Je tiens à cette occasion à rendre un hommage particulier à la sénatrice Catherine Morin-Desailly, maire-adjointe à la culture de l'ancien maire de Rouen, Pierre Albertini : durant trois ans, elle a su défendre avec détermination et persévérance ce beau projet et ainsi porter haut le drapeau des valeurs humanistes auquel notre famille politique centriste est si attachée.
Je voudrais également saluer notre collègue Valérie Fourneyron, députée-maire de Rouen, qui a poursuivi l'initiative de ses prédécesseurs.
Du fait de mes fonctions de vice-président du groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande de notre assemblée et du vif intérêt que je porte à la culture de nos amis néo-zélandais, c'est avec grand plaisir que je vois l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée.
Les relations entre nos pays n'ont pas toujours été des plus faciles. Je ne reviendrai pas sur certains épisodes tristes et douloureux. Il est important de souligner que la Nouvelle-Zélande n'est pas seulement un pays lointain, situé aux antipodes : c'est aussi l'un de nos voisins, puisqu'il a une frontière commune avec la Nouvelle-Calédonie, via la zone économique exclusive. C'est même l'un des pays avec lequel nous partageons l'une des plus longues frontières, maritime en l'occurrence.
N'oublions pas que d'autres liens, anciens, nous attachent à ce pays. On pourrait dire que nos relations ne tournent pas rond mais ovale, compte tenu de la passion commune de nos deux pays pour le rugby. La culture maorie est d'ailleurs connue de l'ensemble de nos concitoyens par le biais du fameux haka des All Blacks néo-zélandais que je salue à cette occasion.
Je me réjouis que ce texte nous rassemble au-delà des différences politiques qui existent sur les bancs de notre hémicycle puisqu'il a été adopté à l'unanimité tant au Sénat qu'au sein de la commission des affaires culturelles de notre assemblée.
Ce texte nous a également offert une tribune pour engager un dialogue fructueux entre la France et la Nouvelle-Zélande, nourri de la conviction que « les peuples du monde sont bien davantage unis par leur destin commun qu'ils ne sont divisés par leurs identités particulières ».
Au-delà de son objet ponctuel, cette proposition de loi soulève des questions importantes par leur portée culturelle, éthique et morale autour de valeurs qui rassemblent plus qu'elles ne divisent.
Il ne faut pas oublier que, dans la théorie de l'évolution, l'homme n'est devenu homme qu'à partir du moment où il a enterré ses pairs décédés, prenant conscience de ce qu'est l'âme. On touche là au plus profond de la conscience humaine. Même tatouées, on ne peut considérer que des têtes humaines sont un objet d'art.
Il est donc important au nom de ces valeurs de permettre le retour de ces ancêtres maoris sur leur terre d'origine afin qu'une sépulture décente leur soit offerte conformément aux rites ancestraux.
C'est au regard du principe de dignité humaine, de l'éthique et du respect dû à la culture et aux croyances d'un peuple vivant que cette restitution trouve sa légitimité.
Le regard que portent les Néo-Zélandais sur ces têtes est bien différent du nôtre. C'est de notre capacité à comprendre cette différence et à lui faire honneur qu'il est question ici.
La momification des têtes prend son origine dans une pratique rituelle témoignant du respect d'une tribu et d'une famille envers ses morts. Elle est ensuite devenue, sous l'effet de la curiosité macabre des voyageurs et des collectionneurs européens, l'objet d'un commerce particulièrement barbare. Avec l'arrivée des colons européens, ces têtes, considérées comme des objets de collection, ont suscité un engouement sordide et fait l'objet d'un trafic jusqu'au milieu du XIXe siècle, au point que certains esclaves eurent la tête tatouée puis coupée pour satisfaire la demande. C'est ainsi que certaines de ces têtes se sont retrouvées dispersées dans des collections privées puis dans les musées d'Europe et d'Amérique et que plusieurs d'entre elles sont entrées dans les collections publiques françaises par don ou legs. Il a fallu attendre 1831 pour qu'une loi britannique interdise leur commerce via l'Australie, alors plaque tournante du trafic.
