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Intervention de Colette Le Moal

Réunion du 7 avril 2010 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Le Moal, rapporteure :

Notre commission est réunie aujourd'hui pour examiner cette proposition de loi déposée au Sénat par Mme Catherine Morin-Desailly le 22 février 2008, puis examinée par les sénateurs et adoptée à l'unanimité le 29 juin dernier.

Ce n'est pas la première fois que le Parlement se saisit de ce sujet si sensible de la restitution de « restes humains » considérés comme des biens culturels ou scientifiques. Sous la XIe législature déjà, une loi du 6 mars 2002 a autorisé la restitution à l'Afrique du Sud de la dépouille mortelle de la « Vénus hottentote ».

Comme me l'a indiqué Mme Catherine Morin-Desailly, la présente restitution répond à une très forte attente du peuple maori. Rappelons que ce peuple est un peuple autochtone de Nouvelle-Zélande, entré en contact avec les Européens au cours du XVIIe siècle, et que c'est en 1840 que la Nouvelle-Zélande devint une colonie britannique, par le traité de Waitangi.

Aux termes de celui-ci, les colons s'engageaient à protéger le mode de vie des Maoris et à respecter leur droit de propriété. Pourtant, durant les années suivantes, des conflits violents éclatèrent entre autochtones et nouveaux arrivants, conflits qui se soldèrent en 1872 par un écrasement sanglant de la rébellion maorie, la confiscation des terres et le déclin rapide de cette population. À l'inverse, depuis 1980, le tribunal de Waitangi, créé par le gouvernement néo-zélandais, est chargé d'examiner les revendications des Maoris sur les terres qui leur ont été confisquées. Par ailleurs, le gouvernement a relayé leur demande de voir revenir les têtes conservées par des musées ou des particuliers à l'étranger : la possession de ces restes, éléments importants de l'identité maorie, est, selon les termes de Jules Verne dans Les Enfants du capitaine Grant, « regardée, dans la religion maorie, comme indispensable aux destinées de la vie future ».

Dans son intervention au Sénat, M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, soulignait que l'« on construit une culture sur le respect et l'échange, (…) sur une véritable pratique de la mémoire et sur le respect d'un certain nombre de procédures et de lois. »

Il est donc regrettable que la France, pays des droits de l'homme, fasse aujourd'hui exception, moins en raison d'une opposition de fond que pour des questions de forme liées au statut juridique de ce qui est, aujourd'hui encore, d'abord considéré comme un bien culturel avant d'être traité comme un reste humain.

Comment ces têtes sont-elles venues dans nos musées ? À partir de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, l'engouement pour ces têtes « naturalisées » fut tel qu'elles firent l'objet d'un commerce macabre, destiné à alimenter les cabinets de curiosités européens et américains. Afin de satisfaire la « demande », devenue beaucoup plus importante que l'offre, des esclaves furent même capturés, tatoués puis mis à mort. Il fallut attendre 1831 pour qu'une loi britannique interdise le commerce de ces têtes vers l'Australie, alors plaque tournante du trafic, mais beaucoup avaient déjà été dispersées en Europe et aux États-Unis. C'est ainsi que certaines sont entrées dans les collections publiques françaises, par dons ou legs. Ce fut le cas de celle du muséum municipal d'histoire naturelle de Rouen, donnée à la ville par un certain M. Drouet en 1875 et retrouvée en 2007 dans les réserves du muséum, lors de sa fermeture pour rénovation. En effet, pour respecter un souhait des autorités néo-zélandaises, cette tête avait depuis longtemps été retirée de l'exposition au public.

Par une délibération en date du 19 octobre 2007, la ville de Rouen décidait de la restituer à la Nouvelle-Zélande, et était ainsi la première ville de France à répondre aux demandes répétées de ce pays – rappelons qu'une quinzaine de têtes se trouvent actuellement dans des musées de France, dont celui du quai Branly et cinq musées territoriaux.

Au motif du non-respect de la procédure de déclassement, nécessaire pour faire sortir du domaine public un bien inscrit sur l'inventaire d'un musée de France, le ministère de la culture saisit le tribunal administratif, qui annula le 27 décembre 2007 la décision de la municipalité. La cour administrative d'appel de Douai confirma le 24 juillet 2008 que la ville de Rouen n'était pas « fondée à soutenir qu'elle pouvait autoriser la restitution de ce bien sans respecter la procédure de déclassement prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine », ce qui conduisit Mme Morin-Desailly, qui était adjointe à la culture du maire de Rouen – M. Pierre Albertini – lors de cette affaire, à déposer une proposition de loi pour permettre cette restitution.

Si la question que traite cette proposition peut sembler simple, elle recouvre pourtant des débats juridiques, philosophiques, anthropologiques et scientifiques passionnants mais loin d'être tranchés et il me semble que la représentation nationale s'honorerait en contribuant à cette réflexion de première importance pour l'avenir et la gestion des collections de nos musées : peut-on, doit-on considérer ces restes humains comme des biens artistiques, culturels ou scientifiques, leur importance justifiant un maintien dans nos collections, ou sont-ils avant tout des éléments du corps humain ? Cette question n'est tranchée ni en droit, ni par la jurisprudence, fluctuante en ce domaine.

