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Intervention de Jean-Marc Fenet

Réunion du 28 avril 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Fenet, directeur chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques :

Depuis deux ans, la France mène une action renforcée contre les paradis fiscaux dans un contexte international très dynamique. Non que nous ayons attendu cette période récente pour nous montrer actifs en la matière : la France conduit traditionnellement, dans le cadre du contrôle fiscal international, une action forte, notamment en matière d'évasion des bénéfices des entreprises vers les paradis fiscaux ou de bases taxables échappant illégitimement à l'imposition sur le territoire national – je pense aux mécanismes des prix de transfert et du business restructuring, la « restructuration » interne des entreprises qui peuvent parfois consister à déplacer leurs centres de bénéfices vers des pays à très basse pression fiscale.

En ce qui concerne les particuliers, la lutte concerne essentiellement les comptes off shore non déclarés, passifs ou actifs – distinction qui nous est propre et à laquelle nous avons recouru récemment, notamment en ce qui concerne l'affaire des fichiers du Liechtenstein ou de comptes ouverts en Suisse. Les comptes passifs, ou dormants, sont le fruit d'un héritage qui se transmet parfois sur plusieurs générations, alors que les comptes actifs sont approvisionnés par des revenus dissimulés, qui quittent le territoire français.

Jusqu'à il y a peu, l'action contre de tels comptes était compliquée du fait qu'elle se heurtait à l'absence de transparence et au refus, par les pays interrogés, de répondre aux questions posées, au nom du secret bancaire, lequel est souvent inscrit dans la législation interne, voire la constitution des juridictions en cause. L'action que nous menions en la matière, sans être nulle, ne pouvait être soutenue.

Le monde a beaucoup changé depuis le début de l'année 2008 et l'affaire du Liechtenstein que j'ai évoquée. Il convient d'ajouter, à ce fait générateur, les conséquences de la crise, l'action de l'OCDE et les initiatives franco-allemandes très fortes d'Éric Woerth et de son homologue Peer Steinbrück, qui ont, à la fin de l'année 2008 et au début de l'année 2009, réuni deux conférences internationales, à Paris et à Berlin, en vue de renforcer la coopération et les échanges en la matière. Le G20, enfin, s'est emparé de la question.

Je tiens à resituer les conventions qui sont soumises à votre examen dans le contexte des mesures d'ordre général que la France a prises depuis deux ans.

Dès la fin de l'année 2008, le Parlement a durci la législation en adoptant deux mesures relatives aux comptes non déclarés à l'étranger. La première a permis d'actualiser l'amende pour non-déclaration, dont le montant, désuet, de 1 500 euros a été porté à 10 000 euros ; la seconde a consisté à porter le délai de prescription de trois ans – ou six ans, en matière de patrimoine – à dix ans. De plus, à la fin 2009, la loi de finances rectificative a prévu un paquet législatif visant les paradis fiscaux, qui a été complété par des mesures administratives, ce qui a permis de définir, en droit fiscal, au sein du code général des impôts, un concept qui n'existait pas jusqu'alors en droit français et qui recouvre la notion de paradis fiscal. Auparavant, les textes évoquaient simplement les pays « à fiscalité privilégiée ». Or un pays « à fiscalité privilégiée » est un pays dont, pour un impôt déterminé, le taux est inférieur de moitié au moins à celui qui est appliqué sur le territoire français. Certains pays pratiquent, pour des raisons stratégiques, la basse pression fiscale – je pense notamment à l'Irlande pour l'impôt sur les sociétés – : il ne s'agit pas pour autant de paradis fiscaux. C'est la raison pour laquelle le législateur a introduit à la fin de l'année 2009, dans le code général des impôts, les « entités non coopératives », lesquelles ne se contentent pas de pratiquer la basse pression fiscale mais sont, de plus, non transparentes en matière d'échange de renseignements. Elles n'ont ni signé les douze conventions réclamées par l'OCDE ni souscrit, avec la France, une convention ou un accord d'échange international de renseignements conforme aux normes françaises, lesquelles ne font que reprendre l'article 26 du modèle de convention fiscale de l'OCDE, qui prévoit notamment que le secret bancaire ne peut plus être opposé à une demande de renseignements. Certes, l'article 26 interdit encore le fishing, qui permet, sur des critères anonymes, de constituer des listes de noms répondant à ces critères : il convient donc de cibler les demandes. Toutefois, les pays qui souscrivent avec nous ces conventions s'engagent à ne plus nous opposer le secret bancaire. Comme le montrent les conventions soumises à votre examen, le durcissement de la législation à l'encontre des entités non coopératives et des acteurs économiques qui font commerce avec elles a permis à la France, notamment en 2009 et au début 2010, d'être un des pays les plus actifs en matière de signatures puisque la France a prévu, à la fois, des avenants à des conventions bilatérales déjà existantes, visant notamment à empêcher les doubles impositions, et des accords ciblés sur l'échange de renseignements avec des « entités » avec lesquelles un accord sur la double imposition n'aurait aucun sens, du fait que nous n'avons quasiment pas de nationaux établis chez elles – je pense notamment aux Îles Caïmans, aux Îles Tonga ou aux Îles Turques-et-Caïques. Sept autres accords avec, notamment, l'Uruguay, la Grenade et Sainte-Lucie, seront prochainement soumis au Conseil d'État.

