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Intervention de Jean Jouzel

Réunion du 6 avril 2010 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jean Jouzel :

Le piégeage du CO2 a fait l'objet de nombreux travaux du GIEC. Il en résulterait un surcoût énergétique et financier d'environ 20 %, ce qui n'est pas considérable par rapport aux fluctuations du cours du pétrole. Les études doivent se poursuivre, et je suis confiant dans l'avenir du stockage. C'est une solution viable au plan technologique, mais il faut être conscient qu'elle ne permettra de résoudre qu'une partie du problème. On peut également s'interroger sur l'acceptabilité de cette solution par les populations concernées – on s'en est déjà rendu compte à Lacq et à Jurançon.

Je suis, en revanche, assez défavorable à d'autres propositions d'ingénierie climatique – je pense notamment à l'idée d'introduire des aérosols dans l'atmosphère ou de priver certaines zones de soleil. Ces solutions me paraissent dangereuses, mais nous devons les étudier scientifiquement afin d'éviter que certains acteurs ne détournent ce sujet.

Ne soyons pas millénaristes. Il existe des solutions pour limiter l'ampleur du réchauffement climatique à deux degrés comme le recommande le rapport du GIEC. Je viens d'évoquer le stockage et le piégeage du CO2, mais il y a aussi le développement du nucléaire, celui des énergies renouvelables et les économies d'énergie. Nous pouvons nous appuyer sur trois piliers : l'innovation scientifique, la prise de conscience du problème qui se pose, et la volonté politique. Celle-ci doit avant tout s'exercer au plan local, dans les régions et les communes, et pas seulement à Copenhague.

Des excès médiatiques ont parfois été commis, mais j'ai apprécié le travail réalisé par Al Gore et par d'autres. Mis à part quelques erreurs factuelles, on ne peut pas leur jeter la pierre. Nous avons besoin d'intermédiaires entre le monde scientifique et le grand public. Si l'on admet que les gaz à effet de serre posent un problème, il faut modifier notre mode de développement : nous ne pouvons pas continuer à nous comporter comme nous le faisions pendant les « trente glorieuses ». Les tensions que l'on constate aujourd'hui n'ont pas d'autres causes : le diagnostic scientifique conduit à des décisions politiques. Nous faisons face à un enjeu de société.

Est-on certain que le réchauffement climatique n'a pas d'autres origines ? L'activité volcanique ne représente pas plus d'un pourcent des émissions de CO2et l'on sait que l'augmentation du CO2dans l'atmosphère est liée aux émissions de gaz carbonique et à la déforestation. Les études isotopiques du CO2et du méthane montrent que l'augmentation de l'effet de serre résulte de l'activité humaine et non de causes naturelles. Nous avons des certitudes sur ce point.

Le volcanisme joue un rôle climatique, mais il ne s'exerce pas par l'intermédiaire du CO2. À chaque éruption volcanique, un refroidissement se produit pendant deux ou trois ans. Avec la réduction de l'activité solaire, c'est peut-être l'origine de ce qu'on appelle le « petit âge glaciaire ». Nous prenons en compte ce phénomène.

Les quantités de CO2permettent d'expliquer les variations du climat au cours des cinquante dernières années : il ne s'agit pas d'une explication par défaut, ni de simples corrélations. Claude Allègre prétend que les conclusions du GIEC s'appuient sur une comparaison entre la courbe des températures au cours du dernier millénaire et celle du gaz carbonique, mais c'est absolument faux. Nous étudions des modèles et nous prenons en considération aussi bien les causes naturelles que l'activité humaine. Les conclusions du GIEC reposent sur une véritable démarche scientifique.

J'en viens à l'étude des phénomènes climatiques passés, qui constitue mon domaine de recherche. Lors d'une période de déglaciation, on observe d'abord un réchauffement de la température dans l'Antarctique, quelques centaines d'années avant que le taux de CO2augmente. Les sceptiques oublient de préciser que la fonte de la grande calotte polaire de l'hémisphère Nord se produit 4 000 ans après que le taux de CO2a commencé à augmenter. L'origine des changements glaciaires est liée à la variation de l'insolation, que le CO2ne fait qu'amplifier. On ne peut pas tirer de l'étude des données passées le moindre argument infirmant le rôle climatique du CO2, bien au contraire. On ne parvient pas à expliquer la dernière période glaciaire sans tenir compte de l'augmentation du CO2. Une autre certitude est que le CO2 augmente aujourd'hui depuis 200 ans, et cela avant que la température ait commencé à s'accroître.

Le GIEC présente effectivement des faiblesses en matière de pédagogie. Ce n'est pas une grosse structure : nous ne comptons qu'une dizaine de personnes à Genève. Les moyens manquent pour répondre aux attaques, notamment celles qui ont été portées contre le livre de Rajendra Pachauri, le président du GIEC.

