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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 4 mai 2010 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Le projet de loi qui vous est présenté a déjà fait l'objet d'un travail patient et minutieux : au sein du Gouvernement tout d'abord, et ensuite au Sénat. Je suis heureux de pouvoir maintenant en débattre avec vous.

L'objet de ce texte est de rénover en profondeur, et pour longtemps, les instruments de notre action extérieure ; de rassembler des forces jusqu'ici dispersées ; de réunir des hommes et des femmes qui ne travaillaient pas – ou pas assez – ensemble.

Cette réforme était nécessaire. Elle était attendue. Je sais que vous en étiez vous-mêmes convaincus. Vous voyez, comme moi que de nouvelles puissances émergent ; que la mondialisation progresse ; que l'avenir de notre pays dépend, plus que jamais, de sa capacité à se trouver en bonne place dans la bataille mondiale des savoirs, des idées, des contenus culturels. Dans ce contexte, nous ne pouvions pas prendre le risque de l'immobilisme. Nous devions adapter notre outil diplomatique. Nous l'avons fait avec ordre et méthode, c'est-à-dire en trois temps.

Le premier temps consistait à réorganiser l'administration centrale du ministère des affaires étrangères et européennes. Nous disposons maintenant d'une direction générale de la mondialisation capable de traiter, avec l'ensemble des acteurs gouvernementaux et de la société civile, les enjeux globaux qu'on a trop longtemps négligés, tels que la démographie, l'énergie, le climat, les affaires financières internationales, les religions...

Dans un deuxième temps, nous avons lancé la modernisation de notre réseau diplomatique, afin de le rendre plus modulable et mieux adapté à la réalité du monde.

Avec ce projet, nous franchissons la troisième étape de la réforme, destinée à doter notre administration d'opérateurs modernes et efficaces. Au coeur du projet, il y a la création de deux agences, chargées l'une de promouvoir notre culture, nos idées, notre langue, en s'appuyant sur les 143 centres culturels qui seront ses relais dans le monde ; l'autre de favoriser la mobilité internationale des étudiants, des chercheurs et des experts, au service de l'attractivité de nos universités et de nos centres de recherche et d'expertise.

Plus d'efficacité ; plus de légitimité ; plus de cohérence et de visibilité ; une capacité plus grande à lever des fonds, à nouer des partenariats ; une administration enfin dégagée des tâches opérationnelles et mieux à même d'exercer son pilotage stratégique. Voilà ce que nous apporteront ces agences, si le texte est adopté.

Le titre Ier du projet porte sur les nouveaux opérateurs que je viens d'évoquer. Les articles 1er à 4 créent une nouvelle catégorie d'établissements publics, les établissements « contribuant à l'action extérieure de la France », et définissent les règles constitutives qui leur sont applicables.

Le statut d'établissement public a déjà fait ses preuves pour les opérateurs actifs dans le domaine de la coopération internationale. Mais nous avons besoin que ces opérateurs, qui ont chacun leur champ de spécialité, agissent de façon mieux coordonnée. C'est essentiel pour assurer la cohérence de notre action extérieure. Nous avons également besoin qu'ils travaillent de manière étroite avec les missions diplomatiques à l'étranger. C'est pourquoi nous proposons de créer une nouvelle catégorie d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Le texte précise leur mode de gouvernance. Il prévoit que leurs ressources pourront provenir pour une large part du produit de leur activité. Il prévoit enfin que ces établissements pourront accueillir des fonctionnaires détachés ou mis à disposition, et faire appel à des volontaires privés.

Les deux agences appartiennent à cette nouvelle catégorie d'opérateurs.

Le projet prévoit, en premier lieu, la création à Paris d'une agence culturelle extérieure, à partir de la transformation de l'association CulturesFrance en établissement public. CulturesFrance est une association loi de 1901. Le statut d'établissement public permettra d'ancrer l'agence dans la sphère publique. Il ne s'agit donc pas, comme certains détracteurs le disent, d'une privatisation ou d'une marchandisation de la culture. Qui plus est, le statut d'EPIC conférera à l'agence la souplesse dont elle a besoin pour évoluer dans un secteur concurrentiel.

Cet opérateur reprendra les missions de CulturesFrance : il devra promouvoir à l'étranger la création artistique et les industries culturelles françaises, soutenir le développement culturel des pays du sud, favoriser le dialogue culturel international, défendre l'avant-garde, sans pour autant négliger la tradition.

