Je suis présente parmi vous à deux titres : membre du Conseil économique, social et environnemental et auteure d'un avis intitulé Le message culturel de la France et la vocation interculturelle de la francophonie ; produit du métissage culturel français, aimant à se présenter comme française d'origine bulgare, de citoyenneté européenne et d'adoption américaine. Ces deux positions, mon expérience de professeure d'université aux Etats-Unis, au Canada, en Chine ou encore en Israël, mais aussi mon optimisme naturel, m'inclinent à vous proposer une vision combative – à défaut d'être violente – du rayonnement culturel français.
J'ai procédé aux enquêtes et à la rédaction de l'avis du CESE comme on mène un combat, souhaitant affirmer l'existence d'un « message culturel » de la France à rebours de la « dépression nationale ». La francophonie est un désir ressenti hors de France ; de fait, très peu de Français natifs osent louer la culture française comme je le fais, qu'ils considèrent son aspiration à l'universel pesante ou qu'ils la trouvent entachée par la colonisation ou la participation à la Shoah.
Je vous le dis solennellement : nous devrions avoir l'audace intellectuelle et politique d'affirmer la spécificité de notre culture, qui s'épanouit au coeur de la globalisation, de reconnaître et de défendre la place de la culture européenne. Il convient de déculpabiliser la culture nationale et de prendre des initiatives concrètes pour donner un nouveau souffle à l'interculturalité.
Un des traits distinctifs de la culture française tient aux liens étroits que l'histoire du pays a forgés entre les diverses expressions culturelles et la langue française elle-même, faisant de celle-ci un équivalent du sacré aux yeux des Français. C'est sur le terreau de la langue que se sont forgés le goût du pays, un projet national et un projet universel. Venant de l'étranger, je trouve fascinant que, de la grand-mère à la femme de ménage, la langue française demeure cet objet dans lequel s'expriment singularité et créativité. La convention de l'Unesco sur la diversité des expressions culturelles nous encourage d'ailleurs à la protéger.
Il est arrivé que le message culturel soit chauvin. Mais aujourd'hui sous bien des aspects, il respecte la diversité des origines et des religions, ainsi que différentes expressions culturelles. Nous n'avons pas encore réussi à mettre en oeuvre le lien nationalité-diversité, avec la fermeté qui s'impose dans le contexte des heurts culturels du troisième millénaire. La diversité renvoie à des valeurs interprétables et universalisables, grâce à la traduction, qui est la « langue » de cette diversité. Ces valeurs sont reprises et développées par l'Union européenne, l'Unesco et l'Organisation internationale de la francophonie.
Je veux insister sur deux points : la francophonie et le multilinguisme, avec leurs conséquences sur le vécu de l'identité nationale et la pratique du français ; l'importance du réseau et le rôle culturel de l'État, à la fois moteurs de l'action extérieure de la France, et obstacles à celle-ci.
Parallèlement au recul du français, s'exprime un « désir de France », qui pousse par exemple les Chinois aisés à placer leurs enfants dans des écoles maternelles dispensant un enseignement du français, ou des scientifiques chinois à regretter que leurs articles ne soient pas traduits en français. Par ailleurs, je suis de ceux qui apprécient que des pays de l'Est européen ou d'Asie dont la langue d'usage n'est pas le français participent à la francophonie, simplement parce qu'ils partagent nos valeurs. Quant à la francophonie interne, elle doit être perçue comme un moyen de cohésion nationale. Ceci doit aller de pair avec le développement du multilinguisme à l'intérieur du pays, de façon à ce que cette nouvelle identité nationale soit audible.
La France dispose d'un réseau culturel unique au monde par sa diversité. Mais celui-ci restera inopérant s'il n'est pas accompagné d'une vision politique positive du message culturel de la France. Nous avons proposé dans l'avis du CESE de renforcer l'efficacité des opérateurs – Agence pour l'enseignement du français, Campus France, Agence française du développement, France 2, France monde, RFI, Arte, etc. – et de transformer CulturesFrance en grande agence, à l'instar du Goethe Institut ou de l'Institut Cervantès. J'ai initialement proposé que cette mesure soit immédiate, mais mes homologues du CESE m'ont convaincue de prôner un délai pour sa mise en oeuvre. Celui-ci doit être le plus bref possible.
L'action culturelle, autre caractéristique française, est une affaire d'État. Cela constitue un atout, à condition de favoriser certaines actions privées, comme le mécénat. Si l'État garde la maîtrise de cette politique, il devra mettre fin à ce « Yalta » de la culture qu'ont organisé le ministère de la culture et le ministère des affaires étrangères. Il convient de construire un projet stratégique, de conduire une action interministérielle décentralisée et de mettre en place une offensive culturelle internationale.
Au lieu de publier des livres sur le déclin de la France, nous devrions nous interroger sur ce que nous pouvons diffuser comme message, là où un modèle alternatif est attendu. Dans l'avis du CESE, mue par une vision gaullienne, je préconise la création d'un Conseil de l'action extérieure pour le développement et la culture auprès du président de la République, sur le modèle du conseil de sécurité nationale. Je suggère aussi de consolider la place de l'audiovisuel extérieur, qui reste malgré la création de France 24, assez modeste, d'organiser l'accueil et le suivi des étudiants étrangers et de valoriser le pôle économique des industries culturelles – traduction, cinéma, bibliothèque numérique. Enfin, il conviendrait de renforcer l'action de la France sur cette question au sein de l'Union européenne et de l'Unesco – José Manuel Barroso n'a-t-il pas récemment déclaré que sans projet culturel il n'y avait pas de projet politique ? L'intervention de la France, selon l'analyse même d'Irina Bokova, reste modeste dans la mise en place de la convention sur la diversité culturelle.
Pour terminer, je veux rappeler le rôle important du CESE. Antoine Compagnon a parlé de « développement culturel durable » ; je trouve regrettable que le terme « culturel » n'apparaisse pas au côté du terme « environnemental » dont s'est récemment paré le conseil.