Adoptée à New York le 21 mai 1997 au terme d'une gestation douloureuse, la convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation constitue une avancée, qui peut paraître limitée mais n'en est pas moins symbolique, en faveur d'une gouvernance mondiale de l'eau en encourageant le dialogue entre Etats riverains sur la gestion des ressources en eau transfrontières et en offrant les outils nécessaires à la mise en oeuvre de la coopération en ce domaine.
L'entrée en vigueur de la convention se heurte pourtant à des difficultés de ratification, de nombreux Etats s'inquiétant de la remise en cause de leur souveraineté ou refusant le principe même de la concertation sur cette ressource essentielle.
Si l'adhésion française permet d'espérer la relance de ce processus enlisé, elle doit aussi être l'occasion pour notre pays de faire partager une prise de conscience, favorisée notamment par le Grenelle de l'environnement, que l'accès à l'eau est une question prioritaire pour le monde au XXIème siècle tant sur les plans humain et économique que géopolitique.
Avant d'évoquer plus en détail la convention que nous examinons, je souhaite rappeler quelques chiffres pour illustrer la problématique de l'eau et des cours d'eau au niveau mondial.
L'homme s'approprie 54 % des ressources d'eau douce accessibles dans le monde. 1,1 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et près de 2,6 milliards à un assainissement de base. Plus de cinq millions de personnes meurent chaque année de maladies transmises par l'eau. Deux milliards de personnes dans plus de 40 pays sont déjà touchés par la pénurie d'eau.
Ces quelques chiffres montrent bien à quel point l'eau est à la fois un enjeu majeur pour l'avenir de la planète et, en même temps un sujet de tensions potentielles dramatiques.
Dans cette problématique, le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, les cours d'eau internationaux, tient une place particulière : un tiers des bassins fluviaux sont partagés par plus de deux pays. À travers le monde, il existe 263 bassins fluviaux transfrontières (59 en Afrique, 61 en Amérique latine et aux Caraïbes, 17 en Amérique du Nord, 52 en Asie, 73 en Europe et 1 en Océanie). Globalement, 145 pays ont des territoires qui incluent au moins un bassin partagé.
40 % des bassins transfrontaliers bénéficient d'accords de gestion coopérative et 80 % des accords existants n'engagent que deux pays même si le cours d'eau traverse d'autres territoires. Enfin, l'examen des 3 600 accords et traités signés sur ce sujet fait apparaître des lacunes juridiques importantes.
Face à ce constat d'une gouvernance défaillante des cours d'eau internationaux, les Nations unies ont mis en chantier une convention susceptible d'offrir aux Etats riverains des outils pour coopérer et gérer de manière intégrée les cours d'eau internationaux.
L'élaboration de la convention a donné lieu à d'intenses débats juridiques et souligné la force des clivages entre Etats d'amont et aval sur la question de l'utilisation de l'eau. Le vote de l'Assemblée générale des Nations unies le 21 mai 1997 fut donc un semi-échec, en raison à la fois de l'hostilité de certains Etats envers la négociation d'un cadre général sur les eaux transfrontalières (Chine, Turquie, Burundi), et de l'abstention de 27 pays dont la France qui craignaient que le texte n'engage excessivement les responsabilités des Etats d'amont.
A ce jour, seuls 18 Etats, dont huit pays de l'Union européenne, ont ratifié la convention sur les 35 nécessaires à son entrée en vigueur.
Si la France choisit aujourd'hui d'adhérer à la convention, c'est pour trois raisons qui, sans être officielles, peuvent être avancées comme vraisemblables : la première, la plus vraisemblable, tient au devoir d'exemplarité qui lui incombe en raison de l'organisation du sixième forum de l'eau à Marseille en mars 2012 ; la seconde est l'extinction du contentieux sur les potasses d'Alsace qui était à l'origine des réserves formulées en 1997 ; la dernière raison tient à l'évolution du contexte international : les représentants d'une dizaine d'Etats ont en effet annoncé, lors du cinquième forum mondial de l'eau d'Istanbul, en mars 2009, leur intention d'obtenir dans des délais rapides une adhésion de leur pays. (Estonie, Slovénie, Bengladesh, Bénin, Burkina, Ghana, Sierra Léone, Tchad).
En dépit des espoirs nourris par la France, les réticences à l'égard de la convention perdurent. Par exemple, la Turquie continue de revendiquer la souveraineté absolue sur les eaux du Tigre et de l'Euphrate alors que les Etats avals - Syrie et Irak - dépendent très largement de cette ressource pour leur développement économique. A l'inverse, pour un pays d'aval comme l'Egypte, qui craint que les projets de barrages en vue de l'irrigation de pays fournisseurs d'eau amont comme l'Éthiopie réduisent fortement les débits à l'aval, c'est la peur de la remise en cause d'accord de partage préexistants qui l'empêche d'adhérer.
