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Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 7 avril 2010 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Grosperrin, rapporteur :

Tout d'abord, merci Madame la présidente de m'avoir confié ce travail. C'est l'occasion de marquer l'intérêt de notre nouvelle commission pour les questions d'éducation.

Ensuite, je voudrais remercier l'ensemble de mes collègues membres de la mission pour leur travail qui a été mené à bien en surmontant les questions de calendrier électoral qui ont conduit à décaler le rendu de nos conclusions.

Nous aurons ainsi procédé à près de quarante auditions, entendant, au total, plus de cent personnes, dont le haut commissaire à la jeunesse, M. Martin Hirsch et, bien entendu, le ministre de l'éducation nationale, M. Luc Chatel.

Nous avons eu le plaisir de dialoguer avec des historiens éminents de l'éducation : Antoine Prost, Philippe Joutard, Claude Lelièvre, mais aussi des sociologues ou des économistes , François Dubet, Agnès van Zanten, Éric Maurin.

Qu'avons-nous retenu de tout ce travail d'investigation ?

D'abord, la « bataille » du socle commun est loin d'être gagnée. Cinq ans après le vote de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École, qui l'a institué, le collège est loin d'être en phase avec le socle :

– la prise en compte du socle dans les programmes du collège est inégale ;

– l'inspection générale du secondaire, structurée en 12 groupes correspondant aux matières enseignées au collège et au lycée, instille un parti pris « disciplinaire », qui freine la diffusion du socle ;

– l'implication des recteurs des académies dans la mise en application du socle est très variable ;

– la formation continue des enseignants est pauvre en socle commun ;

– le nouveau diplôme national du brevet, qui sera délivré à compter la session 2011, est un chef d'oeuvre baroque qui combine cinq paramètres. Surtout, il combine notation chiffrée, avec le contrôle continu et les trois épreuves terminales, et certification des compétences, avec l'attestation de maîtrise du socle commun qui doit être validée par le chef d'établissement ;

– l'information des enseignants concernant le socle n'est pas systématique. Ces derniers éprouvent de la lassitude face au surcroît de travail demandé par le remplissage du livret de compétences et de l'attestation de maîtrise du socle commun, voire manifestent de l'incompréhension face à un enseignement par compétences. D'une manière générale, on ressent que les enseignants de lettres et d'histoire-géographie n'intégreront le socle qu'avec difficulté ;

– le ministère a mis plus de quatre ans pour mettre au point les programmes, le livret personnel de compétences et l'attestation de maîtrise du socle commun. Le ministre l'a dit lui-même devant la mission : longtemps, « la mobilisation générale sur le socle n'a pas été décrétée ». À cet égard, la nouvelle circulaire de rentrée, publiée en mars dernier, qui érige la maîtrise du socle au rang de priorité, constitue une nouveauté qui doit être saluée.

Ce constat devait être établi par la mission, en rappelant que les résultats du collège sont très préoccupants.

Pour mémoire, je rappellerai quelques chiffres :

– en 2004, 74 % des élèves de 3èmene maîtrisaient pas les compétences générales ou procédurales attendues en fin de collège ;

– en 2009, trois quarts des garçons maîtrisaient les compétences de base en français, ce qui veut dire qu'un quart des garçons ne les maîtrisaient pas : on est donc très loin de l'obligation de résultats fixée par la loi de 2005 ;

– les scores des élèves en fin de 3ème sont plus mauvais qu'à la sortie du primaire. Dans les écoles et les collèges les plus difficiles de l'éducation prioritaire, classés « ambition réussite », les compétences de base en français sont maîtrisées par 50,6 % des élèves de fin de 3ème, contre 76,6 % des élèves de fin de CM2. Le collège n'a aucun effet de remédiation : il ne répare pas les insuffisances des élèves du primaire ; il les creuse.

Ce bilan devait être fait et je me félicite que ce soit le Parlement qui le fasse avant l'Exécutif.

À cet égard, je rappelle que la loi du 23 avril 2005 prévoit la transmission au Parlement, tous les trois ans, d'un rapport, faisant état de la prise en compte du socle dans les programmes et de la maîtrise des connaissances et des compétences du socle. Or il faut bien reconnaître que la commande du législateur concernant un bilan quantitatif et qualitatif de ce socle n'a jamais été respectée…

Notre travail vient d'autant plus à point nommé que nous avons appris que le Haut conseil de l'éducation consacrera son prochain rapport annuel, remis chaque été au Président de la République, au collège. Ainsi, c'est notre mission, qui, la première, publiquement, formulera des préconisations sur le sujet.

Notre conclusion d'ensemble est qu'il faut relancer le socle commun pour rétablir le collège unique. Comme nous l'a dit l'inspecteur général de l'éducation nationale Jean-Paul Delahaye, le drame du collège, c'est qu'il inflige aux 15 % d'élèves connaissant les plus graves difficultés, un parcours conçu pour 30 % environ des élèves, c'est-à-dire pour la classe d'âge qui accède au baccalauréat général. Résultat : « le collège est ce lieu improbable dont l'imaginaire est celui du lycée bourgeois alors qu'il accueille les classes du certificat d'études ». Le jugement que je vous rapporte est celui du sociologue François Dubet.

