Il est vrai que Chypre est un sujet de politique étrangère important pour la Grèce. Mais l'attitude de la Grèce à l'égard de Nicosie est avant tout un appui à la position définie par le gouvernement de la République de Chypre. Même si elle reste son allié indéfectible, notamment au sein de l'Union européenne, elle prend peu d'initiatives. Cela étant, la Grèce reste très attentive à la situation de la République de Chypre, pays avec lequel Georges Papandréou souhaite d'ailleurs resserrer les liens. Il l'a montré en s'y rendant peu après sa nomination, tandis que le président Christofias est venu très souvent à Athènes.
Dans quelle mesure la population grecque, notamment les fonctionnaires et les catégories populaires, juge-t-elle la situation acceptable ? Le mécontentement est réel, mais pour l'instant il ne va pas jusqu'à la révolte. On observe plutôt une certaine résignation. La plupart des Grecs ont conscience que le système qu'ils ont connu jusqu'à présent est à l'origine des dysfonctionnements actuels et que leur pays a vécu au-dessus de ses moyens. Ils reconnaissent la nécessité de consentir des efforts. Il existe une relative unanimité sur ce sujet, comme j'ai pu m'en apercevoir à la lecture des sondages ou lors des contacts que j'ai quotidiennement avec la population : ce raisonnement n'est pas seulement tenu par l'élite, mais par la majorité des Grecs. Constater cela n'est pas se montrer particulièrement optimiste. C'est plutôt la perception qu'ont les médias de la situation, sa dramatisation, qui conduit à un pessimisme excessif. Or pour l'instant, les Grecs se montrent très responsables. Ainsi, contrairement à ce qu'ont annoncé les syndicats, les manifestations qui ont déjà eu lieu ne sont pas les plus importantes de la décennie. Certaines peuvent même être jugées d'une ampleur modeste à l'échelle de la Grèce. La population hésite, et les avis ne sont pas tranchés, comme le montrent les sondages les plus récents : alors que certains indiquent que la majorité de la population soutient les mesures prises par le Gouvernement, d'autres affirment le contraire.
Mais il est vrai que les Grecs, lorsque leurs poches commenceront à se vider, pourraient faire preuve de plus de mécontentement. De nombreux observateurs pensent en particulier que la rentrée de septembre-octobre sera difficile. Ainsi, même si les violences que le pays a connues ne doivent pas être considérées comme très significatives, la situation économique risque de peser sur la vie du pays, y compris d'un point de vue politique.
Toutefois, en discutant avec des chefs d'entreprise grecs ou français – car les filiales grecques des entreprises françaises sont nombreuses et emploient beaucoup de monde –, j'ai été frappé de n'entendre personne évoquer, pour l'instant, un climat social difficile. Que ce soit dans l'industrie, le secteur bancaire ou la grande distribution, on n'observe pas, en effet, de tensions sociales accrues dans les entreprises, même si les employés se disent inquiets, à juste titre d'ailleurs. Ainsi, lorsque les employés de banque ont fait grève par solidarité avec les victimes de la manifestation de la semaine dernière, une partie de ceux qui s'étaient déclarés grévistes sont tout de même venus travailler. Une telle réalité ne correspond pas à l'image que les médias étrangers donnent de la Grèce.
Tout cela ne signifie pas que la dimension sociale de la crise ne doit pas être prise en compte, bien au contraire. À court terme, les problèmes financiers de la Grèce devraient s'apaiser, mais la situation sociale, elle, devra être suivie de très près. Le Gouvernement en est d'ailleurs conscient et cherche à assurer une certaine justice sociale. Mais en ce domaine, l'équilibre sera difficile à trouver.
Du côté des fonctionnaires, des grèves ont déjà eu lieu et d'autres sont prévues, y compris – vous l'avez dit – au ministère des Affaires étrangères, ce qui est très rare. Il faut dire que les conditions de travail sont rendues très difficiles par la réduction des dépenses de fonctionnement.