Mais il aura surtout trois nouvelles missions : soutenir la diffusion de la langue française ; renforcer la place de la France dans le débat d'idées ; former les personnels qui concourent à la diplomatie culturelle française.

La nouveauté, par rapport à CulturesFrance, ce sera aussi un rapport beaucoup plus étroit avec le réseau des 143 établissements culturels français à l'étranger. L'agence sera la tête de pont de ce réseau, mêlant les deux cultures, diplomatique et culturelle, parfois antagonistes. Des liens fonctionnels étroits seront créés dans deux domaines : la gestion des ressources humaines et la programmation des activités.

Par ailleurs, un même nom sera donné à l'agence et aux établissements du réseau, ce qui permettra à notre diplomatie d'influence d'avancer sous une même enseigne dans le monde entier, comme les Allemands avec le Goethe Institut, les Britanniques avec le British Council ou les Espagnols avec l'Instituto Cervantes – mais aussi, désormais, les Chinois. Cet élément symbolique est très important.

Comme vous le savez, les sénateurs ont souhaité inscrire ce nom dans la loi. Après avoir choisi, en commission, le nom d'Institut Victor Hugo, ils se sont finalement ralliés, en séance publique, au nom d'Institut français. Je ne souhaite pas rouvrir le débat sur la dénomination, qui relève d'ailleurs à mon sens plus du pouvoir réglementaire que du législateur. Et je laisse à la sagesse de l'Assemblée le soin de choisir le nom définitif de notre institut ou de confier au Gouvernement cette tâche.

Concernant la gestion du réseau des centres et instituts français à l'étranger, qui restent pour le moment rattachés administrativement au ministère des affaires étrangères et européennes, j'ai souhaité une clause de rendez-vous qui sera mise en oeuvre avant trois ans. On examinera alors l'opportunité de rattacher administrativement le réseau à l'agence, solution qui a ma préférence, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, mais qui serait impraticable ex abrupto.

Il était nécessaire de ne pas précipiter la décision sur ce point : dans un premier temps, il faut consolider la nouvelle agence et évaluer dans le détail toutes les conséquences financières, juridiques et techniques d'un rattachement qui concerne 6 800 à 8 000 agents.

La loi prévoit la clause de rendez-vous, mais aussi le lancement, au préalable et au plus vite, d'expérimentations dans le cadre desquelles nous procéderons au rattachement d'un certain nombre de centres. Ces expérimentations porteront notamment sur la programmation de l'activité, sur la dévolution des moyens budgétaires et sur la gestion des personnels.

J'envisage l'élaboration d'un véritable cahier des charges pour préciser leurs modalités ainsi que les conditions de réversibilité. J'envisage aussi une clause de rendez-vous à mi-parcours pour dresser un premier bilan, avant celui des trois ans.

En matière de gouvernance, l'agence sera placée sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et européennes, mais celui-ci associera de façon étroite, en particulier à travers le conseil d'administration, les autres ministères concernés, au premier chef le ministère de la culture, avec lequel nous travaillons très étroitement.

La création de cette agence culturelle n'est pas un petit sujet. C'est un enjeu capital pour tous les Français et pour notre influence dans le monde. Ouvrons les yeux ! Le monde dans lequel nous sommes entrés n'est pas seulement un monde plus global, mais aussi, notamment avec l'Internet, de plus en plus dématérialisé, dans lequel les productions de l'esprit jouent un rôle décisif. Les mots, les idées, les savoirs, les symboles, les images, les sons, circulent à une vitesse accélérée, dans un espace désormais unique. L'influence, la prospérité, la liberté, appartiennent à ceux qui savent en maîtriser à la fois la production et la diffusion. Il est capital pour nous d'être présents dans ce champ immense de la culture, de la communication et de la connaissance, qui est aussi, par voie de conséquence, celui du développement.

Notre pays n'est pas en mauvaise position. La France compte parmi les quatre ou cinq plus grandes puissances culturelles de la planète. Mais la compétition, dans ce domaine du savoir et de la culture, est de plus en plus forte et aucune position n'est jamais définitivement acquise. Les grands pays l'ont compris. À Londres, Berlin, Washington, Madrid, l'heure est désormais à la relance de la diplomatie culturelle. Surtout, de nouvelles puissances émergent qui, de la Chine aux pays du Golfe, à l'Inde, en passant par le monde hispanique, veulent faire entendre leur voix.

