À propos de l'UEO, je partage pleinement votre point de vue. Compte tenu de mon parcours dans des institutions spécialisées sur les questions de souveraineté nationale, vous ne trouverez pas en ma personne un « ayatollah » parlementaire européen, partisan de la mort des parlements nationaux. Je prône, au contraire, leur association la plus étroite possible, et, à cet effet, il importe de trouver une solution souple et pragmatique.
La visibilité de l'Europe est fondamentale, mais elle ne sera pas obtenue du jour au lendemain. Les voies permettant de parvenir à cette visibilité sont multiples. L'Europe est à la fois un socle de valeurs philosophiques et un panel de politiques concrètes, progressives et parfois très techniques, au point que leur mise en oeuvre peut provoquer un effet repoussoir. Toutefois, cette combinaison permet aussi de faire progresser la construction européenne en certains domaines, notamment en matière de défense et de sécurité. À cet égard, les opérations jouent un rôle clé : lorsqu'elles se traduisent par un succès, il est possible de s'appuyer sur elles pour capitaliser auprès des opinions publiques. Ainsi, les pays d'Europe centrale et orientale, extrêmement attentifs à tout ce qui se passe aux marches de la Russie, ont été sensibles au fait que l'Union européenne soit intervenue dans la médiation de crise en Géorgie, avec un succès relatif. Il en est de même avec l'opération Atalante : l'officier francophone d'une frégate allemande participant à cette opération et sur laquelle je me suis retrouvé avec Christian Ménard au large des côtes de la Somalie nous a expliqué que ses hommes avaient ressenti une grande fierté de sortir du cadre routinier de l'OTAN – au départ, ce bâtiment devait être déployé sous l'autorité de cette organisation – et d'être intégrés dans une force européenne novatrice. Cela vaut aussi pour les forces déployées en Bosnie. Je crois beaucoup à ce phénomène d'acculturation parmi les professionnels. Les Britanniques eux-mêmes, qui sont très pragmatiques, peuvent être convaincus de l'intérêt de la PSDC à travers le succès des opérations. N'oublions pas qu'Atalante est conduite par un Britannique, l'amiral Hudson. Je crois vraiment à cette capacité d'entraînement : le succès des opérations permet de les populariser.
Il faut également rendre les institutions plus lisibles, plus visibles. Tel est l'enjeu du Traité de Lisbonne, avec la création du service européen d'action extérieure et l'instauration des postes de haut représentant et de président du Conseil – en dépit des ratés initiaux lorsqu'il a fallu procéder aux nominations. Pour les professionnels de la chose européenne et a fortiori pour les opinions publiques, le labyrinthe bruxellois en matière de défense et de sécurité est incompréhensible. Même dans une opération extérieure simple, sur le sol européen, comme celle du Kosovo, dans le cadre de laquelle j'ai servi, pas moins de cinq drapeaux européens flottaient sur Pristina : celui de la mission de la Commission, celui du représentant spécial, celui du représentant personnel de M. Solana, celui de la mission d'observation de l'UE et celui de la présidence tournante. C'était incompréhensible pour le contribuable européen mais aussi pour le citoyen kosovar que nous étions censés aider.
Enfin, une idée revient régulièrement : celle d'un livre blanc sur la défense européenne. Il aurait de grandes vertus pédagogiques mais la conduite politique de l'opération serait délicate car, si elle échouait, l'ambition tomberait aux oubliettes pour dix ans. En tout cas, les débats relatifs à la défense et à la sécurité européennes ne doivent pas rester l'apanage des experts, avoir pour seul cadre les couloirs des institutions bruxelloises. C'est pourquoi, dans notre rapport, nous appelons de nos voeux la rédaction de ce livre blanc.