M. Vauzelle a parlé de risque pour la démocratie. Il est certain que la crise politique peut évoluer en crise de légitimité. Le Gouvernement devra consentir un effort d'explication très important – il l'a d'ailleurs déjà entrepris – afin que les gens comprennent la raison de leur effort. Par ailleurs, s'il est vrai que les partis d'extrême gauche ou de gauche radicale affirment que la crise est le fait d'une élite profiteuse dont les pauvres doivent désormais payer les conséquences, cette idée est peu reprise par la majorité. Les gens connaissent la façon dont les choses fonctionnent. Ils savent que le laxisme dont on a fait preuve ces dernières années dans la gestion des personnels – grand nombre de stagiaires, rémunérations excessives, etc. – n'a pas seulement profité aux chefs. Toutes ces pratiques relèvent d'un système clientéliste. C'est pourquoi la critique n'a pas pris jusqu'à présent.
J'en viens à la situation des entreprises françaises et aux créances détenues par nos banques. Avant même que la crise n'entre dans une phase aiguë, les premières disaient constater une réduction de l'activité liée au contexte économique général. Mais pour l'instant, la majorité de leurs dirigeants ne se montrent pas exagérément pessimistes. Je n'ai ainsi entendu aucun chef d'entreprise envisager une cessation d'activités ou un départ lié à la crise. Au contraire, tous jugent que les mesures structurelles annoncées vont dans le bon sens et que la crise peut être l'occasion de procéder à des ajustements.
Quant aux banques françaises exposées en Grèce, elles sont principalement trois : il s'agit, dans l'ordre d'importance, de BNP-Paribas, de la Société générale et du Crédit agricole. On a cité, à propos des créances de l'ensemble des banques françaises, des chiffres très élevés – de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards d'euros –, variant selon les critères employés. Mais ils prenaient en compte, en plus des créances sur l'État grec, l'ensemble des participations privées de ces banques dans le pays, et n'ont donc pas une grande signification. Si on ne retient que les créances publiques détenues par les banques, on aboutit à un chiffre beaucoup moins élevé et à des sommes relativement faibles au regard du montant de la dette grecque ou du chiffre d'affaires global de ces établissements. On ne peut donc pas parler d'une exposition exagérée. D'ailleurs, aucune des banques concernées ne fait preuve d'une inquiétude particulière.
M. Terrot a évoqué la grande distribution. Il est vrai que la France est très présente dans ce secteur, puisque Carrefour est, avec son partenaire grec, le premier distributeur du pays. La situation économique y est contrastée : une partie de la consommation s'est ralentie en raison de la crise, mais les dépenses alimentaires et de première nécessité tendent à se maintenir, ne serait-ce que parce que les gens vont moins au restaurant et mangent plus souvent chez eux. Le bilan n'est donc pas univoque.
Le niveau du chômage, monsieur Perrut, est estimé à 9,5 % en 2009, et on s'attend à ce qu'il grimpe à 10, voire 12 % (au plus) l'année prochaine. Mais comme pour le PIB, ces chiffres sont extrêmement discutés. En raison du poids de l'économie parallèle, notamment dans des secteurs clés comme le tourisme, tous les experts insistent sur la difficulté de donner des estimations précises. Les réformes structurelles envisagées, notamment les mesures de lutte contre l'évasion fiscale, devraient permettre d'y voir plus clair. Je précise à ce sujet que contrairement aux critiques exprimées par certains médias, une partie de ces mesures sont déjà mises en place. En particulier, un système de reçus a été instauré pour limiter la fraude, notamment dans les deux secteurs où elle est réputée la plus facile, les professions libérales et la restauration. Afin que le consommateur soit incité à réclamer ces reçus, une réduction d'impôt est proposée en échange de leur présentation. Or, comme j'ai pu le constater personnellement, le système fonctionne, au point qu'il m'est arrivé plusieurs fois d'être rattrapé par un commerçant parce que j'avais oublié de prendre mon ticket.
Quant à la part de l'économie grise dans le PIB de la Grèce, par définition, personne ne la connaît exactement. L'estimation va de 25 à 45 %, et le chiffre moyen communément proposé est de 30 % – ce qui est énorme. Cette incertitude a d'ailleurs des conséquences sur les autres statistiques : cela peut signifier notamment que le déficit est moins élevé qu'on le croit en pourcentage du PIB…