Monsieur le professeur, dans votre exposé initial, vous avez abordé des aspects scientifiques et climatologiques mais aussi, bien que vous vous en défendiez, quelques points de politique énergétique ou fiscale. Vous êtes plutôt défavorable au cap and trade, c'est-à-dire au marché du carbone comme il existe en Europe avec l'ETS, l'Emissions Trading Scheme – système fondé sur un échange de quotas de pollution carbonée – et favorable à une taxe carbone. En France et en Europe, il y a des partisans de l'un et de l'autre, voire des partisans des deux à la fois. Pour ma part, je considère que le prix du carbone sur le marché européen n'est pas suffisamment élevé pour avoir de l'influence sur les émissions des entreprises, et qu'une taxe carbone, dont il conviendrait de préciser les contours, serait sans doute plus efficace. En outre, cette taxe toucherait tout le monde, et pas seulement les entreprises les plus émettrices de CO2.
J'ai toujours eu l'impression, en allant dans les COP (Conferences of the Parties), que le monde climatique était en quelque sorte « hémiplégique ». On s'y intéresse à ce que l'on peut appeler l'aval du carbone, c'est-à-dire les émissions de carbone et les éventuels puits de carbone dans les océans, dans les forêts et dans l'atmosphère – ce dernier endroit étant le seul à ne pas être saturé –, mais on s'interroge rarement sur l'amont du carbone, sur sa source et sur la quantité qu'il peut y en avoir sous terre.
Je ne suis pas un négateur du changement climatique, comme on en a quelques- uns en France. Depuis maintenant trente-cinq ans, je pense en effet qu'il s'agit d'un phénomène important qui va bouleverser nos vies pendant ce XXIe siècle. Toutefois, je m'étonne de certains chiffres.
Le quatrième rapport du GIEC évoque une quarantaine de scénarios. Entre le plus extrême et le plus modéré, le volume des gaz à effet de serre va de quatre à un.
En examinant, non plus l'aval, mais l'amont du carbone, c'est-à-dire les quantités d'énergie fossile que l'on peut estimer dans le sous-sol, on se rend compte que, selon les organismes, les chiffres diffèrent. S'agissant de la quantité de pétrole et de gaz, c'est-à-dire d'hydrocarbures, le quatrième rapport du GIEC l'estime entre 11 000 et 14 000 milliards de barils équivalent pétrole, alors que le Conseil mondial de l'énergie, qui représente plutôt les producteurs, l'évalue à 2 600 voire à 2 800 milliards de barils équivalent pétrole. En ce qui concerne la quantité de charbon, le GIEC l'évalue, dans des scénarios allant jusqu'à l'an 2 100, à 18 000 milliards de barils équivalent pétrole, alors que d'autres groupes l'estiment à 1 600 ou 1 800 milliards de barils équivalent pétrole.
Pourquoi le GIEC et les climatologues qui étudient l'aval du carbone ne se réunissent-ils pas avec les pétroliers et les géologues pour étudier ensemble l'aval et l'amont du carbone, et tenter de se mettre d'accord sur les stocks de fossiles ?
Par ailleurs, le troisième rapport du GIEC, qui remonte à presque dix ans, concluait que les pays industrialisés – ceux de l'annexe 2 – devraient, d'ici à 2050, diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre – ce que nous appelons en France le « facteur 4 ». Mais le quatrième rapport du GIEC a indiqué en 2007 que ces mêmes pays devraient les diviser au moins par dix. Ainsi, grâce aux progrès de la science, on se rend compte que le nécessaire effort de réduction des émissions demandé aux pays industrialisés doit être bien plus considérable qu'on ne l'imaginait il y a dix ans. Les pays industrialisés doivent-ils en tirer des conséquences dans la mise en oeuvre de leurs politiques énergétiques?