Un passionnant colloque s'est tenu sur le sujet au musée du Quai Branly, en février 2008, et a conclu à la nécessité pour la France d'être exemplaire, tout en préservant la mission qu'ont les musées, en sus de la présentation des collections publiques, « d'étudier et de conserver pour les générations futures des objets qui témoignent de la diversité des manières de vivre et de penser le monde », pour reprendre le propos tenu alors par Mme Christine Albanel, à l'époque ministre de la culture.

Il y a là un équilibre difficile à trouver, mais nous avons besoin d'une doctrine claire pour répondre plus rationnellement aux demandes de restitution qui vont, n'en doutons pas, se multiplier dans les années à venir.

Initialement composée d'un unique article, la proposition de loi a donc été complétée par trois autres, à la demande du sénateur Richert, rapporteur de la commission de la culture, afin de traiter plus largement de ce problème du déclassement et d'éviter d'avoir à examiner de nouvelles propositions de loi « de circonstance ».

L'article 1er permet de déroger à la procédure spécifique de déclassement prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine, afin de restituer à la Nouvelle-Zélande l'ensemble des têtes maories actuellement détenues par les musées de France. Pour mémoire, cet article dispose que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. Toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme » d'une commission scientifique.

Pour autoriser la restitution, lors du précédent de la Vénus hottentote, le législateur avait estimé que plusieurs conditions cumulatives étaient remplies, et c'est également le cas pour les têtes maories.

Première condition : la demande de retour doit constituer une position constante et émaner d'un gouvernement démocratiquement élu, ce qui est le cas du gouvernement néo-zélandais, qui a mandaté le musée national Te Papa pour piloter un programme de rapatriement des restes humains maoris.

Deuxièmement, la demande doit être portée par un peuple vivant, dont les traditions perdurent, ce qui est clairement le cas des Maoris.

Troisièmement, la restitution doit être justifiée tant au regard du principe de dignité humaine qu'à celui du respect des cultures et croyances des autres peuples. C'est bien le cas de ces têtes puisqu'il s'agit de restes humains collectés dans des conditions douteuses, et non de biens culturels ordinaires. Par ailleurs, il ne s'agit pas pour la Nouvelle-Zélande d'exposer ces têtes, mais de permettre aux Maoris d'offrir à leurs ancêtres une sépulture digne et conforme à leurs rites.

Enfin, l'intérêt scientifique des biens culturels n'est pas démontré. Ces têtes sont en effet entrées dans les collections des musées en tant qu'objets de curiosité mais n'ont pas fait l'objet de recherches scientifiques. Si l'on considère malgré tout qu'il s'agit d'un témoignage historique et culturel intéressant, les méthodes actuelles de numérisation permettront d'en conserver la mémoire.

Les trois articles ajoutés au Sénat procèdent d'un constat regrettable : la commission scientifique nationale des collections des musées de France (CSNCMF), instituée par la loi relative aux musées de France de 2002, à l'initiative à l'époque du sénateur Richert suite au précédent de la Vénus hottentote, ne joue pas son rôle en matière de déclassement puisqu'elle n'a rendu à ce jour aucun avis.

Le rapport rendu en février 2008 par Jacques Rigaud sur l'inaliénabilité des collections publiques le souligne d'ailleurs : il eût été « convenable » que les professionnels « se soient posé, spontanément ou à la demande expresse de la direction des musées de France, le problème du déclassement, fût-ce à titre expérimental, et ne serait-ce que pour démontrer qu'il était dangereux, inopérant ou sans intérêt. Que l'exercice ait été ou non probant, on serait assurément plus avancé qu'aujourd'hui, où, faute de la moindre initiative de la part des responsables des musées, le problème se trouve relancé d'une manière officielle qui oblige à la fois le ministère et ses services et le corps des conservateurs à prendre enfin leurs responsabilités. »

Il ne s'agit pas, j'y insiste, de mettre à mal l'intégrité des collections publiques françaises ou de « vider » les réserves des musées, constitutives de notre patrimoine national.

Aux termes de l'article 2 de la proposition de loi, la nouvelle « commission scientifique nationale des collections », qui remplacera la CSNCMF, devra notamment formuler des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections publiques, donner – comme la commission actuelle – un avis sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France, mais également sur le déclassement de ceux du Fonds national d'art contemporain (FNAC). Elle aura aussi pour mission de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), dans l'exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections.

La composition de la commission est par ailleurs élargie à des personnalités qualifiées – anthropologues, philosophes ... –, aux représentants des collectivités territoriales, mais également aux parlementaires, alors que la CSNCMF comportait très majoritairement des conservateurs et des professionnels des musées.

L'article 3 est de coordination.

L'article 4 précise que la commission devra remettre, un an après la publication de la loi, un rapport au Parlement établissant sa doctrine en matière de déclassement et de cession des biens appartenant aux collections. Il est en effet important que le législateur puisse vérifier les suites données à sa volonté maintes fois exprimée de voir les professionnels se pencher sur cette question.

Il faudra veiller à ce que la nouvelle commission puisse travailler à l'abri des passions. Le sujet reste en effet sensible et son traitement ne doit pas conduire à affaiblir le régime de la domanialité publique et de l'inaliénabilité des collections. La procédure de déclassement doit être fondée sur une démarche scientifique rigoureuse et être strictement encadrée. Je pense que le texte transmis par le Sénat donne toutes garanties à cet égard.

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi dans le texte du Sénat : il s'agit d'une proposition équilibrée, issue d'une réflexion et d'une démarche éthiques, légitimes et opportunes, qui transcende nos habituels clivages partisans.

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