Contrairement à une idée reçue, le taux d'emploi des seniors en France est pratiquement le même qu'ailleurs en Europe jusqu'à 60 ans. Ce n'est qu'à partir de cet âge-là que les taux divergent. En 2008, dernière année pour laquelle les données soient disponibles, le taux d'emploi des 50-54 ans est de 80,5 % en France contre 75,5 % en moyenne dans l'Union européenne ; celui des 55-59 ans de 56,3 % contre 59 % ; celui des 60-64 ans de 16,3 % contre 30,1 %. Ce ne sont pas là des chiffres du MEDEF, mais des statistiques officielles, à la disposition de tous.
Pourquoi la France est-elle un pays où, à la fois, le taux d'emploi des seniors fait pour le moins débat et le taux d'emploi des jeunes est parmi les plus faibles ? Et pourquoi le taux d'emploi global y a-t-il nettement diminué ces sept dernières années alors que sur la même période, dans des conditions économiques comparables, il augmentait substantiellement en Allemagne ? Dans notre pays, lorsqu'une entreprise est confrontée à des difficultés, conjoncturelles ou structurelles, ayant des incidences en matière d'emploi, les délais entre le moment où le problème apparaît et celui où il peut être résolu sont beaucoup plus longs que partout ailleurs dans l'Union européenne – l'écart est encore plus net si on prend pour base de comparaison l'ensemble des pays de l'OCDE. Et lorsque l'entreprise a traité son problème, après des délais, disais-je, extrêmement longs, demeurent encore des aléas juridiques. Dans un tel contexte, il est inévitable que les entreprises fassent du stop and go en matière de recrutements – ce dont les jeunes sont les premiers à faire les frais.
S'agissant de l'emploi des seniors, même s'il faut se garder de généraliser car les pratiques diffèrent fortement dans les grands groupes et dans les PME – un dirigeant de PME ou de TPE, lui, recherche avec obsession à garder le plus longtemps possible ses salariés, pour des raisons de compétences et d'équilibre –, force est de constater que, depuis trente ans dans notre pays, les problèmes d'emploi se règlent par le biais du départ des seniors. Et nous portons tous, organisations syndicales, organisations patronales, politiques à tous les échelons, une responsabilité dans cet état de fait. L'hypothèse, généreuse certes, était que le départ des seniors permettrait de recruter des jeunes. Elle ne s'est, hélas, jamais pleinement concrétisée et s'en est seulement suivi un fort déséquilibre, que nul ne peut contester. Aujourd'hui, un salarié, homme ou femme, qui a l'opportunité de quitter son activité professionnelle à 55 ans, voire plus tôt, avec un revenu net quasiment identique à celui qu'il percevrait en activité, part, ce qui a des effets pervers. Je ne porte là aucun jugement de valeur, je me limite à un constat.
Pour encourager l'emploi des seniors, différentes mesures ont été prises depuis quelque temps rendant le départ de ces salariés plus coûteux, dans le même temps que l'on a incité à une négociation sur le sujet. Même dans une conjoncture très défavorable en matière d'emploi, la quasi-totalité des grandes branches ont engagé des négociations sur l'emploi des seniors et les ont menées à bien. Un grand nombre d'accords sont en train d'être signés au niveau des entreprises, dont les effets, hélas, ne se feront sentir qu'à moyen terme. La tendance ne pourra s'inverser du jour au lendemain, tant les mentalités sont longues à faire évoluer. Chacun a pris conscience que les pratiques qui ont prévalu ces trente dernières années ne peuvent perdurer et veut qu'elles changent radicalement. Mais des obstacles demeurent, à la fois conjoncturels et culturels. Alors que notre économie subit la plus grave crise qu'elle ait connue depuis longtemps, avec des incidences fortes en matière d'emploi, ce n'est certainement pas le moment le plus favorable pour modifier ces pratiques. Par ailleurs, comment amener les salariés à souhaiter travailler plus longtemps – je mets de côté ceux qui exercent un métier dit pénible ?
Pour ce qui est de la pénibilité, on a jusqu'à présent été surtout confronté, dans les milieux industriels qui sont les premiers concernés, à des situations de travail pénibles sur le plan physique, dommageables pour les intéressés et pour la collectivité. Ces situations présentaient l'avantage, si je puis m'exprimer ainsi, d'être facilement identifiables, ce qui facilitait la recherche d'une solution. Chacun s'accorde à reconnaître que les conditions de travail se sont globalement améliorées sur le plan physique, même si des progrès restent encore à faire. Mais, dans le même temps, sont apparus de nouveaux problèmes liés à une pénibilité psychique, beaucoup plus difficile à cerner, notamment parce qu'il peut exister des interactions entre facteurs personnels et facteurs professionnels. Lors de leurs négociations, les partenaires sociaux avaient intégré dans leur projet d'accord la dimension psychique de la pénibilité et, pour notre part, nous avons bien en tête ces deux aspects, physique et psychique. Des initiatives ont été prises récemment, à la fois par l'État et par les partenaires sociaux, dont je veux pour preuve l'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail, qui ouvre des pistes de réflexion et permet d'envisager des plans d'action. S'il ne faut pas nier la réalité, et nous ne la nions pas, nous n'acceptons pas en revanche les généralisations hâtives sur la souffrance au travail. Entre les personnes qui souffrent de n'avoir pas d'emploi et celles qui souffrent au travail, il existe vraisemblablement un point d'équilibre raisonnable, sur lequel il serait sain que nous puissions nous entendre.
Pour ce qui est des cessations anticipées d'activité pour inaptitude ou invalidité, nous explorons deux voies sans avoir encore tranché. La première serait de gérer « le stock ». Mais est-il opportun de continuer de permettre à des personnes, même ayant travaillé dans des conditions reconnues pénibles et dont l'état a été constaté sur le plan médical, de partir plus tôt en retraite si on relève l'âge légal de départ ? La deuxième serait d'avoir une approche différente concernant l'inaptitude et l'invalidité. Mais se posent inévitablement des questions de financement. La branche accidents du travail-maladies professionnelles est aujourd'hui en déficit de 5 millions d'euros.