Tout cela paraît bien faible au regard des contreparties que vous exigez des personnels.
Il faut bien parler de conflit, compte tenu des multiples courriers que nous recevons et du nombre d'infirmiers qui sont descendus dans la rue la semaine dernière. J'en viens au fond de ce conflit. Cette revalorisation suppose que les personnels de santé concernés acceptent en « échange » de partir à la retraite cinq ans plus tard et, surtout, renoncent à la majoration de durée d'assurance qui leur était accordée depuis la loi Fillon de 2003 en reconnaissance de la pénibilité de leur emploi : pour dix années cotisées, une année supplémentaire se trouvait validée.
Le rapport présenté à la commission des affaires sociales est très clair : la reconnaissance du métier d'infirmier ou de kiné dans le secteur public, qui passe par le recrutement à bac + 3, promesse longtemps attendue et qui satisfait la grande majorité des professionnels, a été l'occasion d'engager des économies pour les régimes de retraite concernés. Selon que 25, 50 ou 75 % des infirmiers susceptibles de liquider leur retraite au cours des dix prochaines années le feront en choisissant la proposition du Gouvernement – soit la revalorisation en catégorie A en échange d'un report de l'âge légal de départ à la retraite et de la suppression de la majoration de durée d'assurance – les économies réalisées par leurs régimes de retraite iraient de 120 à 360 millions d'euros.
Le Président de la République lui-même a expliqué, dans ses voeux aux professionnels de santé, que cette réforme, qui représentait une reconnaissance de ces métiers, avait un coût de 500 millions d'euros. Il s'est bien gardé d'ajouter qu'elle était censée en rapporter près du double ! À l'évidence, les enjeux affichés ne sont pas ceux recherchés. C'est sans doute cette ambiguïté, ou plutôt ce tour de passe-passe, qui provoque une réelle inquiétude sur l'impact de la réforme annoncée et des interrogations sur le nombre de personnes qui partiront à la retraite. Car nous risquons de voir se reproduire, madame la ministre, le même scénario qu'en 2003 et en 2004. Les Français ont eu si peur de se voir appliquer des règles beaucoup plus strictes qu'ils ont été bien plus nombreux à souhaiter partir à la retraite dès lors qu'ils disposaient des droits pour ce faire.
On peut penser que les infirmières et les infirmiers seront si préoccupés des conditions qui leur seront réservées que les plus proches de l'âge possible de départ à la retraite préfèreront partir à cinquante-cinq ans plutôt que de travailler plus longtemps dans des conditions aussi difficiles. Car, à ces cinq ans supplémentaires, s'ajoute la suppression de la majoration de la durée d'assurance. On peut penser que l'objectif affiché de permettre aux infirmières de rester plus longtemps pour faire face au trou démographique auquel l'hôpital public va être confronté ne sera pas atteint.
Trois raisons nous amènent à nous opposer à ce texte et à demander la suppression de l'article 30 : d'abord, le mépris affiché à cette occasion pour les partenaires sociaux ; ensuite, l'inutilité de ces mesures à quelques mois d'une réforme globale des retraites ; enfin, la suppression de toute prise en compte de la pénibilité.
Le Gouvernement parle beaucoup de rénovation du dialogue social, mais là encore la réalité est moins flamboyante. Un rapide retour sur le calendrier des discussions est éclairant : c'est à la fin 2008 que s'est ouverte une concertation sur l'adaptation des études au format LMD. Le 31 juillet 2009, l'arrêté réformant les études d'infirmier est publié sous votre signature, madame la ministre. S'engagent alors des négociations dans la fonction publique hospitalière mais, dès la fin du mois de novembre, vous choisissez d'interrompre les négociations collectives au profit de négociations bilatérales avec chaque syndicat. Cette manoeuvre de division ne suffit pourtant pas et les syndicats quittent la table des négociations le 14 décembre 2009, après un semestre de tentatives de négociation. Cela ne vous empêche pas de poursuivre et de proposer un texte d'accord qui ne sera signé, le 2 février suivant, que par le seul Syndicat national des cadres hospitaliers : la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l'UNSA, Sud, la Fédération française de la santé, de la médecine et de l'action sociale ainsi que le SNPI le rejettent.