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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 4 mai 2010 à 15h00
Engagement national pour l'environnement — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Dans tous les secteurs, les déclinaisons opérationnelles des voeux pieux du Grenelle 1 font appel à l'anticipation d'un agent unique doté de toutes les informations susceptibles de l'éclairer pour effectuer le meilleur arbitrage : un nouvel homo economicus devenu ecologicus mais toujours, selon la définition consacrée, parfaitement rationnel, parfaitement informé et ne suivant que son propre intérêt.

Nous retrouvons derrière les deux textes du Grenelle la motivation première de l'économie dominante de l'environnement qui se fonde sur un individualisme écologique forcené, visant à calculer à partir des comportements individuels supposés les variables d'équilibre du marché étudié.

Seul l'équilibre du modèle économique est à même de résoudre le problème environnemental. Tout n'est qu'ajustement de l'offre à la demande et question d'incitation. Toute possibilité de dérapage est exclue. Comme était exclue toute possibilité de crise financière par les mêmes économistes, il y a de cela quelques mois…

Cette conception, qui imprègne l'ensemble des mesures proposées, conduit à l'effacement du rôle de l'État dans des domaines fondamentaux ayant trait à l'écologie, en premier lieu les secteurs des transports et de l'énergie. J'y reviendrai tout à l'heure en me fondant sur des exemples précis du texte.

Dans d'autres cas, elle implique de retirer des mains des élus locaux et des collectivités territoriales toute possibilité d'innovation et de prise de responsabilité, afin de ne pas courir le risque que soit entravée la logique capitaliste.

Avec l'écologie de marché du Grenelle de l'environnement, l'aliénation marchande de l'environnement et de la société ne connaît plus de limites.

Au regard de cette dérive, je note que le syndrome du fantôme de Copenhague a bel et bien envahi l'ensemble de ce texte, et je crains qu'il ne marque de son empreinte écologique si particulière nos politiques publiques, si d'aventure cette motion préalable devait être rejetée.

Au-delà de ses présupposés économiques, le Grenelle de l'environnement constitue également un artifice démocratique, synonyme d'une régression dans la façon de concevoir la chose publique en matière environnementale.

Montré en exemple comme le nec plus ultra de la modernité politique, avec ses groupes de travail multipartites, ses tables rondes, ses conclusions et ses 268 engagements, il a en fait servi à masquer toute une série de mesures antisociales.

L'exemple le plus remarquable a été la genèse de la suppression de la taxe professionnelle des entreprises dont les ressources devaient être substituées par une contribution climat-énergie – ou taxe carbone – payée par tous.

N'oublions pas que, pendant des mois, les néolibéraux, Président de la République et membres du Gouvernement en tête, nous ont psalmodié une vision séductrice : pousser toujours plus loin le transfert d'une fiscalité assise sur les revenus du capital et du travail vers une fiscalité labellisée verte, faisant mine de pénaliser les pollueurs.

Le chef de l'État ne déclarait-il pas à Versailles, le 22 juin 2008 devant le Congrès : « Je souhaite que nous allions le plus loin possible sur la taxe carbone. Plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C'est un enjeu immense » ?

Imprégné du sens commun écologique, certains acteurs associatifs de l'environnement ont fait le choix de relayer cette orientation comme une idée salutaire. Je pense très sincèrement qu'ils se sont jetés dans le guet-apens écologique néolibéral, grisés qu'ils étaient par l'illusion d'un lobbying enfin efficace.

Les mêmes ont d'ailleurs souvent survalorisé le projet de loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, en limitant leurs réserves à certains détails. L'ampleur de leur désarroi face aux résultats obtenus montre combien ils ont été trompés par ce qu'il faut bien appeler une mystification.

De surcroît, le Grenelle de l'environnement a également permis d'opérer un renversement profond dans la conception du débat public et de l'action politique. En valorisant « sa » société civile, en établissant « sa » propre définition et « sa » propre sélection des acteurs représentatifs, en opérant des choix arbitraires entre les personnes dites « qualifiées » et celles qui ne l'étaient pas, il portait en germe la négation même des valeurs démocratiques.

Les groupes de travail du Grenelle ont ainsi pu constituer des sphères autonomes, avec des représentants éclairés, chargés de faire remonter des pistes de convergence et des engagements, mais dont les contenus sont devenus toujours plus malléables au fil du temps.

Ceux qui n'étaient jusqu'alors jamais entendus ont ainsi pu être séduits par la démarche. Ils l'ont été plus ou moins durablement.

Derrière l'apparence du « consensualisme », de la modernité, de l'ouverture, de la diversité, votre conception du débat sur les problématiques environnementales a accéléré certains reculs démocratiques en consacrant la volonté secrète de la révolution conservatrice : contraindre et limiter la vitalité démocratique.

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