La France ne doit pas être en reste. C'est pour cela qu'il est important de créer cette agence culturelle extérieure. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos intérêts, notre influence, ce sont aussi nos valeurs.

Il pèse une menace sur la diversité culturelle. Nous devons défendre le pluralisme culturel qui est la condition de notre liberté. Mais il existe une autre menace, plus grave, symétrique de la première : dans le monde globalisé qui est le nôtre, la tentation est grande d'opposer les civilisations, d'enfermer les individus dans une culture prétendument plus « pure » que les autres.

Dans ce contexte, la tâche de la future agence culturelle extérieure sera aussi de réaffirmer l'idée d'une culture universelle faite d'oeuvres à admirer, de savoirs à partager, de principes à respecter. Je défends l'idée obstinée que chaque homme, chaque nation, se définit par sa contribution à cette oeuvre commune, en perpétuelle évolution.

Entendons-nous bien : réformer notre action culturelle extérieure, ce n'est pas seulement créer une nouvelle agence. La réforme culturelle extérieure que je propose, et que je mène en parfait accord avec mon collègue Frédéric Mitterrand, comporte quatre autres volets qui ne sont pas moins importants.

D'abord la définition, par le Quai d'Orsay, d'une stratégie d'influence, avec des priorités géographiques clairement affirmées ; dans quelques jours, je validerai avec le ministre de la culture les documents de stratégie qui guideront le travail de l'agence.

Un effort budgétaire également : j'ai stoppé la baisse historique des crédits de l'action culturelle extérieure, qui durait depuis 10 ans, grâce à la rallonge budgétaire de 40 millions d'euros obtenue pour 2009 et 2010. Et j'ai l'accord du Premier ministre pour poursuivre, et même pour augmenter ce soutien financier.

Ensuite un effort de professionnalisation des agents du réseau culturel : un plan de formation de grande ampleur, sans précédent, a été lancé. Doté de 6 millions d'euros, il permet à 4 000 agents de se former au management d'établissement, à la levée de fonds, à la gestion, aux industries culturelles, au français langue étrangère, aux nouvelles tendances de la scène artistique...

Enfin, un travail d'harmonisation entre notre réseau culturel public et celui, associatif, des Alliances françaises. Le réseau des Alliances françaises – dont les statuts sont généralement de droit local – relaie et prolonge l'action des pouvoirs publics. Nous travaillons en parfaite complémentarité avec lui. Je veux aller plus loin. Dans un article que nous avons publié ensemble il y a quelques jours, le président de l'Alliance française Jean-Pierre de Launoit et moi-même avons affirmé notre volonté de rapprocher les identités visuelles – avec un même logo bleu et rouge –, d'harmoniser encore les cartes de nos réseaux, de multiplier les actions communes dans le cadre d'une convention tripartite entre le ministère des affaires étrangères, l'Agence culturelle et l'Alliance française.

Mais la diplomatie d'influence ne se limite pas à l'action culturelle extérieure. C'est pourquoi le projet de loi propose de créer un second établissement : l'Agence française pour l'expertise et la mobilité internationales – AFEMI. Cet opérateur se substituera à trois organismes : l'association EGIDE et les groupements d'intérêt public CampusFrance et France Coopération internationale.

Le nouvel opérateur reprendra naturellement les missions de ses trois composantes. Il sera chargé d'aider à la mobilité des étudiants et des chercheurs étrangers, notamment par la gestion administrative des bourses du gouvernement français. Il sera ensuite chargé de faire, auprès des publics étrangers, la promotion des formations supérieures françaises et de veiller à la qualité de l'accueil des étudiants étrangers en France. Pour mener à bien ses missions, l'opérateur s'appuiera sur le réseau des ambassades et des espaces CampusFrance gérés par le réseau culturel à l'étranger.

Par ailleurs, l'Agence sera chargée de concourir au développement et au rayonnement de l'expertise française, y compris de l'expertise privée de courte et moyenne durée.