La convention de 1997 constitue pourtant une avancée puisqu'elle impose une logique de dialogue et de coopération politique qui peuvent seules permettre d'apaiser les tensions qui risquent de s'aggraver sur les ressources hydriques. Elle pose pour la première fois les principes internationaux en matière de protection et de gestion des cours d'eau internationaux et définit un cadre de référence pour la négociation d'accords locaux en vue de la gestion partagée des cours d'eau transfrontières pour des usages autres que la navigation.
Articulée autour de sept parties, elle comporte 37 articles ainsi qu'une annexe relative à l'arbitrage. Elle définit deux principes qui doivent gouverner l'action des Etats en matière de gestion des cours d'eaux internationaux :
– « l'utilisation équitable et raisonnable » (article 5) ; l'objectif de la convention est de parvenir à l'utilisation des ressources de manière optimale et durable, en prenant en considération en particulier les besoins humains essentiels et les intérêts des autres États ;
– l'obligation de ne pas causer de dommages significatifs aux autres Etats du cours d'eau (article 7).
Dès son article 3, la convention encourage les Etats à coopérer en adoptant des accords de cours d'eau qui appliquent etou adaptent la convention à leurs circonstances et besoins spécifiques. Ce même article prévoit la possibilité de maintien des accords existants.
La convention revêt pour de nombreux Etats dont la France un caractère essentiellement supplétif puisque, en vertu de l'article 3, elle ne modifie en rien les droits ou obligations résultant pour les Etats d'accords en vigueur.
La France est déjà partie à de nombreux accords et commissions cohérents avec les principes posés par la convention à raison des cours d'eau qui traversent le territoire métropolitain. En outre, pour tous les Etats européens, les textes existants, à savoir la directive communautaire du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau ainsi que pour la convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux du 17 mars 1992, dite « convention d'Helsinki » sont plus contraignants que la convention et ne seront pas remis en cause par l'entrée en vigueur de celle-ci.
Seule la Guyane, en l'absence de commission bilatérale chargée de la gestion des deux fleuves internationaux traversant le territoire guyanais, le Maroni et l'Oyapock, pourrait donner lieu à un nouveau champ d'application de la convention.
En proposant les outils nécessaires à une gestion commune des eaux par les Etats riverains, la convention encourage la coopération internationale sur les ressources en eau. Celle-ci pourrait présager d'une gouvernance mondiale de l'eau pour laquelle la France doit plaider vigoureusement en s'engageant notamment au travers de ses actions de coopération.
Les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur parmi les ONG, s'ils se félicitent unanimement de cette ratification, ont regretté que le discours volontariste de la France sur la préservation de la ressource hydrique ne se traduise pas par des moyens pour la coopération. Ils ont ainsi souligné l'inadéquation de notre dispositif en matière de coopération et la difficulté à mobiliser les compétences pourtant nombreuses. Il est vrai que la ratification de cette convention, si elle va dans le bon sens, celui d'une gouvernance mondiale de l'eau, n'y va que bien timidement et mériterait d'être prolongée par des actes plus concrets de coopération.
Pour autant, outre sa valeur pédagogique, la convention répond à la nécessité d'internationaliser la gestion des cours d'eau et de ne pas la circonscrire à des relations d'Etat à Etat qui favorisent les tensions. Elle apparaît comme un précieux instrument de paix et de stabilité pour les nations partageant des ressources en eau alors que les tensions risquent de s'aggraver du fait des impacts du changement climatique, de la croissance démographique et économique.
En conclusion, l'adhésion à la convention de 1997 doit être une occasion pour notre pays de faire de la question de l'eau et de l'accès à celle-ci une priorité de sa politique internationale. Je forme le voeu qu'après ce premier pas bienvenu la France défende sur la scène internationale deux propositions audacieuses qui sont au bout du chemin timidement emprunté par cette convention : la reconnaissance d'un droit universel d'accès à l'eau et la création d'une autorité mondiale de l'eau auprès des Nations unies.
Plus modestement, il me semblerait intéressant que la commission des affaires étrangères approfondisse, peut-être par le biais d'une mission d'information, la question de la géopolitique de l'eau.
Pour toutes ces raisons, quelques jours après la journée mondiale de l'eau le 22 mars dernier, je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.