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Intervention de Raoul Briet

Réunion du 6 avril 2010 à 17h00
Commission des affaires sociales

Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites :

En guide de propos liminaires, j'indiquerai les principales caractéristiques du Fonds et ferai le point sur sa situation en avril 2010. Enfin, je vous ferai part de mes réflexions sur le rendez-vous 2010.

On dit parfois que les lois sont bavardes. Celle de 2001, qui institue le Fonds, est plutôt laconique. Elle dispose seulement qu'il a pour mission principale de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite. Elle identifie les trois régimes qui bénéficieront de ces réserves : le régime général des salariés du privé et les régimes, désormais alignés, des commerçants et des artisans, l'Organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce (ORGANIC), et la Caisse nationale de compensation d'assurances vieillesse des artisans (CANCAVA). Enfin, elle précise que les sommes affectées sont mises en réserve jusqu'en 2020.

Le texte était laconique, mais le contexte était plus explicite.

L'ambition initiale était de parvenir à accumuler 150 milliards d'euros en 2020 – 1 000 milliards de francs, disait-on à l'époque – en mobilisant, outre une ressource pérenne – c'est-à-dire une fraction de la CSG sur les revenus du patrimoine et des placements, fraction qui représente aujourd'hui environ 1,5 milliard par an –, les excédents de la caisse nationale d'assurance vieillesse, ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ainsi que le produit de cessions d'actifs.

L'idée était de permettre aux trois régimes éligibles de supporter les conséquences du baby-boom sur leur propre équilibre : en effet, de 2006 à 2035, les trente générations « pleines », nées entre 1945 et 1975, feront liquider leurs pensions, créant une « bosse » dans l'évolution des charges des régimes.

Par rapport aux nombreux pays étrangers où il existe des fonds de réserve publics destinés aux retraites, le fonds français a ceci de particulier qu'il est simplement juxtaposé au système alors que, au Canada ou en Suède par exemple, les fonds de réserve sont incorporés techniquement, financièrement et actuariellement dans le pilotage à long terme du système de retraite. En Suède, la détermination de l'équilibre actuariel se fait à partir des charges et de leur évolution, des cotisations et de leur évolution, mais aussi des réserves constituées.

Deuxième notation qui a son importance, le Fonds est neutre en termes « maastrichtien » : que les ressources lui soient affectées ou non revient au même en matière de solde public, en ce sens qu'elles viennent réduire le déficit. En revanche, il n'est pas neutre en ce qui concerne l'endettement public. Les concepts maastrichtiens ayant pour caractéristique – pas forcément très intelligente – de s'exprimer en dette publique brute, le Fonds est un actif et les 34 milliards d'euros qu'il possède aujourd'hui ne viennent pas en déduction de la dette brute des administrations publiques. Cela n'avait guère d'importance au moment de sa création, dans une période où les perspectives des finances publiques étaient beaucoup moins tendues. Cela en a plus maintenant dans les prises de décision publiques et dans d'éventuels arbitrages entre désendettement de la « maison France » et dotation du Fonds.

J'en viens à la situation actuelle.

Le Fonds avait en caisse 34,4 milliards d'euros à la fin du mois de mars. D'un point de vue comptable, tous ces chiffres sont exprimés en valeur de marché, avec toute la volatilité qui en résulte : au plus bas de la crise financière, il y a un an, nous étions descendus à 25 ou 26 milliards. Fort heureusement les choses ont repris.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas se leurrer : l'ambition initiale est aujourd'hui inaccessible. Tous les moteurs d'alimentation du Fonds sont tombés en panne les uns après les autres. La projection ambitieuse reposait sur des hypothèses de chômage basses qui auraient permis au Fonds de solidarité vieillesse d'être excédentaire ; on sait ce qu'il est advenu depuis. On escomptait également que les excédents de la CNAV dureraient plus longtemps que cela n'a été le cas. Les aléas de la croissance et la mesure de 2003, permettant la retraite anticipée pour les longues carrières, ont précipité le passage au déficit. Enfin, le moteur que représentaient les cessions d'actifs s'est progressivement enrayé : la dernière mesure dont le Fonds a bénéficié – la fin de la privatisation du Crédit Lyonnais – remonte à la fin de 2002. Les choix ont ensuite privilégié le désendettement de l'État. Aujourd'hui, c'est la source même des cessions d'actifs qui est tarie.

De plus, la performance du Fonds n'a pu que souffrir de ce qui s'est passé en 2008 et au début de 2009 sur les marchés. Elle était à deux chiffres en 2005 et en 2006, elle était encore positive en 2007, puis elle a chuté de 25 % en 2008 et elle a remonté à + 15 % en 2009. La performance annuelle moyenne, depuis que nous avons commencé à investir, s'élève aujourd'hui à 3,1 ou 3,2 %. C'est deux fois plus que l'inflation, mais cela ne peut être considéré comme satisfaisant, même si l'on peut espérer une amélioration au fil du temps. Au 1er janvier 2009, cet indicateur était à zéro : nous avions perdu en six mois les bénéfices de trois ans et demi d'investissements.

