S'il est en effet un tout jeune établissement public, puisqu'il n'a ce statut que depuis 1993, le Louvre est aussi une institution bicentenaire, et l'une des difficultés qu'il a pu connaître dans le passé a été d'assurer la continuité avec la vocation historique de l'institution. Nous ne devons jamais oublier d'être fidèles à notre mission originelle, telle qu'elle a été définie par la Révolution et l'Empire, tout en ayant le souci constant de l'adapter au monde d'aujourd'hui.
C'est à cette histoire que le Louvre doit sa place dans le paysage des musées français. C'est en effet la Convention qui, en 1793, en a fait un « muséum central », seul dépositaire des oeuvres insignes de la Nation et des collections des rois de France. Cette vocation universelle a été quelque peu amendée au fil du temps : ses collections s'arrêtent désormais en 1850, le musée d'Orsay et le musée national d'art moderne prenant ensuite la relève. Sur le plan géographique, si le Louvre a été véritablement universel jusqu'en 1945, l'universalité d'origine a été progressivement limitée et le Louvre est aujourd'hui « bordé » par le musée Guimet pour les arts d'Extrême-Orient et par le tout récent musée du Quai Branly pour les arts d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique précolombienne.
Parmi ces cinq musées constituant le coeur des collections nationales, le Louvre reste le plus insigne. « Musée des musées » par l'ampleur de ses collections, symbole du musée universel et encyclopédique, il a constitué, tout au long du xixeet du xxe siècle le modèle de bien des institutions muséales dans le monde, telles que le Metropolitan Museum de New York.
Mais ce paysage muséal est inachevé, la solidarité des collections n'ayant pas forcément entraîné la solidarité des politiques. Cela pose la question du rôle de la tutelle. Si leur nouveau statut d'établissement public leur confère une très large autonomie, les musées nationaux ne sont pas pour autant indépendants : des questions telles que la gratuité, l'accessibilité aux publics, la tarification relèvent d'une politique nationale globale et de la tutelle. Celle-ci ne doit pas être une férule tatillonne, mais une tutelle stratégique, définissant les grandes lignes de la politique nationale en matière de musées.
Le musée du Louvre est donc autonome et non pas indépendant. Cette autonomie peut sans doute être encore améliorée. Il conviendrait notamment de renforcer le rôle des personnalités qualifiées au sein du conseil d'administration. Cette autonomie se traduit également dans son financement. À mon arrivée à la tête du musée, il y a huit ans, son budget, qui était alors de 80 millions d'euros, était assuré à 70 % par l'État ; aujourd'hui, l'État n'assure que 47 % d'un budget de 230 millions d'euros, 53 % provenant de ses ressources propres et du mécénat.
Le Louvre s'inscrit également dans un paysage international en constante évolution, marqué par la hardiesse de certaines initiatives, comme celles du musée Guggenheim de New York, la place de plus en plus importante des expositions temporaires et l'intensification des échanges entre musées. Aujourd'hui, ce ne sont plus seulement les collections du musée qui sont sollicitées, mais aussi son expertise, muséale, muséographique, architecturale, en matière de restauration ou de conservation préventive, le Louvre jouant le rôle d'un véritable conservatoire des métiers.
C'est dans ce contexte qu'il s'agit de repenser les missions fondatrices de cette grande institution nationale. La première question qui se pose à elle est celle de l'accessibilité. Le musée n'est plus seulement un lieu artistique réservé à une élite cultivée : c'est aussi une institution ayant une vocation éducative et sociale. Cet objectif ne doit donc pas s'entendre seulement en termes d'accessibilité physique, quoique nous fassions beaucoup d'efforts dans ce domaine – il ne faut pas oublier que le Louvre est aussi un palais ! Il s'agit plus fondamentalement de donner accès à des collections difficiles et érudites à un public nombreux et versatile, de plus en plus éloigné des connaissances historiques, mythologiques ou religieuses nécessaires à la compréhension des oeuvres.
Il convient également de repenser la dimension nationale du musée. Le Louvre n'est pas un musée parisien, mais une institution au service de l'ensemble de la Nation : c'est sa « part sacrée », selon les mots de Chaptal. Cette mission ne saurait se réduire, comme par le passé, à l'envoi de dépôts aux musées de province. Nous essayons aujourd'hui de renouveler cette mission fondamentale, notamment à travers le projet emblématique « Louvre-Lens ».
Le rôle international du musée est tout autant à repenser, à l'heure de la mondialisation. Conçu dès l'origine comme un projet encyclopédique, héritage des Lumières, il a vocation à s'intéresser à tous les domaines et à toutes les civilisations. C'est pourquoi nous nous efforçons de faire leur place à des territoires et des civilisations jusqu'ici négligés, tels le Soudan, l'Asie centrale, la Russie ou l'Amérique latine. Le projet d'Abou Dabi est emblématique du renouveau de cette politique, mais nous avons également le souci de renouveler nos collaborations avec nos partenaires traditionnels, la Syrie, l'Égypte, l'Iran, à travers notamment des missions d'assistance technique.
Telle est la problématique fondamentale du Louvre : concilier la fidélité à notre mission initiale tout en la renouvelant, afin que le Louvre soit « à l'aise dans son époque », pour reprendre la belle expression de Zola.