Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise, nous avons perdu 600 000 emplois, dont 269 000 dans l'industrie, soit 45 % des restructurations, auxquels s'ajoutent 150 000 intérimaires.
Aucune branche industrielle n'a été épargnée, qu'il s'agisse de l'industrie automobile – je vous épargne les pourcentages, que tout le monde connaît –, du secteur verre, caoutchouc et plastiques, des équipements électriques, de la chimie, des biens d'équipement mécanique, de la filière bois et papier, des produits informatiques et électroniques, du secteur habillement, textile et cuir, de la pharmacie ou de l'agroalimentaire. Il y a, dans cet inventaire à la Prévert, des secteurs de pointe et d'autres qui le sont un peu moins, mais tous ont été impactés. Et, on le sait bien, la casse continue.
À l'origine de la destruction de ces capacités de production et d'emplois, il y a la financiarisation généralisée de notre économie. J'ai reçu tout à l'heure une délégation de Generali ; il s'est produit, au sein de ce que l'on peut considérer comme une entreprise d'industrie financière, le même phénomène que celui touchant les industries classiques : des licenciements visant à améliorer la productivité, au bénéfice des seuls actionnaires.
Le débat sur les retraites montre que depuis plus de trente ans, la part des profits augmente dans le PIB au détriment des salaires, mais aussi de l'investissement. Ceux qui pensaient que la crise mettrait fin à cette spirale en sont pour leurs frais : le taux des dividendes ne cesse d'augmenter, atteignant 56 % des bénéfices contre 40 % ces dernières années. L'objectif de « compétitivité », tant ressassé, ne peut cacher que la création de valeur pour l'actionnaire est l'objectif prioritaire, et que c'est en son nom que sont menées des restructurations destructrices de sites et d'emplois viables. Décidément, la crise a bon dos !
Dans ce contexte, sauver l'industrie et l'emploi industriel ne passe pas par ce que propose le MEDEF – je le regrette, chers collègues ! –, focalisé sur la « baisse des charges. Après avoir obtenu la suppression de la taxe professionnelle, il veut à présent réduire sa participation au financement des régimes sociaux, c'est-à-dire la sécurité sociale et les retraites. Dans ma belle région de Normandie, la suppression de la TP n'amène pas la direction de Renault à maintenir la fabrication d'un modèle haut de gamme à Sandouville, ni même en France ! Aujourd'hui, les salariés de Sandouville subissent le chômage technique, mais la direction de Renault demande encore qu'ils améliorent leur compétitivité. Alors même que les voitures ne se vendent pas, il faudrait les fabriquer plus vite, probablement pour être plus souvent au chômage technique – ce n'est pas Renault qui paye, c'est l'argent public !
La sauvegarde de l'emploi industriel ne réside pas non plus dans la politique actuelle d'aides publiques, à guichets ouverts, sans contrôle réel. Ainsi, alors que le crédit d'impôt recherche va dépasser 4 milliards d'euros, la part du privé dans la R & D n'augmente pas : on ne peut, à la fois, financer la recherche, investir et verser plus de dividendes ! Monsieur le ministre, je ne peux m'empêcher de vous citer une note, qui n'est pas extraite de L'Humanité mais émane du Centre d'analyse stratégique : « Si le crédit d'impôt recherche est a priori un instrument adapté au renforcement de l'investissement en R & D des entreprises, l'absence de ciblage peut cependant amoindrir l'efficacité de cette mesure. Or, la réforme de 2008 du CIR – celle que vous avez demandée et votée – alimente le débat sur les catégories d'entreprises bénéficiant le plus de cette aide fiscale, de nombreuses voix s'élevant pour signaler que l'essentiel des gains de la réforme risque de profiter aux très grandes entreprises, dont certaines auraient accru l'externalisation à l'étranger de leur activité de R & D ».
Ainsi, les milliards versés à l'industrie automobile n'empêchent pas les suppressions massives d'emplois, même déguisées en départs volontaires, ou les fermetures de sites au prétexte qu'il ne s'agirait pas « de sites de production » – vous voyez à quoi je fais allusion, monsieur le ministre.
Quand la question du raffinage est posée, comment comprendre et accepter que le port du Havre, au cours des trois premiers mois de l'année, ait vu ses importations de pétrole brut diminuer, alors que celles de produits raffinés augmentaient ? C'est bien que l'on raffine de plus en plus à l'étranger et de moins en moins en France !
Nous pensons qu'il faut à la fois refuser les logiques financières qui étouffent l'économie, intervenir dans les stratégies des entreprises en conditionnant les aides, aux niveaux régional et national, en montant au capital pour peser sur les choix et développer les atouts de notre pays, en particulier la formation des salariés, la qualité des territoires en services publics, en recherche publique, en infrastructures.
Alain Bocquet a évoqué un certain nombre de mesures que nous préconisons. Je rappellerai la création d'un pôle public financier ; la constitution de fonds régionaux publics pour l'emploi prenant en charge tout ou partie des intérêts des crédits pour les investissements des entreprises ; la préservation et le développement de la chaîne qui va de la recherche à la production, dans les secteurs émergents mais aussi traditionnels, ce qui passe par la formation, l'innovation, le travail en réseau ; le rétablissement du contrôle de l'utilisation des fonds publics – je vous rappelle, monsieur le ministre, que la première mesure prise par la droite en arrivant au pouvoir en juillet 2002 a consisté à supprimer la commission chargée de contrôler l'utilisation des fonds publics dans les entreprises ; un droit d'accès aux marchés français et européen, calculé en fonction des écarts de salaires et de protection sociale entre les pays importateurs et exportateurs.
Monsieur le ministre, vous avez fait de grandes déclarations, souvent contredites par la réalité. Vous avez stigmatisé des salariés en lutte contre la casse organisée de leur outil de travail, comme à Sodimatex. Vous avez laissé, comme à Isotherma, près du Havre, des financiers se conduire en voyous et entraîner la liquidation d'entreprises. Vous venez de prendre une nouvelle fois, ici même, un certain nombre d'engagements : chiche !
Nous pensons quant à nous qu'une politique industrielle a toute sa place dans notre pays, à condition de sortir, aux niveaux national comme européen, d'une politique qui considère les salariés comme des variables d'ajustement, les droits sociaux comme des obstacles à abattre et les États comme des outils d'adaptation des hommes et des territoires aux besoins du capitalisme financier et mondialisé.