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Intervention de James Hansen

Réunion du 12 mai 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

James Hansen :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je précise que je suis ici à titre personnel, et non en tant que représentant du gouvernement américain. J'aborderai les trois points que vous avez soulevés, mais, auparavant, je ferai quelques commentaires d'ordre général.

Il y a toujours un écart important entre ce que la communauté scientifique comprend et ce que le grand public connaît en matière de réchauffement climatique. Cet écart s'est encore creusé au cours de l'année dernière, en raison de divers événements : un hiver très froid aux États-Unis et en Europe ; des erreurs de la part du GIEC, qui, bien que minimes, ont été très médiatisées ; enfin, la présence de controverses sur les courriels de l'Université d'East Anglia.

Une pression élevée en Arctique provoque des hivers froids dans les latitudes moyennes ; cet hiver, elle a été la plus élevée depuis les soixante dernières années. Quant à la température moyenne, elle a été cet hiver la deuxième plus élevée de ces 130 dernières années. Ce froid hivernal est un phénomène qui ne fait pas partie du changement climatique dans son ensemble et ne risque pas de se répéter. D'après les statistiques, sur les dix derniers hivers aux États-Unis, sept ont été plus chauds que d'habitude et huit ont été les plus chauds de l'histoire. S'agissant de l'été, les dix derniers étés en Europe et les huit derniers aux États -Unis ont été plus chauds que la moyenne historique. Ces phénomènes correspondent aux prévisions de ces dernières années, selon lesquelles la Terre se réchauffe. La tendance se confirme et risque de se poursuivre.

La principale erreur du GIEC tient dans une phrase de son dernier rapport, selon laquelle les glaciers himalayens devraient disparaître au cours des vingt-cinq prochaines années. Cela est faux. Toujours est-il que les glaciers fondent très rapidement partout dans le monde : dans les Montagnes rocheuses, les Andes, les Alpes, l'Himalaya. Or les glaciers nous fournissent en eau douce à la fin des saisons sèches. S'ils disparaissent, les rivières qu'ils alimentent risquent elles aussi de disparaître, ce qui ne manquera pas d'avoir un impact considérable sur des milliards de personnes.

Des courriels de l'Université d'East Anglia ont montré que des chercheurs rechignaient à faire état de certaines données. Néanmoins, sur le fond de l'affaire, c'est-à-dire les changements des températures globales au cours des cent dernières années, les données scientifiques, tout comme les programmes informatiques utilisés pour analyser ces données, sont publics et disponibles pour tous.

Personne n'a su ou pu remettre en cause l'analyse globale : le réchauffement de la planète est réel, la température ayant augmenté de 0,8 degré au cours des dernières décennies.

La banquise de l'Arctique fond : à la fin de l'été, sa superficie avait diminué de 30 % par rapport à ce qui se passait précédemment. Il en est de même de la calotte glaciaire du Groenland et de celle de l'Antarctique, qui, depuis 2002, ont fait l'objet de mesures précises : la perte en masse de la première, qui était de 150 kilomètres cube par an, est désormais de 250 kilomètres cube ; la perte de la seconde est passée de 75 à 150 kilomètres cube par an.

L'élargissement des zones de climat sub-tropical est une autre des conséquences du réchauffement de la planète. En effet, un changement de la circulation de l'air est à l'origine de l'assèchement de ces zones, lesquelles se déplacent au fur et à mesure que la planète se réchauffe : elles ont bougé de 4 degrés de latitude. Cela a un impact direct sur la région méditerranéenne, sur le Sud et l'Ouest des États-Unis et sur l'Australie, où les périodes de sécheresse et par conséquent les feux de forêts sont devenus plus graves et plus fréquents.

Au fur et à mesure que les océans se réchauffent, ils deviennent de plus en plus acides car ils contiennent davantage de CO2. De ce fait, les récifs coralliens subissent un stress environnemental de plus en plus important.

Nous disposons de données de plus en plus précises attestant du déséquilibre énergétique de la planète. En observant les océans et en utilisant les 2 000 balises Argos déployées, nous constatons que ceux-ci se réchauffent : un demi-watt d'augmentation d'énergie par mètre carré.

Pour stabiliser le climat de la Terre, il nous faudra limiter les quantités de CO2dans l'atmosphère à 350 parties par million – ppm. Peut-être faudra-t-il même faire mieux, si nous voulons stopper la fonte des glaciers et les autres phénomènes dangereux que je viens d'évoquer.

Ces phénomènes entraînent des conséquences inévitables pour notre politique énergétique, en particulier pour ce qui concerne notre utilisation des combustibles fossiles et nos émissions de CO2. Nous ne pouvons plus brûler tout notre charbon et continuer d'émettre dans l'atmosphère : il est impératif d'arrêter d'utiliser du charbon au cours des prochaines décennies. Il ne faut plus utiliser de combustibles fossiles non conventionnels comme les sables bitumineux. Enfin, il n'y a plus lieu de traquer la plus petite goutte de pétrole dans les eaux profondes des océans et dans les zones vierges comme l'Arctique et les Parcs nationaux.

Las, les gouvernements, de par le monde, préfèrent la « politique de l'autruche » et prétendent ne pas voir ou ne pas savoir ce qui se passe. On construit sans cesse des centrales au charbon, dont la durée de vie dépasse cinquante ans. On commence à exploiter des sources de combustibles fossiles non conventionnels comme les sables bitumineux. On tente d'exploiter les dernières gouttes de pétrole, en eaux profondes ou ailleurs. Tant que les combustibles fossiles resteront la source d'énergie la moins chère, les gouvernements continueront à vouloir les utiliser.

Je ne suis pas un politique et mon rôle n'est pas d'émettre des recommandations d'ordre politique. Je ne souhaite pas non plus intervenir dans le débat politique français. Toutefois, je tiens à dire que le monde a besoin de pays clamant la vérité.

Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes énergétiques et climatiques sans fixer un prix au carbone, c'est-à-dire sans instaurer une taxe sur les émissions de carbone. Les mécanismes de cap and trade, tels qu'ils ont été envisagés, ne fonctionneront pas ; nous en avons la preuve : la Chine et l'Inde n'accepteront jamais de plafonds car ces pays ne voient pas pourquoi ils le feraient alors que leurs émissions, rapportées à la taille de leur population respective, sont bien inférieures à celles des pays industrialisés. Nous aurons donc besoin d'augmenter régulièrement le prix du carbone et, selon moi, l'argent ainsi récolté devrait revenir au public.

En tant que scientifique, il me revient d'établir de façon objective le lien qui relie tous les maillons de la chaîne, en utilisant toutes les données à notre disposition. Il me revient également, en tant que père et en tant que grand-père, préoccupé par les jeunes et les générations à venir et par les autres espèces avec lesquelles nous partageons la planète, de prévenir que si nous restons sur le chemin emprunté actuellement, nous irons au-delà du supportable. On peut parler d'une « injustice intergénérationnelle » : du fait de l'inertie qui prévaut et de la lenteur de la réponse du système climatique, notre génération brûle l'essentiel des combustibles fossiles et en récolte les bénéfices, tandis que les générations à venir en supporteront le coût. Nous – c'est-à-dire la génération la plus âgée et nos gouvernements — ne pouvons prétendre ne pas comprendre la situation. Nous devons accepter la responsabilité qui est la nôtre.

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