La restitution de ces têtes répond à une forte attente des Maoris pour qui elles représentent un élément d'identité. Ils souhaitent pouvoir les inhumer dans le respect des traditions et rites funéraires. Alors que certains Occidentaux les considéraient comme des objets d'art ou de collection, ces têtes sont, pour eux, les restes de leurs ancêtres, des éléments du corps humain qui méritent à ce titre d'être rendus à leurs descendants.
Or la France, pays des droits de l'homme, comme l'a souligné à juste titre Mme la rapporteure, fait figure d'exception en matière de restitution de ces têtes, moins d'ailleurs en raison d'une opposition de fond que pour des questions liées au statut juridique de ces dernières. Il faut donc se féliciter de l'opportunité d'une telle proposition de loi.
J'en viens maintenant au statut juridique de ces biens.
En octobre 2007, la ville de Rouen annonce qu'elle s'apprête à restituer à la Nouvelle-Zélande une tête maorie entrée par donation en 1875 dans les collections du Muséum municipal d'histoire naturelle. Par cette décision, la ville souhaitait répondre à des demandes répétées du gouvernement néo-zélandais en faveur du retour des restes humains maoris dispersés dans le monde en vue de leur inhumation.
Au motif du non-respect de la procédure de déclassement, nécessaire pour la sortie du domaine public d'un bien inscrit à l'inventaire d'un musée de France, le ministère de la culture a saisi le tribunal administratif, qui a annulé la décision de la municipalité de Rouen de restituer la tête maorie conservée dans les collections de son muséum.
La cour administrative d'appel de Douai a confirmé en juillet 2008 que la ville de Rouen n'était pas « fondée à soutenir qu'elle pouvait autoriser la restitution de ce bien sans respecter la procédure de déclassement prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine ».
Cette situation a conduit Catherine Morin-Desailly à déposer une proposition de loi en février 2008 qui a reçu l'assentiment de cinquante-sept cosignataires et élargi la question en visant l'ensemble des têtes maories conservées dans les musées de France. L'objet de l'intervention du législateur était de décider qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, ces têtes cesseraient de faire partie de leurs collections et pourraient être restituées à la Nouvelle-Zélande.
Cette démarche n'a pas été sans susciter certaines craintes devant le risque de voir s'accroître les demandes de restitution susceptibles de mettre à mal notre patrimoine national, craintes qui avaient déjà été exprimées lors de l'adoption, en 2002, de la loi relative à la restitution par la France de la « Vénus hottentote ».
Même si l'adoption de cette loi n'a pas créé de précédent en termes d'accroissement de demandes de restitution, nous pensons toutefois qu'il est sage que ces questions soient abordées : nous aurions plus à perdre, me semble-t-il, qu'à gagner en continuant de les éviter.
Je crois même que cette réflexion est aujourd'hui attendue et nécessaire et que l'opinion publique y est favorable.
De ce point de vue, nous ne pouvons que féliciter le rapporteur du Sénat Claude Richert d'avoir enrichi la loi de dispositions qui viennent étayer le rôle de la commission nationale chargée de se prononcer sur les procédures de déclassement afin que cette procédure soit réactivée, tout en l'encadrant de fortes précautions.
Le texte vise ainsi à en élargir la composition ainsi que de lui confier des missions et une feuille de route plus précises pour éviter d'avoir de nouveau à nous pencher, à l'avenir, sur un cas similaire à celui qui nous intéresse aujourd'hui.
De toute évidence, cette procédure de déclassement a vocation à rester exceptionnelle et strictement encadrée. Aucun d'entre nous ne pourrait songer une seconde à mettre en péril l'intégrité de notre formidable patrimoine artistique, accumulé au cours des siècles passés.