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Intervention de Martine Durand

Réunion du 5 mars 2009 à 9h15
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Martine Durand, directrice-adjointe de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économique :

Merci d'avoir invité notre organisation à participer à vos travaux. L'OCDE a mené une série d'études dans une quinzaine de pays sur la conciliation entre travail et vie de famille, regroupées sous le nom de « Bébés et employeurs » – Babies and bosses –, dont M. Adema est le principal auteur.

Les politiques de conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale sont articulées autour de cinq objectifs essentiels. Le premier est d'augmenter le taux d'emploi des femmes – car, dans un contexte de vieillissement des populations, toutes les personnes susceptibles de rejoindre le marché du travail doivent y être incitées – mais en veillant à leur assurer un emploi de qualité. Le deuxième est lui aussi lié au vieillissement de la population : il s'agit d'augmenter le taux de fécondité – les pays du sud de l'Europe et l'Allemagne par exemple ont atteint des chiffres extrêmement bas. Le troisième est de promouvoir des modes de garde qui favorisent le développement de l'enfant. Le quatrième objectif est de réduire la pauvreté infantile. Le dernier est de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, non seulement dans les carrières mais aussi dans le partage des tâches familiales.

L'importance relative de chacun de ces objectifs varie selon les pays. On peut distinguer trois modèles. Dans les pays nordiques, l'accent est mis sur l'emploi des femmes, le développement de l'enfant et l'égalité entre hommes et femmes. Les pays anglo-saxons eux privilégient, outre l'emploi des femmes, la réduction de la pauvreté infantile – objectif affiché par Tony Blair et qui a été repris par Gordon Brown. Quant à l'Europe du sud et continentale, la politique familiale y est peu développée car le domaine est considéré comme privé : c'est à la famille de s'occuper des enfants, ce qui revient en pratique à ce que les mères ne travaillent pas. L'impact sur le taux de fécondité est direct, car il apparaît nettement que ce sont dans les pays où les femmes travaillent le plus que le taux de fécondité est le plus fort.

C'est des pays nordiques que le système français est le plus proche. Il met l'accent sur l'emploi des femmes et sur la réduction des écarts entre hommes et femmes. Toutefois, la politique nataliste française, qui est fortement affirmée et de longue tradition, peut connaître une certaine ambiguïté dans la définition de ses objectifs. Au total, la France est le pays qui dépense le plus pour la famille : 3,5 % de son PIB, contre 2,3 % en moyenne dans l'OCDE. Les outils sont diversifiés : aussi bien des aides financières directes aux ménages que des services d'accueil du jeune enfant. La part de ces services est assez importante en France – moins que dans les pays nordiques mais nettement plus qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne. Les transferts financiers y prennent en outre très souvent la forme d'avantages fiscaux, notamment par le biais du quotient familial, qui est une spécificité française. Ces transferts réduisent largement les écarts de revenus entre les ménages avec ou sans enfants et les risques de pauvreté infantile, laquelle passe de 21 % avant transfert à 7 % après. Mais le lien entre le revenu initial de la famille et le niveau des aides est faible : la politique familiale française se veut universaliste, contrairement à la plupart des autres pays, où les aides sont inversement proportionnelles aux revenus. En France donc, ceux qui reçoivent le plus d'aides sont les ménages à faible, mais aussi à haut revenu. L'importance de ces transferts entraîne en outre une faible incitation à reprendre une activité professionnelle : le second apporteur de revenus du foyer, généralement la femme, gagne très peu à reprendre une activité, ce qui pèse sur l'objectif d'emploi des femmes.

Avant d'aborder les systèmes d'accueil de la petite enfance, il faut dire que beaucoup de pays de l'OCDE envient la France certes pour son taux de fécondité, mais aussi pour son école maternelle, qui permet une socialisation précoce de l'enfant. Ce sont les atouts majeurs de la politique française. Pour ce qui concerne les enfants de plus de trois ans donc, la conciliation entre vie de famille et vie professionnelle est assez sereine puisque les enfants sont gardés, et bien gardés, dans une école maternelle de qualité. Mais avant cet âge, les objectifs sont plus ambigus. La France pratique une politique du libre choix « double » : les parents peuvent à la fois choisir entre travail et interruption de carrière, puisque le congé parental peut être long, et entre différents modes de garde. Mais en pratique, le système n'est pas aussi net puisqu'il incite les femmes à faibles revenus à se retirer longuement du marché du travail. Cette question de la durée du congé parental se pose d'ailleurs dans de nombreux pays. L'Allemagne, qui laissait traditionnellement ces sujets dans la sphère privée, a récemment adopté une politique nataliste et a raccourci son congé parental, afin d'améliorer ses taux de fécondité et de travail des femmes. J'ajoute que si l'on entend couramment qu'il est préférable pour le développement de l'enfant qu'un parent – sa mère – reste à la maison, aucune étude n'a jamais conclu en ce sens. Un congé parental d'un an ou dix-huit mois semble amplement suffisant si des modes de garde de qualité sont accessibles ensuite. C'est le choix qu'ont fait les pays nordiques et, récemment, l'Allemagne.

Le modèle français est à la croisée des chemins : il ne permet pas vraiment une bonne conciliation et il ne table pas non plus sur le fait que les mères s'occupent de tout jusqu'à la scolarisation de l'enfant. Ce qui manque serait peut-être une meilleure continuité, un « continuum des aides », ce qui passe par une réduction du congé parental – qui doit bien sûr être relayé par une amélioration de l'offre de modes de garde de qualité – et une réorientation des crédits – car si la France dépense beaucoup pour sa politique familiale, peut-être devrait-elle dépenser mieux. Au Danemark, où les congés parentaux sont inférieurs à cinquante semaines, 85 % des enfants sont dans des centres d'accueil dès leur deuxième année et 61 % des enfants de moins de trois ans ont accès à un service d'accueil, contre un tiers en France. Et le taux de travail des femmes y est plus élevé. Enfin, si, dans les pays nordiques, une large part des congés sont accessibles aux hommes, ce sont objectivement les femmes qui les prennent.

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