutualité française ne porte pas spécifiquement sur la question des ALD, qui ne peut être réglée séparément des autres. Le moment où une maladie est prise en compte comme une ALD, qui relève d'une décision administrative – ce qui explique les difficultés des médecins à gérer l'entrée et la sortie du dispositif – s'intègre dans une séquence de soins longue, où il y a un avant, un pendant et un après. La nécessité de prendre en compte la totalité de la séquence a des conséquences sur l'action de la Mutualité française, sur les conditions de suivi par les professionnels de santé et sur l'organisation de la prise en charge dans la durée, c'est-à-dire la coordination entre l'assurance maladie obligatoire et la Mutualité française – question récurrente qui n'a pas été réglée, même si c'était probablement dans l'intention du législateur, par la loi de 2004. Je vais prendre ces trois points un à un.

Bien que la Mutualité ne dispose pas de moyens aussi importants que l'État et l'assurance maladie, elle a eu de tout temps un engagement important, et parfois précurseur, en matière de prévention. Elle y consacre environ 12 millions d'euros, presque exclusivement destinés aux facteurs de risque, donc à ce qui peut générer des ALD : risques cardio-vasculaires, cancers, situations de dépendance et de perte d'autonomie. Plus on agit sur ces facteurs, plus on retarde l'entrée dans des situations lourdes, voire on les élimine. Cette action de prévention a donc un effet bénéfique sur la prise en charge du coût des ALD même si on retarde aussi par la même occasion – et c'est heureux – le moment de la sortie fatale. Elle a contribué à l'allongement de la durée de la vie et a apporté un bien-être supplémentaire. L'espérance de vie sans incapacité augmente plus que l'espérance de vie en général. Le bilan des actions de prévention apparaît donc globalement positif, y compris sur la dépense.

Nous avons également engagé des actions plus systématiques sur chaque partie des séquences de soins : l'avant, le pendant, l'après. Depuis le mois de mai, nous avons lancé dans deux régions le dispositif Priorité santé mutualiste. Cette action auprès de nos adhérents et de l'environnement a pour but de procurer à ceux qui le souhaitent une information, dont la qualité est totalement validée, sur les dispositifs de prévention afin d'aider à la fois l'orientation dans les moments les plus critiques et l'accompagnement une fois ces moments passés. Le concept administratif de l'ALD recouvre des réalités lourdes pour les assurés et les mutualistes. Le dispositif Priorité santé mutualiste n'a pas été pensé uniquement par rapport aux ALD mais par rapport aux sujets les plus lourds pour nos adhérents, même si nous avons choisi de commencer par des thématiques et des pathologies qui sont pour la plupart considérées, du point de vue administratif, comme des ALD : cancers, affections cardio-vasculaires, addictions au sens général, aide à l'autonomie liée au cinquième risque. Nous comptons généraliser ce dispositif l'année prochaine à l'ensemble du territoire et l'étendre à d'autres domaines de pathologies.

La nécessité d'intégrer la réflexion sur les ALD dans la séquence totale des soins dispensés aux patients conduit à prendre en compte l'organisation des soins et le mode de rémunération des professionnels de santé. Pour les pathologies chroniques, l'acte ponctuel n'a pas de sens, notamment pour le médecin traitant. Ce qui compte, c'est le suivi du patient dans la durée. Il arrive que des pathologies chroniques conduisent à une multiplication d'actes inutiles et ne soient pas suivies dans la durée. Cela met en cause des organisations de soins sur lesquelles il serait trop long de revenir. Elles sont connues et j'espère que les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi « Patients, Santé, Territoire » permettront d'y apporter une vraie réponse, notamment pour les soins primaires. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la prise en compte de la continuité des soins. Le paiement à l'acte – auquel le « forfait » de 40 euros prévu par la convention de 2005 apporte une mauvaise réponse – incite à inscrire les patients en ALD mais n'a pas d'effets réels sur leur suivi dans la durée. Il faut rechercher des dispositifs de rémunération des soins dans la durée prenant en compte, dans un cadre ordonné, l'ensemble des intervenants : médecin traitant, médecins adressés et spécialistes. J'espérais que les expérimentations prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour cette année auraient permis de tester ce type de rémunération. En dehors de l'épisode de la prise en charge à 100 % quand la maladie est considérée comme une ALD, cela nécessite – et nous y sommes prêts – une prise en charge conjointe de la rémunération du médecin et de l'ensemble des professionnels de santé qui gravitent autour de la personne soignée.

Le troisième sujet à prendre en compte quand on intègre les ALD dans l'ensemble du processus de soins est l'organisation de la prise en charge dans la durée. Hélas, les dispositifs qui permettraient d'assurer cette prise en charge conjointe n'existent pas ou n'ont pas été mis en oeuvre. Les mutuelles ne savent pas quels sont leurs adhérents en ALD et n'ont aucune connaissance de leur situation. Elles n'ont pas accès à l'information. Pour assurer un suivi personnalisé sans risquer une quelconque dérive – comme la sélection des risques – la Mutualité a engagé des expérimentations pour avoir accès de façon anonyme aux données de soins individualisés. La question de l'accès à l'information se posera si nous voulons participer plus efficacement au suivi des patients dans la durée. La Mutualité n'a également que peu d'informations, pour ne pas dire pas du tout, sur l'économie générale du système : son coût, sa prise en charge. Cela tient au fait que les dispositifs de l'IDS – l'Institut des données de santé – se sont mis en place tardivement et ne permettent pas encore à la Mutualité d'accéder à l'EPIBAM – échantillon permanent inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie. La question de l'accès au SNIIRAM – système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie – est potentiellement réglée à ceci près que, à ma connaissance, l'arrêté n'a toujours pas été soumis à la signature.

Si nous voulons aller plus loin dans la prise en charge de ce que j'appelle les maladies chroniques, au-delà de l'épisode ALD qui est un mécanisme purement administratif, il faudra passer à un conventionnement tripartite – prévoyant une rémunération, pour l'essentiel forfaitaire, attachée au suivi dans la durée – avec des engagements individuels de qualité de prise en charge par ceux qui souscriront les contrats. J'espère que l'expérimentation prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 permettra d'ouvrir cette piste.

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