Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Philippe Ulmann

Réunion du 28 avril 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Philippe Ulmann, directeur adjoint de Tracfin :

La problématique du blanchiment des capitaux, tout en étant plus large que la problématique fiscale, lui est éminemment liée du fait que les juridictions non coopératives sur le plan fiscal ne le sont parfois pas non plus en matière de lutte contre le blanchiment. C'est contre le cumul de ces deux aspects, qui crée les trous noirs de l'économie, qu'il convient de lutter.

Votre commission a entendu il y a un mois M. Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d'action financière. Le GAFI, organisme international caractérisé par une grande souplesse, émet des recommandations visant à lutter contre les juridictions non coopératives, qui font l'objet de listes, lesquelles ne sont pas à confondre avec les listes fiscales proprement dites. Ces juridictions n'ont pas bâti de systèmes pertinents de lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme : elles ne disposent pas, notamment, de cellules de renseignement financier.

La France a établi un large dispositif de lutte contre le blanchiment puisque le code monétaire et financier incrimine au titre du blanchiment toute utilisation des circuits financiers en vue de profiter des produits de la fraude, le délit devant être susceptible de faire encourir à son auteur une peine d'emprisonnement supérieure à un an.

L'ensemble ou presque des délits économiques est donc couvert en France par une large notion d'infraction sous-jacente. En matière de fraude fiscale, l'article 1741 du code général des impôts prévoit une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans. Nous avons dès lors, par ricochet, introduit le spectre de la fraude fiscale dans le dispositif anti-blanchiment. Le code monétaire et financier le prévoit explicitement à travers une procédure particulière. Les professions qui sont dans l'obligation d'exercer leur vigilance sur les opérations qu'elles ont à connaître doivent déclarer à la cellule de renseignement financier française les opérations qu'elles soupçonnent de reposer sur la fraude fiscale, dès lors qu'apparaît l'un des seize critères prévus dans le décret du 16 juillet 2009.

Les établissements financiers ont donc pour nouvelle responsabilité de dénoncer le soupçon de fraude fiscale, lorsqu'il présente un caractère avéré, grave ou complexe. Tracfin, qui dispose de moins d'une centaine de collaborateurs, n'a pas, en effet, vocation à se substituer à l'administration fiscale.

Notre champ d'opérations n'est pas identique à celui des organismes comparables dans le reste du monde : la fraude fiscale ou le délit fiscal ne font pas partie, à l'heure actuelle, des recommandations du GAFI, en tant que délit sous-jacent du blanchiment. Nous mettons tout en oeuvre pour faire évoluer cette situation et le GAFI réfléchit à l'inclusion de cette fraude sous-jacente dans les délits susceptibles d'engendrer du blanchiment. Cette notion a été reprise à Abou Dhabi, en février 2010, dans le cadre d'un groupe de travail. Le principe en a été approuvé en séance plénière. L'introduction formelle de ce nouveau délit sous-jacent ne pourra toutefois avoir lieu avant un an, mais les listes d'infractions sous-jacentes du GAFI seront dès lors élargies, ce qui devrait nous faciliter la tâche.

Je tiens à rappeler que la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment ne repose pas sur des standards normés dans le cadre de conventions internationales, contrairement à celles portant sur les échanges fiscaux que votre commission aura à examiner. Les standards de lutte contre le blanchiment ont été établis par les cellules de renseignement financier au fil du temps au sein du groupe Egmont, club informel de 116 cellules de renseignement financier du monde entier – elles seront 120 à la mi-2010 –, qui ont accepté les meilleures pratiques en matière d'échange de renseignements. Ces pratiques sont notamment fondées sur le respect de la réciprocité, qui s'entend comme la capacité de fournir à la cellule qui le demande les informations qu'elle serait elle-même capable de fournir si on les lui demandait. Ce système, qui fonctionne de manière pragmatique, se heurte à quelques difficultés, la première étant précisément son caractère non-normatif, la qualité des échanges dépendant de la bonne volonté de chacun. En cas de difficulté, une procédure de non-compatibilité peut être activée par le groupe Egmont, laquelle constitue un signe d'alerte pour le GAFI lors des évaluations des juridictions qu'a évoquées M. McDonell au cours de son audition. Toutefois, aujourd'hui, certaines juridictions continuent de refuser de répondre en opposant le secret défense ou le secret bancaire, faisant ainsi obstacle à la bonne coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment.

Une recommandation du GAFI précise que, lorsque le délit sous-jacent comprend un aspect fiscal, celui-ci ne doit pas être mis en avant par la juridiction interrogée en vue de faire obstacle à l'échange de renseignements. L'administration française s'efforce d'obtenir un durcissement de cette recommandation, qui est en cours de révision : puisque le blanchiment sera intégré l'année prochaine à la liste des délits sous-jacents, elle souhaite que l'échange puisse également porter sur des données uniquement fiscales en cas de soupçon de blanchiment, notre propos n'étant pas, en effet, le rétablissement de la surface taxable d'un contribuable.

Tel est le cadre de notre action.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion