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Intervention de Laurent Degos

Réunion du 15 mai 2008 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Laurent Degos :

Ce sujet nous préoccupe depuis le début de l'installation de la HAS et M. Raoul Briet suit le dossier de très près.

Au 1er mai 2008, les guides ALD établis par la HAS et destinés aux médecins couvrent 67 % des ALD. Et en décembre, 87 % des ALD seront couvertes. Pourquoi pas 100 % ? Parce qu'il existe une myriade de maladies très rares, dont sont atteints une cinquantaine ou une centaine de patients, surtout parce qu'il y a des « hors liste » : la 31e et la 32e maladies, sans critères d'admission ni listes d'actes et de prestations.

En dehors de ces derniers cas, à la fin de l'année 2008, la HAS aura procédé à l'examen de l'ensemble des ALD de la liste et revu les critères d'admission ainsi que les listes indicatives des actes et prestations nécessités par leur traitement. Nous aurons également mis au point, ce qui n'était pas prévu, des guides médecins et des guides patients pour chacune des 30 ALD. Maintenant que ce travail est presque terminé, il est temps en effet d'ouvrir le débat.

À l'origine, on parlait de maladies de longue durée et coûteuses. Cependant, depuis 1986, le coût ouvrant droit à l'exonération du ticket modérateur n'est plus défini de façon directe. En 1945, la correspondance entre la longue durée d'une affection et son coût était évidente. Mais le progrès médical et l'évolution du coût des soins devraient conduire à dissocier le volet médical du volet financier de la prise en charge des ALD.

On aboutit aujourd'hui à une injustice sociale, dont il convient de discuter. Le nombre des personnes qui entrent en ALD progresse de 5 % par an. L'évolution du coût est facile à apprécier. Mais le noeud du problème est ailleurs : c'est l'évolution médicale, dont on parle assez peu.

D'abord, ce qui était chronique est devenu aigu ; ainsi la tuberculose et l'hépatite ne sont plus des maladies chroniques mais aiguës.

Ensuite, de plus en plus de personnes, notamment âgées, présentent des polypathologies, par exemple des rhumatismes chroniques, plus une dépression, plus un diabète, etc. On s'aperçoit déjà qu'il va falloir personnaliser et non plus faire entrer les malades dans une liste prédéfinie.

Enfin, quel est le début d'une maladie de longue durée ? Est-ce le fait d'avoir 1,2 g de glycémie ? Mais pourquoi ne pas prendre en compte ceux qui ont d'autres risques cardiovasculaires, comme ceux qui présentent une hypercholestérolémie, un tabagisme chronique, une obésité, etc. ? Est-ce la première manifestation clinique ? Mais quelle est la première manifestation clinique ? Ou inversement, l'hémochromatose qui se prédit dès la naissance ? Sans compter les diagnostics anténataux, avant la naissance, ou préimplantatoires, avant la vie ? On rencontre donc aujourd'hui une difficulté médicale à déterminer le début d'une maladie.

Une difficulté équivalente se pose pour la sortie d'une maladie, donc sa guérison. On peut dire qu'une maladie infectieuse est guérie, et encore… Pour un cancer, on parle plutôt de rémission.

Venons-en au parcours de soins du patient. Ce sont toujours des allers et retours entre des phases aiguës et des phases chroniques, des phases de guérison et des phases de rémission. Il faut donc penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée, réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient, pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, qui implique le patient lui-même.

S'il est facile d'apprécier le coût d'une maladie, il est très difficile de définir la maladie elle-même. On est passé d'un problème financier, en 1945, à un problème médical, en 2008. Pour le médecin comme pour le patient, il faut essayer de trouver la meilleure prise en charge du patient. Il n'y a plus de correspondance avec la liste, il n'y a plus de notion d'entrée et de sortie de la maladie, il y a des maladies aiguës qui coûtent plus cher que des maladies chroniques, il y a des profils pluripathologiques, tout cela fait qu'il faut repenser totalement le système. Il faut plus de justice sociale. Il faut distinguer prise en charge médicale d'une part, financière et sociale d'autre part. Le protocole doit être à la fois médical et financier. Il faut donc personnaliser la prise en charge, à la fois médicale et financière.

Voilà pourquoi nous en sommes arrivés à ces trois scénarios : soit on réactualise cette liste, mais le système, on l'a vu, est illogique, injuste et aboutit à une mauvaise prise en charge ; soit on le révise, par exemple, en corrigeant l'illogisme de la prise en charge du risque cardiovasculaire. Mais les personnes concernées ne comprendront pas qu'on ne les prenne plus en ALD à 1,2 g de glycémie. Et si on prend tout le monde, il en résultera une surcharge pour les ALD. Le dernier scénario consiste à adopter un autre système, dissociant la prise en charge médicale et financière, qui constitue la base même de notre réflexion.

Il faut optimiser la prise en charge médicale, faire en sorte qu'elle soit intégrée c'est-à-dire pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, avec un patient acteur de sa santé, et rendre plus juste la prise en charge financière, pour que tous les citoyens aient le même reste à charge. Au-delà, il faut aussi assurer une prise en charge sociétale, en définissant la place du malade atteint de maladie chronique dans la société.

Pourquoi ne va-t-on pas dans cette direction, qui paraît logique ? Pourquoi n'arrive-t-on pas à se détacher du passé ? Probablement parce que les médecins et les patients ont toujours en tête que, parce qu'il existe une prise en charge financière, on est bien soigné. Pour le collège de la HAS, une telle équation n'est pas valable. On peut être bien soigné pour une maladie aiguë, sans prise en charge financière à 100 %. D'ailleurs, pourquoi n'y aurait-il de guides médecins ou patients que pour les maladies de la liste ? Il en faudrait pour toutes les maladies. Avant d'aller plus loin, nous devons jouer auprès des professionnels et des patients un rôle fort d'éducation et d'information. Auparavant, un choix politique s'impose.

Une autre réticence vient des institutionnels, principalement des financeurs qui doivent contrôler les protocoles de soins concernant les maladies figurant sur la liste des ALD. Pour eux, c'est un moyen de mieux contrôler le risque. Tant que ce seul élément de diagnostic sera transmis aux caisses, celles-ci seront réticentes pour sortir du système existant.

Pour le patient, avoir un système de prise en charge médicale intégrée, c'est le futur. C'est pourquoi nous allons travailler à une éducation thérapeutique, à la personnalisation du soin, à des coopérations interprofessionnelles pour mieux prendre en compte le risque. C'est dans ce sens qu'il faudra passer de la prise en charge par liste à une prise en charge personnelle. Cela ira dans le sens de plus de justice sociale et d'une meilleure prise en charge médicale. Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a publié un avis sur la prise en charge des ALD, au mois d'avril 2005. La Cour des comptes a publié une analyse sur ce même thème dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de septembre 2006. Enfin, MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard ont publié, au mois de septembre 2007, un rapport sur la dissociation de la prise en charge, qui envisage des scénarios de prise en charge financière plus juste et répondant de façon plus adaptée à la prise en charge sociale des personnes.

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