Sur la question de l'inaliénabilité des collections, ma position est très claire et est d'ailleurs reflétée dans le rapport de M. Jacques Rigaud. Nous sommes les héritiers d'une collection qui a été fondée, comme je l'ai rappelé d'entrée, par les rois de France et, principalement, par François 1erà l'aube du XVIe siècle. La richesse, la profondeur, la densité des collections du musée du Louvre, comme celles d'autres musées, tiennent à cette histoire. Comme le disait Cézanne, on trouve tout, on comprend tout et on apprécie tout à travers les collections du musée du Louvre. L'État n'a jamais vendu le moindre trésor de cette collection. On doit souligner cette permanence de l'État au fil des siècles. Même la Révolution ne l'a pas fait. Elle a vendu du mobilier meublant, du « Louis XVI », mais pas un seul trésor. Au contraire, elle les a préservés dans le musée central qui était le musée du Louvre.
Cette fidélité depuis cinq siècles est très importante. On voit dans certains musées américains ce que peuvent donner les aléas de l'histoire du goût. Au XIXe siècle, on aurait vendu tout le XVIIIe siècle parce qu'il n'était plus de mode. On entassait dans les réserves les Boucher et les Fragonard. Si le musée d'Orsay a pu être constitué à partir des collections du musée du Luxembourg dispersées avant la guerre, c'est parce qu'on n'avait pas bradé tout un pan de l'histoire du XIXesiècle pour ne sauvegarder que l'impressionnisme et le post-impressionnisme. On a récemment exhumé des réserves du musée du Louvre des oeuvres qui avaient été négligées jusque-là.
C'est au mécène Marc de Lacharrière que nous devons la magnifique salle des antiques redécouverts à Rome à partir du XVIesiècle et restaurés par les grands artistes. Ils étaient considérés, en raison même de leur restauration, comme dénaturés, en tout cas, comme ayant perdu leur pureté originale. Je sais, en tant que conservateur, combien ces renouveaux, ces aléas de l'histoire du goût, sont importants.
Ce qui fait la force incomparable des collections du musée du Louvre, c'est cette profondeur et cette densité. Nous avons eu un débat très intéressant au musée du Louvre sur la question des acquisitions, au cours duquel la directrice d'un grand musée américain a souligné avec justesse que, si elle avait des chefs-d'oeuvre, il lui manquait tout ce qui faisait que telle oeuvre était un chef-d'oeuvre, tout ce qui le contextualisait, lui donnait sa véritable dimension. C'est ce que nous avons la chance d'avoir au musée du Louvre, grâce à pratiquement six siècles d'enrichissement des collections.