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Intervention de Henri de Raincourt

Réunion du 29 avril 2010 à 9h45
Restitution par la france des têtes maories à la nouvelle-zélande et gestion des collections — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement :

…sur l'intérêt de conserver ou non les têtes maories dans les collections publiques.

Sur les modalités juridiques choisies pour favoriser la remise des têtes maories aux autorités néo-zélandaises, votre commission des affaires culturelles a proposé une solution sage, respectueuse de la liberté de chacune des collectivités publiques – État ou commune – propriétaires de têtes maories.

En effet, si les têtes maories cessent immédiatement, en application de l'article 1er de la proposition de loi, de faire partie des collections des musées de France en vue de leur remise à la Nouvelle-Zélande, il reviendra à chaque collectivité propriétaire de procéder à leur déclassement et de négocier les modalités de leur remise avec les autorités néo-zélandaises.

Les muséums d'histoire naturelle, qui conservent la grande majorité des têtes maories, auront ainsi la possibilité d'accomplir en toute sécurité ce geste éthique.

Je soulignerai simplement que, pour la première fois, la loi organise la sortie des collections des musées de France d'une catégorie entière d'éléments, et non pas d'un objet déterminé.

Pour l'avenir, il est capital que nous nous dotions des moyens de prévenir et de régler, en amont et de façon consensuelle, notamment entre l'État et les collectivités territoriales ou leurs établissements, les difficultés qui pourraient s'élever pour d'autres cas particuliers, sans avoir besoin de recourir à nouveau au législateur.

C'est précisément l'objet des articles suivants de la proposition de loi, qui ont été ajoutés par la commission des affaires culturelles du Sénat. Celle-ci a souhaité ainsi saisir le Parlement de la question générale des modalités de déclassement des objets appartenant aux collections publiques.

Cette initiative se situe dans la droite ligne des conclusions remises par M. Jacques Rigaud en juillet 2008 au prédécesseur du ministre de la culture et de la communication. Ce rapport avait été demandé à la suite de débats passionnés relatifs à « la possibilité pour l'État et les autres collectivités propriétaires de renouveler certaines pièces de leurs collections afin d'en augmenter la richesse d'ensemble ».

Dans son rapport, M. Rigaud réaffirmait avec force le caractère incontournable du principe d'inaliénabilité. L'inaliénabilité se trouve, en effet, au fondement même des collections publiques qui s'inscrivent dans un horizon temporel de très long terme. Elle a contribué, au fil des siècles, à la constitution d'un patrimoine qui fait aujourd'hui la fierté et l'attrait de nos institutions culturelles, qu'elles soient nationales ou territoriales. La France dispose donc de collections encyclopédiques et affiche une volonté politique de les préserver, de les étudier, de les présenter et de les faire connaître.

M. Jacques Rigaud avait cependant souligné la nécessité d'une « respiration » des collections, pour laquelle les possibilités de déclassement offertes par le code du patrimoine représentaient une modalité envisageable. L'une des propositions du rapport Rigaud consistait donc à donner toute sa portée à la loi relative aux musées de France, qui prévoit spécifiquement une procédure de déclassement.

Il a été entendu puisque la première mise en oeuvre effective de cette disposition a eu lieu à la fin de l'année 2009, entre les votes par les deux assemblées de cette proposition de loi.

Le ministre de la culture a, en effet, déclassé en novembre 2009, après avis conforme de la commission scientifique compétente, cinq fragments de peintures murales de la tombe de Tetiky, prince égyptien de la XVIIIe dynastie.

Cette démarche s'inscrit dans la lutte sans faille de la France contre le trafic illicite des biens culturels et dans le cadre de la convention de l'UNESCO de 1970 que notre pays a ratifiée en janvier 1997.

Ces fragments avaient été acquis de bonne foi en 2000 et en 2003 par le musée du Louvre sur le marché de l'art. Des preuves ont été apportées à l'automne 2009 qu'ils étaient manifestement sortis illicitement d'Égypte. Dans le respect des procédures du code du patrimoine, la France a ainsi remis ces objets aux autorités égyptiennes en décembre 2009.

Le Gouvernement avait alors employé à dessein le terme de « remise » et non celui de « restitution ». L'issue de cette affaire a été rendue possible car elle s'inscrivait dans un cadre juridique international clair. La remise fait référence à l'acquisition et à la détention antérieure de bonne foi par les musées, alors que le terme de restitution est inadéquat. On sait la connotation symbolique forte de ce mot qui risque de créer des amalgames entre cette affaire et d'autres situations de revendications de biens appartenant aux collections publiques françaises.

De même, déclassement n'est pas synonyme de restitution. Il s'agit de deux débats distincts que souligne intelligemment la proposition de loi examinée aujourd'hui. L'initiative parlementaire vient donc relayer un objectif du ministère de la culture et de la communication. Et je vous remercie d'avoir suivi le Sénat dans les travaux préalables à cette séance.

La future commission scientifique nationale des collections instituée par la présente proposition de loi traduira, dans sa composition, toute la complexité des questions de déclassement, qui sont à la fois scientifiques, culturelles et éthiques. La compétence primordiale des professionnels de la conservation des collections patrimoniales sera ainsi complétée par le point de vue des parlementaires, des collectivités propriétaires des collections, ainsi que par celui de personnalités éminentes dans d'autres disciplines utiles à l'examen des projets de déclassement, notamment la philosophie, le droit ou l'anthropologie.

L'ouverture de la commission scientifique nationale des collections aux représentants de la nation souligne la solennité de la procédure de déclassement et témoigne de l'attachement du Parlement au principe d'inaliénabilité.

Par ailleurs, la proposition de loi étend aux demandes de déclassement pour les autres collections publiques non musées de France, notamment au Fonds national d'art contemporain, l'intervention obligatoire avec avis conforme de la commission scientifique nationale. Elle favorise non seulement la prise en compte de l'intérêt scientifique et culturel des biens concernés au moment de décider d'un éventuel déclassement, mais permet aussi aux propriétaires des collections, de bénéficier de l'expertise et de la représentativité de la commission scientifique nationale.

Cette possibilité s'étend également, mais à titre facultatif, aux réflexions sur les collections des fonds régionaux d'art contemporain. Le Gouvernement forme le voeu que ce périmètre élargi permette en outre de définir une doctrine générale s'appliquant à toutes les collections publiques.

Cette proposition de loi vient clore, de façon particulièrement sage, la controverse suscitée à l'automne 2007 par l'annulation de la délibération de la ville de Rouen relative à la restitution de la tête maorie conservée par son muséum municipal d'histoire naturelle. Mais surtout, elle marque l'ouverture d'un véritable débat de fond sur les hypothèses de recours au déclassement, en permettant aux collectivités publiques de disposer d'une doctrine définie selon une concertation parfaite.

Le texte vise, en effet, à donner compétence à la commission scientifique nationale pour fixer la doctrine et les critères de gestion des collections, sans en compromettre l'intégrité ni amoindrir la portée du principe d'inaliénabilité. Ces lignes directrices seront présentées dans le rapport qui devra être remis au Parlement dans le délai – relativement court – d'un an à compter de la publication du présent texte.

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