« Leur objectif est de combattre les excès de la démocratie : corps constitués et société organiciste contre société trop libre, trop égalitaire, trop fraternelle, bref un peu trop révolutionnaire. »
Paul Ariès conclut : « Cette société civile se révèle ainsi la partenaire idéale d'un pouvoir autocratique à l'image de celui que pratique l'Union européenne. Les tenants du oui au traité constitutionnel européen exprimeront cette opposition de la société civile en critiquant fortement le vote des citoyens ». Je devrais d'ailleurs ajouter : au point de faire passer par la force un traité identique quelques mois plus tard.
Cette société civile du Grenelle de l'environnement ressemble de plus en plus à celle des lobbies reconnus par les institutions européennes et qui élaborent les documents de travail des technocrates.
Quand la société politique avec ses débats contradictoires et son suffrage universel permet, en principe, que la voix d'un pauvre vaille celle d'un riche, qui peut croire que certaines parties prenantes du Grenelle, ne représentant qu'elles-mêmes, ne pesaient pas plus lourd que certaines grandes ONG écologistes ou certains syndicats représentatifs ?
En excluant ainsi tout débat de fond sur les causes profondes des désastres environnementaux, et en évitant tout questionnement des ressorts du système capitaliste mondial qui guident les grandes orientations en matière d'exploitation des ressources naturelles et des écosystèmes, cette société civile, adoubée par tous les néolibéraux, contribue efficacement à l'affaiblissement de la société politique, de ses combats d'idées, de ses luttes.
Dans la foulée du Grenelle de l'environnement, et sans doute inspiré par ce mystérieux « esprit de Grenelle » au souffle si porteur, le Gouvernement a d'ailleurs bien compris qu'il lui fallait multiplier les appels à des Grenelle sur tous sujets – Grenelle de la mer, Grenelle des ondes, Grenelle de l'insertion, et j'en passe sans doute –, en oubliant curieusement de se poser la question d'un Grenelle de l'emploi et des salaires, sujet sur lequel tout est bon pour limiter au maximum le débat public.
Ce nouveau concept intègre également des notions déjà largement répandues, comme celle de gouvernance, qui, comme dans le projet de loi mettant en oeuvre le Grenelle 1, fait l'objet dans le présent texte d'un titre entier, en l'occurrence de plus de cinquante pages. Cette notion de « bonne gouvernance » nous vient tout droit de la gouvernance d'entreprise, la « corporate governance », concept-phare de la révolution libérale des années quatre-vingt diffusé à travers le monde entier par les institutions financières internationales pour briser le rôle politique des États, et ce en accompagnement des politiques d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale.
Mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, chers collègues de la majorité, je sais votre besoin permanent d'apparaître sous les dehors de la modernité : vous modernisez ce pays à tour de bras, et nous en voyons chaque jour les bénéfices ! Mais votre conception de la construction politique, dans ce texte comme dans beaucoup d'autres, est profondément réactionnaire. C'est une machine de guerre contre les fondements de notre république, un terreau fertile pour éloigner durablement les citoyens du débat, de l'action publique et du vote. Quel besoin y a-t-il ensuite, après chaque élection, de jouer le bal des hypocrites en versant des larmes de crocodile sur le niveau du taux d'abstention ? Il nous faut au contraire replacer nos concitoyens au centre du processus démocratique, en faisant des efforts considérables pour qu'ils se saisissent des grands enjeux du siècle à venir, à commencer par la question environnementale.
À partir de cet indispensable constat, je voudrais, pour appuyer cette motion, prendre, dans le second texte matérialisant le Grenelle de l'environnement, quelques exemples particulièrement signifiants. Ce texte de 285 pages, divisé en sept titres, est censé traduire en « obligations, interdictions ou permissions » les principes précédemment affirmés dans la loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. À la lecture du document, nous pouvons toutefois considérer que moins de la moitié des voeux pieux exprimés dans la loi de programmation sont effectivement repris. Je ne doute pas de votre conviction à faire durer le plaisir sur ce sujet, mesdames et messieurs les ministres, mais je crains que le nouveau rythme qu'entend imposer le Président de la République aux réformes environnementales ne vous condamne à patienter pendant tout le reste de son mandat…
Ce texte, censé traduire les engagements de notre pays en matière environnementale, botte en réalité en touche à la moindre difficulté en renvoyant systématiquement à des décrets d'application. Le mot « décret » apparaît ainsi à chaque fois que des contraintes pourraient être précisées par la représentation nationale : j'ai relevé près de deux cents occurrences de ce mot dans le texte ! Voilà de quoi donner du travail au Conseil d'État et aux services ministériels déjà submergés par l'inflation réglementaire de votre gouvernement ! Voilà de quoi faciliter la compréhension générale du droit de l'environnement pour nos concitoyens et les élus de nos collectivités !
Ainsi, dans le titre consacré aux bâtiments et à l'urbanisme, l'ensemble de l'édifice réglementaire relatif au respect de la réglementation thermique, à la mesure et au contrôle des performances énergétiques, aux diagnostics énergétiques, aux travaux imposés sous délais pour l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments dans les différents secteurs d'activité, est renvoyé à des décrets en Conseil d'État.