Nous nous investissons beaucoup dans les écoles en France, et la communauté scientifique s'efforce de transmettre ses connaissances, sans occulter ses incertitudes. Je participe, pour ma part, à beaucoup de conférences « grand public » et je suis toujours disponible pour les élus. Cela étant, les arguments de Claude Allègre et de Vincent Courtillot n'auraient probablement pas un tel impact si nous étions vraiment efficaces en matière de pédagogie. Je n'ai pas vraiment de suggestions à faire. En revanche, je suis ouvert aux vôtres.

Il est vrai qu'une partie du CO2disparaît en cent ans, mais il faut des milliers d'années pour qu'il disparaisse entièrement. Dans l'hypothèse où la quantité de CO2doublerait, ce qui pourrait arriver dans la seconde partie du XXIe siècle, il faudrait des milliers d'années pour en revenir aux teneurs actuelles, même si les émissions cessent complètement. Certains envisagent de pomper le CO2dans l'atmosphère, mais cela me semble très difficile : on ne parvient même pas à l'empêcher de s'y répandre.

Qui a intérêt à la polémique actuelle ? Il y a un conflit entre ceux qui souhaitent continuer sur la voie d'un développement sans contrainte, et ceux qui insistent sur la nécessité de prendre en compte notre environnement. Vous savez que j'appartiens au comité de suivi de Nicolas Hulot. Le Grenelle demande un développement différent, mais qui reste un développement. L'article 2 de la convention « climat » fixe pour objectif de stabiliser les gaz à effet de serre dans une dynamique de développement durable. Cela pourrait naturellement conduire à une modification de notre PIB et au développement d'autres activités. Par exemple, on raffinera moins de pétrole dans notre pays – on l'a bien vu à Dunkerque.

Je reste assez optimiste en ce qui concerne le Grenelle de l'environnement. Je suis naturellement à la disposition des rapporteurs, comme je le leur ai indiqué. Il ne faudrait pas que l'on reproche aux scientifiques, dans dix ans, de ne pas nous avoir prévenus.

J'en viens aux mécanismes de compensation. Il s'agit de faire en sorte que l'accumulation de chaleur ne conduise pas à un réchauffement. Des modifications de la répartition de l'humidité pourraient se produire dans l'atmosphère, mais cette hypothèse a été réfutée par les données satellitaires. L'existence de mécanismes d'amplification est en revanche très bien documentée.

Même si je n'ai pas été interrogé sur ce point, je précise que j'étais favorable à la taxe carbone – j'ai beaucoup participé à la commission présidée par Michel Rocard – et que j'y demeure favorable.

Les travaux du GIEC montrent que les phénomènes naturels ne peuvent pas être à l'origine de l'augmentation du CO2. Toutes les causes identifiées de variation du climat ont été explorées. Les variations d'insolation et la tectonique des plaques n'exercent pas une influence suffisante pour expliquer les phénomènes constatés à court terme.

Des « surprises climatiques » peuvent se produire, mais le scénario du film Le Jour d'après n'est pas vraisemblable. Ce film n'est raisonnable que pendant ses deux premières séquences. Un arrêt du Gulf Stream, qui pourrait résulter de l'arrivée d'eau douce à la surface de l'océan en cas de fonte du Groenland, serait sans incidence sur le reste de la planète. Il en résulterait un moindre transfert de chaleur des régions tropicales de l'Atlantique vers l'Atlantique Nord, mais globalement le climat ne changerait pas. Si les températures augmentaient de trois degrés, on en reviendrait, dans nos régions, aux températures actuelles en une dizaine d'années. Les dommages économiques et écologiques pourraient être très importants, mais nous ne subirons pas une nouvelle ère glaciaire pour autant.

Je ne ferais pas nécessairement mien le terme de « crime contre l'humanité », même si la tribune publiée dans Le Monde par Dominique Bourg et Nicolas Hulot va un peu dans ce sens. Ne jouons pas avec le feu. Le problème n'est pas le scepticisme en tant que tel, mais le fait que les climato-sceptiques s'appuient sur des accusations mensongères.

Le sommet de Copenhague était un défi. Nous avons demandé aux négociateurs d'élaborer un accord permettant d'atteindre le pic d'émission de CO2au plus tard en 2015 ou en 2020 afin de limiter le réchauffement à deux degrés, avant de revenir en arrière. La feuille de route de Bali demandait aux pays développés de réduire, d'ici à 2050, leurs émissions de 25 à 40 % par rapport à 1990 ; les pays émergents et en développement devaient, pour leur part, apporter une inflexion notable à leurs émissions. Les grands pays émergents ont fait des propositions, mais les pays développés n'ont pas joué le jeu.

Le progrès réalisé depuis Copenhague est que les engagements oraux ont été confirmés au mois de janvier. En 2020, les émissions seront toutefois trop élevées de 5 à 10 % pour que nous suivions une trajectoire limitant le réchauffement à deux degrés – cet objectif a été fixé à Copenhague, ce qui constitue un vrai succès. La trajectoire actuelle nous conduisant plutôt à une augmentation de trois degrés, nous avons besoin d'engagements plus forts. Une révision des engagements devrait avoir lieu en 2015 sur le fondement du 5e rapport du GIEC, attendu en 2014, mais il me semblerait préférable d'agir plus tôt.

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