Nous estimons maintenant possible d'atteindre, à compter de 2009 – sauf nouvelle catastrophe financière, bien entendu –, un rendement annuel moyen compris entre 5,5 et 6 %. Dans cette hypothèse, et si nous n'avons pas d'autre ressource que la fraction de CSG sur les revenus du patrimoine et des placements, on arrive à 83 milliards d'euros courants pour 2020, équivalant à 67 ou 68 milliards d'euros en valeur 2009. Nous avons réalisé ces calculs en juin 2009, mais ils restent valables.

Quel sera le passif du Fonds – c'est-à-dire sa « feuille de route », la chronique de ses décaissements – à partir de 2020 ? Nous n'avons, en tant que gestionnaires, aucune indication sur ce point. La loi de 2001 est muette et ni la réforme de 2003 ni la loi de 2007 n'abordent le sujet. Dans le silence des textes, le conseil de surveillance a néanmoins fait des choix d'allocation d'actifs reposant sur une hypothèse technique de passif. En l'absence d'horizon précis, nous avons construit, à partir de l'échéance de 2020, une hypothèse de décaissement linéaire entre 2020 et 2040. Nous avons estimé qu'il ne serait pas déraisonnable, pour un fonds de lissage accumulé pendant vingt ans, de décaisser sur une période identique. De plus, tant que nous n'avons pas d'indications précises concernant la trajectoire et les mesures de financement et d'équilibrage du système à long terme, le décaissement linéaire – et non pas progressif ou dégressif – constitue une hypothèse conservatoire.

C'est cette hypothèse qui nous a conduits à donner une part relativement importante – environ 45 % – aux actifs volatils, à savoir les actions. Les placements obligataires et monétaires représentent une part à peu près équivalente. À terme, les parts de l'immobilier, des infrastructures et des matières premières s'élèveront à environ 15 %.

Je signale au passage que les partenaires sociaux, qui représentent la moitié des membres du conseil de surveillance, ont assumé pleinement les décisions prises, y compris dans les moments difficiles, lorsqu'il nous a fallu assumer solidairement le choc des résultats très négatifs de l'année dernière.

Pour ce qui est des perspectives, le Fonds de réserve pour les retraites peut être un sujet du rendez-vous 2010 si les négociateurs, les décideurs et le législateur se donnent un horizon qui va bien au-delà de 2020, ce que je souhaite à titre personnel. Dans la mesure où, en 2003, on a raisonné sur 2020, il ne serait pas illogique qu'en 2010 on raisonne au moins sur 2030. Dès lors, cet horizon inclut, de fait, le Fonds.

Dès lors que le rendez-vous concerne également le Fonds, on imagine aisément que les sommes dont nous disposons sont l'objet de spéculations, non pas financières, mais intellectuelles. Lors de sa dernière réunion, à la mi-février, le conseil de surveillance a tenu à rappeler que le Fonds était à caractère temporaire, qu'il était autorisé par la loi à décaisser seulement à partir de 2020 et qu'il était destiné à lisser l'impact sur les régimes de l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom. Il a rappelé également le scénario technique choisi pour 2020-2040. Il a précisé, enfin, que toute réflexion sur la place du Fonds se doit de prendre en compte cette vocation de long terme et que le Fonds ne peut se substituer à une stratégie de rééquilibrage reposant sur les leviers d'action permanents que sont l'âge et la durée de cotisation, le niveau des pensions et le niveau des recettes. Le Fonds n'est en quelque sorte qu'un quatrième levier, temporaire.

J'ajouterai quelques commentaires à titre personnel.

Premier élément, il faut préserver la vocation fondamentale du Fonds, telle que la loi de 2001 l'a énoncée : financer les retraites futures versées par trois régimes. Chacun de ces éléments ont leur importante.

Financer les retraites signifie d'abord que le Fonds ne doit pas devenir un « fonds à tout faire ».

Les retraites futures, cela signifie également qu'on ne saurait s'en servir pour solder une partie de la dette afférant aux régimes de retraite. En effet, un régime de retraite, fût-il public, se pilote sur le long terme – c'est d'ailleurs ce que font les régimes complémentaires privés de l'AGIRC et l'ARRCO, qui ont mis en place un dispositif de réserve au montant sensiblement supérieur à celui du Fonds. Bien que les déficits se soient produits plus tôt que prévu et que la crise financière et économique les ait aggravés, le choc du baby-boom n'a pas disparu pour autant et il est toujours légitime de chercher à lisser la bosse qu'il provoquera. De plus, les signaux de long terme pour les générations futures sont suffisamment rares dans nos finances publiques pour que l'on ne soit pas attentif à l'utilisation des 34 milliards d'euros du Fonds.

Cela signifie, enfin, qu'il ne faut pas allonger la liste des régimes éligibles, comme on a pu en débattre à un certain moment, en l'étendant notamment au régime des fonctionnaires et aux régimes du secteur public. De mon point de vue, les salariés du privé, les commerçants et les artisans ne disposent d'aucune forme de garantie ou de réassurance sur leurs retraites, contrairement aux fonctionnaires et aux agents du secteur public, qui sont gérés par des collectivités qui ont les moyens de collecter l'impôt. En termes de légitimité politique et sociale, il existe des raisons fortes pour que seuls les régimes prévus en 2001 bénéficient du Fonds dont les montants ne sont déjà pas considérables.

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