…« presque personne ne veut le nommer : c'est le capitalisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les peuples sont là, ils rugissent, on les entend là, dehors. […] Ne changeons pas le climat, changeons le système et, en conséquence de cela, nous commencerons à sauver la planète. Le capitalisme, le modèle de développement destructif est en train d'en finir avec la vie. Il menace d'en finir définitivement avec l'espèce humaine. »
L'exemple de Copenhague est particulièrement éclairant : il démontre le refus manifeste des classes et des nations dominantes de porter le débat climatique mondial sur les bases que nous venons de définir ; il démontre comment les dirigeants du capitalisme mondial ont oeuvré contre toute remise en cause des fondements de ce système qui menace la vie sur notre planète. Il ne fallait en effet pas être dupes des priorités fixées par les pays du Nord lors de la négociation de Copenhague. Il n'était même pas besoin d'être un observateur parlementaire attentif, comme je l'ai été avec d'autres au sein du Bella Center, pour comprendre ce qui se tramait dans les couloirs et les arrière-salles. Depuis des mois, les économistes d'ambassade, les experts de tout poil issus des think tanks néolibéraux étaient mobilisés pour disséquer les opportunités des recettes néolibérales appliquables au changement climatique, avec trois mots d'ordre : un, sauvegarder par tous les moyens le système ; deux, faire valoir des outils de marché hautement spéculatifs pour prendre en compte la gestion des gaz à effet de serre par le système ; trois, mobiliser le changement climatique pour trouver un prétexte à l'extension du libéralisme en prêtant caution à la délocalisation et à l'externalisation dans les pays en développement des entreprises polluantes et émettrices de gaz à effet de serre.
Dans la continuité des tentatives qui ont suivi la convention-cadre de l'ONU sur le changement climatique de 1992, et plus particulièrement dans la continuité de l'un de ses prolongements, le protocole de Kyoto de 1997, la conférence de Copenhague, douze ans plus tard, mettait les nations dominantes au pied du mur. Pourtant, c'est avec la même boîte à outils que celles-ci avaient décidé de s'attaquer au péril climatique, en développant toujours plus les mécanismes de flexibilité issus de Kyoto, au premier rang desquels le marché des droits à polluer, destiné ainsi à une extension mondiale.
La réalité de l'après-Kyoto et de l'application des recettes libérales à la lutte contre les émissions mondiales de gaz à effet de serre est loin de rassurer, tant l'ensemble des pays émetteurs se sont éloignés des objectifs, pourtant très insuffisants, qu'ils s'étaient fixés en 1998. Qualifié de meilleur élève, l'Europe offre un exemple particulièrement parlant. En effet, avec la mise en place du système communautaire d'échange de quotas d'émission de carbone, l'Union européenne a été la pionnière pour instituer un marché de permis de polluer échangeables sur un marché libre et non faussé. Cet outil est le pendant écologique de l'innovation financière qui a conduit à la crise financière que nous connaissons. Son soubassement idéologique est simple : permettre l'octroi d'indulgences aux firmes transnationales « subventionnées-carbone » pour qu'elles puissent réaffirmer leur hégémonie planétaire en délocalisant leur activité dans les pays à bas coûts salariaux pour faire du développement plus propre. C'est la panacée pour les plus zélés exploiteurs qui trouvent là une véritable caution écologique pour délocaliser toujours plus vite. C'est aussi un alléchant et prometteur terrain de jeu pour tous les Madoff en culotte verte, pour tous les fonds spéculatifs et tous les requins de la finance ! Il fallait bien leur offrir un nouveau débouché après les déboires qu'ils ont connus sur les marchés de l'immobilier ! L'atmosphère en cadeau, pourquoi ne pas y avoir songé plus tôt ?
J'ai déjà eu l'occasion de dénoncer les mécanismes de marché carbone ouverts par Kyoto lors du débat sur le Grenelle 1 en soulignant que de tels dispositifs, qui font de la nature et de l'atmosphère terrestre des marchandises, participent pleinement d'un vaste mouvement niant toute existence aux biens communs inaliénables de l'humanité. Qu'à cela ne tienne, pour les néolibéraux, polluer doit devenir un droit, et les tonnes de carbone émises une propriété.
Ces émissions doivent faire l'objet d'un commerce mondial favorisant naturellement les gens les plus riches qui s'empresseront d'acheter sur le marché des permis d'émission négociables ou de capitaliser sur les grandes forêts mondiales, réserves de carbone bientôt monnayables.
Ce système les autorise ainsi à demeurer les plus gros pollueurs, sans rien changer à leur comportement destructeur pour l'environnement.
Ajoutez quelques pincées de flexibilité – toujours ! – pour permettre de délocaliser librement ces émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Joignez quelques jolies translations de courbes d'offre et de demande. Agrémentez tout cela d'une communication flatteuse évoquant le bien-être planétaire retrouvé.
Voilà tous les ingrédients nécessaires d'une bonne sauce capitaliste prête à servir à des multinationales bien heureuses de participer, dans ces conditions, au festin climatique.
Se fixant pour seul cadre la maximisation des profits et reposant sur une plus large appropriation marchande des ressources naturelles et des biens communs, la stratégie des pays riches à Copenhague constitue le plus sûr moyen de ne jamais atteindre aucun objectif chiffré.
Monsieur le ministre d'État, c'est pourtant ce même marché carbone dont vous ne cessez de chanter les louanges, en soulignant la nécessité « d'étendre le système européen d'échanges des quotas d'émissions de gaz à effets de serre à de nouveaux secteurs. » Vous avez même souhaité, monsieur le ministre d'État, l'intégrer pleinement comme un outil national de la lutte contre le changement climatique dans la loi de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, à son article 2.
Je vous en félicite. Avec cette démarche, vous n'êtes plus très loin du prix Nobel d'économie. Tenez-vous prêt ! Écrivez quelques lignes prometteuses sur la réussite à venir de ce volontarisme néolibéral français, et il vous sera peut-être décerné l'année prochaine par les deux anciens Nobel d'économie, Ronald Coase et Oliver Eaton Williamson.