Le défi est de taille. Il s'agit, d'abord, d'attirer davantage d'étudiants dans nos universités et nos laboratoires de recherche. Aujourd'hui nous nous classons au troisième rang mondial, avec 266 000 étudiants accueillis sur notre territoire. La marque CampusFrance, que les étudiants étrangers connaissent bien, sera conservée, et les espaces CampusFrance demeureront dans nos ambassades.

Le second défi est celui que représente le gigantesque marché international de l'expertise. D'après le récent rapport Tenzer, ce marché s'élèvera à plusieurs centaines de milliards d'euros pour les années à venir. La France doit y prendre toute sa place, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui : nos experts sont compétents mais ils ne sont ni assez disponibles ni assez mobiles. Il y va de l'intérêt économique de notre pays mais aussi de son intérêt en termes d'influence et de rayonnement. Ce nouvel opérateur l'y aidera.

Aujourd'hui, nos forces sont dispersées alors qu'il existe une véritable cohérence entre les métiers de la future agence. Le Président de la République, dans le cadre du Conseil de modernisation des politiques publiques, a demandé leur regroupement afin de favoriser le rayonnement de nos savoirs, qu'il s'agisse de nos savoirs académiques, scientifiques, ou techniques.

Ce qui est en jeu, c'est aussi la rationalisation des moyens de nos opérateurs : en fusionnant trois organismes en un seul, on pourra mutualiser les coûts de fonctionnement, l'implantation immobilière, avoir des règles communes de gestion des personnels.

Jusqu'à présent, nous étions dans une logique de subvention. Il faut passer à une logique de prestation de services, en usage dans tous les autres grands pays. Nous souhaitons que la nouvelle agence soit autofinancée et n'ait pas besoin de reposer sur des subventions publiques. C'est d'ailleurs le cas pour France Coopération internationale, qui ne touche aucune subvention du ministère des affaires étrangères. De cette manière, il n'y aura dans tous les cas pas de distorsion de concurrence avec les opérateurs privés.

Le Sénat a souhaité placer l'AFEMI sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et européennes, au même titre que l'agence culturelle extérieure. Comme pour l'agence culturelle, la contrepartie est une association étroite des autres ministères au pilotage stratégique. Dans le cas de l'AFEMI, les ministères concernés sont nombreux, car ils sont nombreux à fournir de l'expertise technique.

Le conseil d'administration associera, en plus des représentants des ministères concernés, des représentants du Parlement, des collectivités territoriales et d'autres organismes, tels que les établissements d'enseignement supérieur, ainsi que des personnalités qualifiées et des représentants du personnel.

Le Sénat a aussi introduit dans la loi la création de deux conseils d'orientation consultatifs. Ils permettront d'associer les partenaires de l'opérateur dans la définition et l'orientation de ses deux principaux champs d'activité : l'accueil des étudiants et chercheurs étrangers en France et la projection de notre expertise à l'étranger – selon un principe de va-et-vient profitable à tous. Le Gouvernement souhaitait créer ces conseils par voie réglementaire. Cette mesure ne peut donc que recueillir son aval.

Quant à la gestion des bourses destinées aux élèves étrangers, je souhaite qu'elle puisse être unifiée au sein du nouvel opérateur. Le Sénat, à cette fin, a opportunément introduit un article 5 ter prévoyant la remise d'un rapport, dans les trois années suivant l'entrée en vigueur de la loi, pour faire le point sur cette question.

Le titre II du projet de loi complète utilement la création de l'AFEMI. Il vise à rénover le cadre juridique de l'assistance technique internationale tel qu'il était issu de la loi du 13 juillet 1972.

Depuis cette date, en effet, le contexte a changé. La demande d'expertise internationale n'est plus la même. Elle ne s'exprime plus de la même manière. L'objectif est de remettre la France au coeur de cette compétition mondiale.

Il faut d'abord diversifier les équipes d'experts et leurs profils. Il y a quarante ans, on pratiquait une expertise résidentielle de long terme. Aujourd'hui, cette pratique se réduit au profit d'une demande de court et moyen terme, portant sur des champs très spécialisés, pour venir compléter le travail des experts locaux. C'est un marché qui représente un enjeu financier important.

Le texte présente trois avancées majeures.

Premièrement, il permet d'élargir l'affectation d'experts techniques internationaux aux organisations internationales intergouvernementales et aux instituts indépendants de recherche sur les politiques publiques, les think tanks,...

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