Les entités concernées sont soumises à une condition supplémentaire, qui est la plus novatrice : elles devront prouver, dans le temps, qu'elles respectent leur signature. En effet, durant des décennies, des listes noires ou grises, établies par l'OCDE, ont regroupé des pays qui, pour en être rayés, s'engageaient simplement à plus de transparence sans jamais traduire leur engagement dans les faits, si bien que les listes de l'OCDE finissaient par faire rire tout le monde ! Ces juridictions devront désormais faire la preuve sur le long terme de leur volonté de transparence dans les échanges de renseignements.

M. d'Aubert, qui dirige le groupe des pairs de l'OCDE, a dû évoquer devant vous le processus de vérification des engagements pris par les signataires. La France s'est dotée d'un dispositif semblable, puisque des pays qui, après avoir signé un accord avec la France, ne respecteront pas leur signature, pourront de nouveau être inscrits sur la liste des entités non coopératives que notre pays a établie et qu'il révisera chaque année.

La France a également adopté, sur amendement parlementaire, à la fin de l'année dernière, la création d'un fisc judiciaire, installé dans les locaux de la police judiciaire, sorte de police fiscale ciblée sur la « tête de diamant » de la fraude fiscale, telle que définie par l'article 1741 du code général des impôts. Parmi les motifs d'investigation retenus figure, à l'exemple de nos voisins, la dissimulation d'avoirs à l'étranger sur des comptes off shore non déclarés.

Au plan administratif, la direction générale des finances publiques a pris plusieurs dispositions, dont la création, après autorisation de la CNIL, du fichier EVAFISC qui contient l'ensemble des informations relatives aux comptes off shore non déclarés, notamment dans les paradis fiscaux. Ce fichier alimentera le contrôle fiscal de leurs titulaires.

Cette politique nous permettra de tester rapidement la solidité des signatures des conventions, une fois que l'autorisation de les ratifier aura été donnée par le Parlement français et par ceux des pays concernés, qu'ils soient membres de l'Union européenne ou non, comme Singapour. À cette fin, nous solliciterons rapidement les administrations fiscales de ces juridictions en demandant des renseignements sur des listes de noms que nous leur fournirons. Ce sera l'épreuve de vérité.

Aujourd'hui, la fraude fiscale dans son ensemble – nationale et internationale – fait l'objet d'études ciblées : le Conseil des prélèvements obligatoires a évoqué, en 2007, le chiffre de 30 à 40 milliards d'euros, voire 50 milliards en tenant compte de la fraude sociale. Nous étudions, avec nos collègues de l'Union européenne, la fraude à la TVA, qui s'élèverait à quelque 8 ou 9 milliards d'euros uniquement pour la France, ce qui situe notre pays à un niveau moyen par rapport aux pays de l'Union. Toutefois, nous ignorons la part internationale de cette fraude à la TVA – je l'évalue, sans pouvoir le confirmer, au tiers du total. C'est un fait : nous assistons actuellement au sein de l'Union européenne au développement des carrousels de TVA, ce qui avait conduit la présidence française à lancer, à la fin de l'année 2008, une initiative – Eurofisc – consistant à créer un réseau informel et réactif, utilisant les moyens modernes de communication, des vingt-sept administrations fiscales en vue d'effectuer des échanges d'informations dans des délais conformes à ceux des fraudeurs, qui créent des sociétés taxis éphémères en vue d'organiser la fraude à la TVA. Les procédures actuelles, qui demandent entre 100 et 200 jours, sont évidemment beaucoup trop lourdes et manquent leurs cibles. Cette initiative de la France fait actuellement l'objet d'une négociation en vue d'être intégrée à la réglementation européenne par la Commission.

S'agissant des zones grises, la liste des entités non coopératives publiée par la France en contient une vingtaine, au sens de notre législation – il s'agit le plus souvent de petites îles des Caraïbes. Quant aux grands noms auxquels chacun pense, ils se trouvent parmi les signataires des conventions – c'est notamment le cas des Îles Anglo-normandes. La fraude fiscale des particuliers – l'expérience le montre – est une fraude de proximité : la Belgique, le Luxembourg et la Suisse en représentaient 80 % à 90 %. Il n'en est pas de même des entreprises, qui ont recours à des îles lointaines. L'idée selon laquelle la fraude pourrait se déplacer vers des juridictions éloignées, comme Singapour, me paraît hasardeuse du fait que Singapour fait partie des signataires des conventions de transparence.

Le véritable défi, pour les deux prochaines années, n'est donc pas la signature de nouvelles conventions avec les quelques poussières d'îles manquant encore à la liste, mais de faire en sorte que les conventions, une fois ratifiées, ne restent pas lettre morte.

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