La politique familiale a trois vocations : premièrement, compenser les charges d'enfants ; deuxièmement, redistribuer de façon verticale, comme on dit dans le jargon technocratique, c'est-à-dire entre les ménages qui ont le plus de ressources et ceux qui en ont le moins ; troisièmement, permettre de concilier vie familiale et vie professionnelle. Ce troisième objectif prend une dimension particulière de nos jours puisqu'il est prévu, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, d'améliorer de manière concertée au niveau européen les taux d'emplois féminins pour des raisons à la fois d'emploi, de financement des systèmes sociaux et de vie sociale.
La densification de l'offre de garde permet d'opérer cet arbitrage entre vie professionnelle et vie familiale tout en soutenant la natalité. Depuis 1996, on observe un lien favorable entre l'augmentation du taux d'activité féminin et l'augmentation de la natalité, alors que, jusqu'en 1996, on pensait que la première faisait courir un risque sur la seconde. L'amélioration du taux d'activité féminin et celle de l'effort de garde apparaissent désormais comme des facteurs de nature à soutenir la natalité.
Dans ce contexte, il ne nous a pas semblé très opérant de poursuivre sur les mêmes lignes que celles qui avaient été adoptées jusqu'alors et qui consistaient à proposer une offre certes diversifiée et de qualité, mais extrêmement coûteuse du fait, principalement, des normes exigées pour les établissements d'accueil du jeune enfant – les crèches – et pour les assistantes maternelles. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte que la baisse de la prise en charge des enfants de deux ou trois ans à l'école maternelle grignotait au fil du temps tous les efforts que la collectivité faisait pour densifier la capacité d'accueil. Quand on dresse le bilan depuis 2000 de l'impact de cette baisse sur la création de places de crèche et l'offre de garde par des assistantes maternelles, on se rend compte que l'économie budgétaire réalisée légitimement par l'État par rapport à sa stratégie sur la prise en charge des enfants de deux ou trois ans à l'école maternelle a été plus que « mangée » – dans un facteur certainement de deux à trois – par la nécessité d'augmenter l'accueil dans les crèches ou par les assistantes maternelles. Le paradoxe est que l'économie réalisée par l'État a entraîné des charges supplémentaires supportées à titre principal par les caisses d'allocations familiales. Pour les communes, l'enjeu était quasiment neutre puisque les économies réalisées sur la prise en charge par l'école maternelle – où la dépense se partage en gros à 5050 entre l'État et la commune – compensaient la dépense supplémentaire – là aussi quasiment à 5050 – en matière de prise en charge en crèche.
Nous avons compris que, si nous continuions dans cette voie, il était impossible, d'autant qu'une place en crèche coûte trois fois plus cher à l'année qu'une place en école maternelle, de développer l'offre de garde et de diminuer les coûts budgétaires. Le nombre d'enfants de deux-trois ans pris en charge à l'école maternelle est passé de 35 % d'une classe d'âge en 2000 à moins de 19 % aujourd'hui, soit une perte de 15 points en sept ans. Le nombre de places créées sur la même période laisse penser que celles-ci ont compensé celles-là, à un coût environ deux fois et demi supérieur.
Nous avons donc décidé d'engager une réflexion selon un paradigme complètement nouveau, en évoquant une alternative à la prise en charge par l'école maternelle qui permette de densifier l'offre de garde de façon qualitative – il ne s'agissait pas de trouver une solution au rabais –, avec des normes plus souples et des modalités financières différentes. Nous avons ainsi remis au goût du jour l'ancien concept de jardin d'enfant – qui avait fait florès il y a plusieurs dizaines d'années, notamment en association avec le mouvement du logement social – rebaptisé « jardin d'éveil ». Cela reviendrait à avoir, dans les locaux disponibles soit d'une école maternelle, soit d'une crèche – il ne s'agit pas de construire dans l'unique but de « faire du neuf » –, des unités spécifiques réservées aux deux-trois ans s'inscrivant dans une même problématique pédagogique qu'à l'école maternelle mais avec un encadrement, et donc un coût, moindres. C'est sur cette tranche d'âge que l'on peut envisager un assouplissement des normes. Une baisse du taux d'encadrement pour les enfants plus petits paraît plus difficile pour des raisons de sécurité et pour d'autres liées à l'attachement des parents à un bon encadrement de leurs enfants à cet âge.
Selon notre simulation, qui mérite sans doute d'être affinée et réactualisée, nous arrivions à un coût de prise en charge en jardin d'éveil un peu inférieur à 6 000 euros par an et par place, à mettre en parallèle avec celui en école maternelle, qui se situe entre 4 800 et 4 900 euros, avec celui d'une assistante maternelle – environ 7 500 euros – et avec celui d'une crèche, qui, selon les critères, oscille entre 10 000 et 12 000 euros par an et par place.
Dans ce schéma, le jardin d'éveil revêtant toutes les caractéristiques d'un établissement d'accueil du jeune enfant, il pouvait solliciter les mêmes types de financement qu'une crèche, notamment les financements des caisses d'allocations familiales et les financements communaux, mais, n'étant pas une école maternelle, il nécessitait forcément la participation des parents, laquelle peut être allégée par les dispositifs tels que ceux qui sont l'objet de votre étude en ce moment, c'est-à-dire la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) et l'ensemble de ses composantes.
Nous sommes partis de la nécessité de densifier l'offre de garde tout en diminuant les coûts de celle-ci sans pour autant en amoindrir la qualité, et du constat du mouvement de retrait, maintenant quasi irréversible, de l'Éducation nationale en matière d'accueil des enfants de deux-trois ans, tout en intégrant les mécanismes de financement existants.