Je rejoins nombre des propos qui viennent d'être tenus. À l'hôpital, l'humain est essentiel. Si la T2A permet de contrôler le bien-fondé de la dépense, sa mise en oeuvre amène à perdre quelque peu de vue les objectifs de l'hôpital. Ne comprenant plus tout à fait le sens de leur métier, les personnels se démotivent.
J'entendais récemment sur les ondes le représentant du Médiateur de la République chargé des difficultés à l'hôpital détailler l'accroissement phénoménal du nombre de plaintes de personnes soignées à l'encontre du personnel soignant. L'accent mis sur les actes techniques, l'accroissement de la productivité – l'hôpital effectue désormais plus d'actes avec moins de personnel – se sont accompagnés d'une perte de la qualité de l'accueil et de l'écoute. Traiter la maladie, notamment dans les phases de fin de vie, ce n'est pas seulement prodiguer des soins. L'écoute fait partie des vocations de l'hôpital public. La T2A a pour le moins sous-estimé les dotations affectées au financement des missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation. Le coût de certains patients de l'hôpital public, les personnes sans domicile fixe par exemple, ne peut qu'entraîner son échec. Leur accueil ne pouvant que déséquilibrer profondément le budget d'un établissement, ils seront donc sommairement soignés avant d'être rapidement renvoyés.
L'hôpital fait aussi partie d'un réseau de soins. Or, au contraire de ceux de l'hôpital, les modes de fonctionnement de ce dernier n'ont pas été modifiés. Si les patients sont désormais rapidement renvoyés chez eux, les médecins sont-ils formés à traiter des personnes qui ne sont pas parfaitement guéries ? Le service de soins infirmiers à domicile est-il à la hauteur des attentes de la population ? Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les maisons de retraite – je suis chef d'établissement de l'une d'elles – sont-elles structurées pour accueillir des personnes encore en cours de traitement ? L'ensemble du champ doit être pris en compte : la maladie ne s'arrête pas à la sortie de l'hôpital. Les agences régionales de santé devraient apporter une solution.
C'est à l'hôpital, en psychiatrie notamment, qu'aboutissent les personnes socialement déficitaires. Comme le côté social des activités de l'hôpital public a été sous-estimé, on les en fait sortir très vite. La réforme se fait donc au détriment de la population.
L'empilement des réformes, une tous les deux ans environ – même si, nous dit-on, il n'en aurait pas été conduite depuis vingt ans… – a aussi désorienté les personnels. Alors qu'il y a vingt ans, ils étaient très heureux d'effectuer quarante ans de carrière en milieu hospitalier, désormais, on entre à l'hôpital comme à l'usine, et on est très heureux d'en partir. Si la productivité s'est accrue, la qualité a diminué. Au-delà des questions financières, il faut donc sans doute repenser l'accueil, la prise en charge, la formation, la motivation des personnels.
Sans parler de la création de l'Ordre des infirmiers – une ineptie – nombre de mesures, sources de clivages, ont suscité des malaises qui font aujourd'hui les choux gras de la presse. Avant-hier, le représentant du médiateur recevait des appels de personnes qui avaient patienté pendant sept heures aux urgences avant d'être renvoyées chez elles sans soins et sans explications. Ce type d'exemples fait forcément douter de l'intérêt des milliards d'euros dépensés. Alors que plus de 90 % des personnels font bien leur travail, les 4 % ou 5 % mentionnés devant le médiateur font la une des journaux pendant des semaines. Or, l'hôpital reste un dispositif bien structuré et bien organisé. Si des économies y sont possibles, il ne doit pas perdre sa vocation humaine.