C'est pourquoi il faut croire au socle et à ses vertus. En effet, le socle est une chance pour le collège :

– en fixant, pour la première fois, une obligation de résultats à l'École, le socle responsabilise les établissements scolaires ;

– il permet en outre de clore le débat sur le collège unique, car le législateur a lié ce niveau d'enseignement à la scolarité obligatoire ;

– le socle commun permet de dépasser la dichotomie si française entre les savoirs – jugés « nobles » – et les compétences, parfois rabaissées en raison de leur caractère pratique ;

– le socle induit une nouvelle représentation de la scolarité obligatoire susceptible d'effacer la rupture, qui survient en 6ème, entre le premier et le second degré ;

– le socle permet de franchir une « double barrière » : celle du cloisonnement des disciplines, qui a pour effet de morceler l'enseignement, et celle de l'isolement des professeurs, dans leur classe ;

– le socle commun permet de consacrer les savoir-être à l'École dont l'une des grandes faiblesses est que ses élèves ne savent pas innover et n'ont pas le goût du risque.

Quant aux propositions que nous vous soumettons, voici celles qui, dans les grandes lignes, nous paraissent les plus importantes :

– Il faut respecter l'obligation d'information du Parlement sur la mise en oeuvre du socle prévue par la loi de 2005. De même, il doit être clair que c'est au Parlement que le socle doit être actualisé si les représentants de la Nation que nous sommes l'estiment nécessaire.

– Il faut faire évoluer les pratiques d'évaluation, qui ne servent qu'à classer les élèves et stresser ceux-ci et leurs parents. En particulier, il faut passer à un système d'évaluation des compétences en partie fondé sur un livret numérique, renseigné par tous les professeurs, année après année, qui permette une continuité des apprentissages du cours préparatoire à la 3ème, pour connaître très précisément les acquis des élèves et proposer des dispositifs de remédiation adaptés.

– Une mise en oeuvre réussie du socle implique sa meilleure prise en compte par les programmes. Des efforts doivent être encore fournis dans ce sens pour que les programmes soient élaborés à partir de thèmes de convergence entre les disciplines. De même, la pédagogie différenciée et le recours à des groupes de compétences souples doivent être généralisés.

– Pour assurer la continuité des apprentissages entre le primaire et le collège, les enseignants doivent réapprendre « à faire classe », ainsi que nous l'a souligné le grand historien Antoine Prost. C'est, pour la mission, l'une des conséquences les plus importantes du socle commun : à partir du moment où celui-ci est lié à la scolarité obligatoire, l'école élémentaire et le collège forment un continuum qui permet, sur la durée, une progression dans les apprentissages adaptée aux rythmes de chaque élève. La pratique professionnelle des enseignants de collège doit être par conséquent moins alignée sur celle du lycée que sur celle du primaire.

– De même, il faut « réinventer des CAPES bivalents », pour reprendre les termes utilisés par Antoine Prost, et instaurer des échanges de service entre enseignants de CM2 et de 6ème pour atténuer le choc que constitue le passage du primaire avec ses maîtres polyvalents au secondaire avec ses nombreux professeurs disciplinaires. Enfin, les enseignants doivent être mieux formés au travail collectif et interdisciplinaire : comme nous l'a dit l'historien Philippe Joutard, « Au XXIe siècle s'enfermer dans les disciplines, c'est rester au XIXe siècle ».

– Compte tenu du travail de concertation considérable que demande le remplissage du livret de compétences, il faut repenser le service des enseignants. Je rappelle qu'aujourd'hui, les obligations de service des professeurs du secondaire sont définies exclusivement par référence aux heures d'enseignement, c'est-à-dire de cours. Or, dès lors que le socle commun implique de la concertation et le recours à des travaux en petits groupes, il faut allonger le temps de présence des enseignants, en incluant dans leur mission, aux côté des heures de cours, qu'il faut diminuer, les tâches liées à la coordination pédagogique, à l'orientation, au tutorat des enseignants débutants, etc. De nombreux pays européens fixent un nombre d'heures ou de jours de présence à leurs enseignants…

– Le socle commun impose de responsabiliser les collèges. Il faut en finir avec la culture de la grille horaire invariable d'un bout du territoire à l'autre pour accorder, aux établissements volontaires, des moyens horaire en partie non fléchés et des postes à profil destinés à pourvoir les emplois vacants de professeurs.

– Il faut également spécialiser les inspecteurs généraux non plus par discipline mais par compétence ou par cycle d'apprentissage.

– Enfin, sur le modèle des réseaux « ambition réussite » de l'éducation prioritaire, des « réseaux du socle commun », associant un collège aux écoles qui l'alimentent, pourraient être expérimentés. Ces réseaux pourraient préfigurer l'école du socle commun chère au rapporteur de la loi sur l'avenir de l'école.

Tout ceci implique, en bout de chaîne, de supprimer le diplôme national du brevet tel qu'il existe aujourd'hui. En effet, on ne peut pas réformer un niveau d'enseignement si on ne réforme pas le diplôme qui en constitue le couronnement.

Notre conviction est qu'il faut conserver un examen et un diplôme en fin de 3ème, mais ce « rite de passage » doit se conformer à l'esprit du socle commun. Nous proposons donc que l'attestation de maîtrise des connaissances et des compétences du socle commun vaille brevet. Mais en précisant que l'attestation actuelle, avec sa centaine d'items, est trop complexe. Elle doit être par conséquent simplifiée et délivrée aux élèves réussissant des épreuves terminales reposant sur quelques exercices et mises en situation réelle, comme pour certaines épreuves du baccalauréat professionnel.

Je vous remercie à nouveau, mes chers collègues et Madame la présidente, pour avoir permis ce travail d'investigation. Il fallait le mener, car le collège a été trop longtemps oublié, notamment par ceux en charge de l'Éducation nationale.

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